Réflexion
ludion
Je ne saurais dire pourquoi, ce matin-là, devant la glace, mon regard s'est accroché à mon image.
La fonction essentielle d'un miroir est de réfléchir.
Certes, on ne peut le nier.Mais avant de rendre mon image de façon si abrupte et si directe, il aurait pu m'avertir que le spectacle qu'il me renvoyait serait affligeant.
C'est vrai, la veille j'avais un peu picolé, oh ! rien de méchant.
Une copine et moi avions éclusé un Saint-Joseph, et pour finir, un rutilant Gevrey, sur un fromage fabriqué en Champagne, coulant et crémeux et un peu ferme au-dedans, un petit jésus, quoi ! servi sur une feuille de vigne. Le regard prune en face de moi, qui avait éclairé ma soirée et mon dîner, surmontant une bouche en cerise à croquer, donnait à mes paroles les élans lyriques que j'avais perdus depuis .......
Bref, j'étais lyonnais pour un soir, et le bouchon où M... et moi dinions, me paraissait redevenir, après l'avoir été, l'entité d'un bonheur indicible et retrouvé.
Ne cherchez pas à comprendre.
Mais mon image, merde, ce matin-là, c'est pas moi, ça !!
Je venais d'apercevoir dans la glace, pour la première fois, comme le symbole toujours inimaginable, le gras de mes avant-bras, plissé comme ceux de ma grand-mère, que, en son temps, j'avais toujours refusé de regarder.
Je ressentais tout à coup, la peine immense d'un souvenir occulté à jamais de ma mémoire d'enfant. Pour ainsi dire, je ne voulais pas de cette rencontre avec les corps abimés de la vieillesse.
Je frottais cette peau, vigoureusement, qui n'était certainement pas à moi, pour en faire disparaître les stigmates odieux qui offensaient ma vue, comme une cicatrice que le temps, attentatoire à mes yeux, venait déposer sur moi, en un rictus honteux.
Une obsession imprima dans mon crâne, de façon irreversible et soudaine, la marque d'une senescence que je déclinais dédaigneusement : la vieillesse ne me concernait pas !
Je mangeais, buvais, comme depuis toujours. Ma libido n'a jamais été aussi développée. Pour moi les femmes restaient le plus beau spectacle sur cette terre. Je fantasmais depuis toujours sur un pied, fût-il égyptien ou grec - je préfère le pied égyptien ! - avec qui je pouvais connaître une volupté sans égal, sauf, peut-être avec un cul généreux, de ceux que l'on peut admirer, au Louvre, si on passait subrepticement et aussi un peu gêné, derrière la statue de Diane.
Non, j'avais tellement à dire, à regarder, à boire aux sources et à manger les fruits défendus (pourquoi défendus ?) que je ne pus ce matin-là encore, admettre que cette pensée morbide ne puisse jamais être mienne.
Je pris une grosse noix de fiabrine et passai la matinée à la faire pénétrer sur mon épiderme comme pour effacer l'outrage que le temps venait de me faire.....
Jolie texte !
· Il y a plus de 14 ans ·Frédéric Hauguel