Renaissance
Laurent Doudiès
Elvan sentait toujours le contact souple et gluant de mousses vaseuses de la corde-guide dans ses mains. Ce fut d'abord un point blanc dans le tourbillon de bulles qui devint rapidement soleil et sa clarté intense, puis l'air. Il aspira bruyamment, dans un raclement douloureux, l'oxygène brûlant de l'atmosphère du désert, et jaillit dans une gerbe écumante au centre de l'oasis. Douleur et lumière…
Le jour était déjà bas sur l'horizon. Elvan se hissa sur la berge et roula sur le dos, rejoint bientôt par Ysaël et Leysseen. Quelle merveille, quel spectacle ! Ses yeux lui faisaient mal, mais il ne pouvait pas se résigner à les fermer, se priver du spectacle neuf de son premier couché de soleil. Plaisir prolongé jusqu'à la douleur, qui nous fait hésiter, entre émotion et brûlure, sur la nature des larmes.
Ils ne virent pas immédiatement les femmes et les enfants qui les observaient. Leysseen, le premier, se redressa, et posa doucement sa main sur l'épaule d'Elvan, comme on veut réveiller un enfant, conscient que l'on est de l'intrusion que l'on s'apprête à faire, au milieu d'un rêve ou dans un de ces moments particuliers où l'être tout entier a quitté les lieux et place du corps, pour errer dans les dédales de ses pensées. Devant les petits rires gênés des jeunes femmes, ils prirent conscience de leur nudité. Dans une hâte maladroite et rougissante, ils sortirent leurs vêtements trempés du sac et s'habillèrent. Ils n'eurent pas vraiment le temps de se préparer à ce qui suivait.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans le camp nomade, une multitude de signaux visuels, auditifs et olfactifs les assaillit. Tant de gens réunis, tant d'adultes, quand jusqu'ici leur univers s'était résumé à la cohabitation sage et ordonnée d'une quinzaine d'adultes essayant d'élever une centaine d'orphelins. Et là, deux, peut-être trois cents visages brunis par le soleil, creusés par le sable et le vent, des hommes, humains et krilliens confondus mais aussi des femmes et des enfants qui vivaient, voyageaient ensemble. Tous sans exception portaient l'opale noire, comme Elvan et sa sœur. À bien y regarder, il apparut que les plus jeunes enfants n'en portaient pas. Elvan reporta son attention à la découverte du camp. Plusieurs foyers crépitaient. Des marmites, posées dessus, s'élevaient des effluves épicés, des parfums de bouillons nuancés, qui vous inondaient la bouche et faisaient briller les lèvres d'envie. Les espaces entre les tentes étaient larges. Elles étaient toutes aux couleurs du sable. Mais les intérieurs étaient chamarrés, colorés de teintes fauves et chaudes. Des tapis garnissaient chaque intérieur et de nombreux coussins étaient étalés en arc de cercle autour de tables basses. Les foyers brûlaient tous à l'extérieur des tentes. Quelques torches sur pied complétaient l'éclairage du camp.
Ysaël était ébahie. Un sourire éclatant barrait son visage où perduraient quelques rondeurs juvéniles. Elle fouillait du regard partout nourri par une curiosité insatiable. Ils n'ont aucune arme ? Se demanda-t-elle alors qu'elle se rappelait pourtant « le bestiaire du grand blanc ». Ce livre énumérait et décrivait toute la faune recensée du désert, des féroces dragons aux corolles écarlates aux invisibles serres-faim qui attendaient tapis dans le sable qu'une proie passe à proximité. Elle se souvenait des mortels aiguisards dont une seule petite entaille pouvait vous faire saigner sans que ça s'arrête jusqu'à vous vider de votre sang dont ils se délectaient. Au début c'était les illustrations qui attiraient la jeune fille. En grandissant, l'intérêt avait continué et s'était renforcé avec les descriptions détaillées de tous ces animaux. Elle fut presque rassurée quand elle se rendit compte que presque tous les individus portaient un coutelas, ou un poignard dans leur dos. Plus loin, à l'extrémité de son champ de vision elle vit des silhouettes armées qui gardaient les abords du camp.
Leysseen, lui, avait les yeux fixés sur une krillienne au regard de braises qui le regardait en le toisant. Ses grand yeux topaze clignaient lentement, entrecoupés des clignements plus vifs de ses paupières nictitantes. Elle avait de longs cheveux auburn coiffés en une natte complexe qui descendait jusqu'au hanches. Il rougit, autant du fait de ses courbes que de son regard insistant, et se détourna pour se concentrer sur le reste de l'assemblée. Il se souvenait des enseignements de la Tour. Les clans, et l'organisation presque familiale des caravanes. Quelle famille, se dit-il en souriant. Sa pensée fut coupée par l'arrivée, face à eux, d'un homme mûr, le silence s'était abattu sur le camp, il reconnut en lui un T'An, guide de la caravane qui s'adressa à Elvan.
« Que les sables vous protègent ! Sois le bienvenu Jidaï-atah, toi et tes amis. Demandez-vous le gîte pour la nuit ?
— Les sables nous protègent tous ! Mes amis et moi serions honorés si vous pouviez nous laisser une place près de vos tentes et quelques restes de votre repas. »
Les formules étaient inscrites dans la nuit des temps. Elvan avait récité sans hésitation les phrases apprises et répétées depuis des années. Il y eut un moment de silence où les trois jeunes voyageurs, appréhendèrent le gouffre qui les séparait de la vie à la surface. Leysseen prit conscience qu'il leur faudrait être extrêmement attentif pour ne commettre aucun impair ! Puis il y eut un sourire, des mains tendues. Le retour du brouhaha joyeux, leur fit prendre conscience du silence qui régnait quelques secondes plutôt sur le camp. Acharb s'approcha d'Elvan et passa une main autour de ses épaules.
« Nous ferons la fête ce soir pour célébrer votre venue. Soyez les bienvenus à ma table jeunes voyageurs. »
Bonjour à tous, j'ai de la chance, cet extrait fait partie du livre "l'éveil" qui va être publié aux éditions Le lys bleu.
· Il y a environ un an ·Laurent Doudiès