Rencontre.

louiiis

...

Je pouvais apercevoir les quelques rayons du soleil du matin qui luttaient pour rentrer dans ma chambre. Je n'aime pas la lumière, j'ai toujours préféré être dans le noir pour réfléchir. La nuit m'apporte une satisfaction que je ne saurais expliquer. Je me réjouis à l'idée que le monde s'éteigne. Il me laisse l'opportunité de m'exprimer sans être emmerdé par la vie de tous ces décérébrés qui jalonnent les rues. Chaque jour c'est la même chanson. J'entends résonner leurs pas sur le trottoir, ils se propagent jusqu'aux 4 murs de ma chambre et m'empêchent de dormir. Dieu bénisse la nuit. Pourtant, j'étais surpris de voir ces morceaux de soleil s'agiter devant moi. Je n'aurais jamais pensé qu'il serait si tard. D'un autre côté, je me souviens que je ne m'en étais pas préoccupé. Mon esprit était déjà pris. Obnubilé par la seule lumière que je m'étais autorisé à faire rentrer.


Je l'ai rencontrée il y a quelques mois. Elle même au bord d'un trottoir. Elle semblait tout aussi dégoûtée de devoir sortir pour se payer quelques paquets de pâtes et une pauvre bicoque dans un immeuble délabré. Comment ai-je su que son immeuble était délabré ? C'était le mien également. Je ne l'avais jamais croisée, mais j'ai compris pourquoi le jour où je l'ai rencontrée. Elle non plus ne voulait pas sortir. Elle aussi avait besoin de la splendeur nocturne pour que son sang circule. Je crois que nous nous sommes rapidement compris sur ce sujet. 

Au fil des jours nous nous sommes revues. 1 fois, 2 fois etc. nous avons bu, nous avons mangé, nous avons parlé. Et, je crois, nous avons commencé à nous aimer. A chaque fois que je la voyais, elle laissait derrière elle une trace, la marque d'un quelque chose qui me plaisait. Je voulais en découvrir plus sur sa personne. Ma curiosité était bien trop grande pour que je la laisse s'échapper. Résultat, je me suis attaché. 

J'ai vite été frappé par les goûts en commun que nous partagions. Je savais que je pouvais parler avec elle pendant des heures. Prenez un sujet au hasard, donnez-le nous, et il se consumera petit à petit jusqu'à en extraire tous les dialogues possibles. Mais c'était encore bien plus. Il y avait une saveur bien particulière qui se cachait à l'intérieur. Quelque chose d'obscur bien enfoui au fond de sa chair. Je le ressentais, car moi aussi j'avais ce quelque chose, caché sous les décombres de mon existence. 

Au commencement de celle-ci, j'ai 16 ans. Il y a cet homme. Il m'invite dans un monde dont je tombe fou amoureux. Il me construit, me fait grandir. Tout ce que je suis, je le dois à cette personne. C'est lui qui m'a fait écrire. Mais vint le moment critique. Le piège de la mort. Ce monde que je chérissais temps, je ne le vivais pas. Je ne faisais que l'idéaliser. Moi, fils issu de la petite bourgeoisie qui prenait plaisir à écouter les cris de rancœur d'un pauvre ouvrier d'une entreprise de déménagement. Comment pouvais-je une seule seconde espérer vivre ce qu'il me glissait à l'oreille. Je ne pouvais pas. Alors je n'ai fait qu'imaginer. Imaginer cette vie que je ne pouvais pas avoir. Dès lors, il m'était impossible d'écrire. Je ne pensais qu'à écrire de la poésie de sale prolo. De celui qui sublime sa lutte, qui ose aller à l'encontre des puissants. Et qui, par-dessus tout, projette un goût de vie immense dû à cet esprit de révolte. Moi je ne connaissais rien de tout ça. J'ai donc attendu, trop attendu. Fort heureusement, chacune de mes attentes se révélait comblée à un moment, même si ce n'était jamais la réponse finale à mon attente éternelle. En l'occurrence, cette fille devait venir à la maison. Alors je l'ai attendu. 

Elle est arrivée avec ce sourire, si simple au premier abord, mais avec qui je partirais volontiers braver les tempêtes de la désolation, dissipant les épaisses brumes de chagrin qui remplissent mon quotidien. Je crois bien ne jamais avoir vu ses dents. Elle se présente toujours à moi, bouche fermée. Un simple sourire pour communiquer. De temps en temps, une mèche de cheveux vient se glisser entre ses lèvres. Chevelure charmeuse aux mèches volubiles. Elle coule le long de son visage, se force à passer par ses oreilles, avant de rejoindre la courbe de son sourire, toujours clos. Malheureusement, je n'eus pas le temps de la regarder plus longtemps. Une envie soudaine de pisser prit mon attention. Je sentais que cela ne valait pas le coup de lutter. Je l'installai sur mon lit, et partis faire mon affaire. L'ouvrage fini, je me suis empressé de retourner dans la pièce. Il m'a été assez dur de la quitter pour m'occuper des vacuités de mon corps. Gaspiller mon temps alors que  je pourrais le passé avec une telle créature. Quelle horreur. 

J'ouvre la porte, glisse un regard dans la pièce. Je la cherche, passe au radar tous les recoins. J'analyse, je fouille, tout en jetant mon regard là où il m'est possible de regarder. Mes pupilles se dilatent et se contractent comme pour attraper l'espace qui gisait autour de moi. Au milieu de celui-ci, elle était là. Elle m'attendait, nue, enveloppée de son éclatante robe charnelle. Muscles sauvages et beauté organique s'étaient dressés devant moi. Mes yeux se crispent. Je la regarde. Je ne bouge plus. Un court instant. Puis mon esprit s'emporte. Je dois l'immortaliser, dans un livre, prendre stylo et feuille, capturé la beauté de ce mythe, raconté qu'elle existe, personne ne croirait que parmi tous les résidus divins qui peuples cette terre, il en existe une qui se dresse avec autant de fougue et de grâce au dessus de toutes les autres. Faisant jaillir sa beauté sur tout ce bas monde, déterminé à réunir les regards, les fusionner. Le Tout s'accouple dans l'unité de sa beauté. Mais non. Oublions le livre, pour une fois que j'ai l'occasion de ne pas y penser. De toute façon, je ne peux toujours pas bouger. La porte derrière moi est toujours ouverte, et elle est très bien comme ça. A cet instant, je me rends compte que tout ce qui vit autour de moi est parfaitement harmonieux. L'ordre n'existe plus. Gouverné par l'excitation fulgurante de sa présence. L'essence de tout ce qui est autour de moi est abandonnée au profit de quelque chose de plus grand, de plus intense. Je m'acclimate à ce nouvel environnement. Je m'absous de tous mes péchés  et me contente du vide qui émane de la pièce car tout semble indiquer qu'il n'y a plus qu'elle. C'est cru, c'est beau.  Elle dégage quelque chose de spirituelle et s'immisce dans mon esprit pour y féconder un désir. Je me dois de lui répondre. Dès lors, tout me parait insignifiant. 

Le temps de quitter la pièce un court instant qu'elle avait déjà laissé échapper de son corps son odeur si particulière. Un mélodieux alliage d'innocence et de violence lascive. A la fois sensualité et bestialité. Intimité brute. Une fine fumée de cigarette alimentée de particule de café venait recouvrir une transpiration mélancolique. Je pouvais respirer qui elle était.  Son vécu venait se confronter au mien par la simple inhalation des spores de sa beauté venimeuse. J'étais comme hypnotisé. Mais également pris par la crainte. Celle de ne pas réussir à faire face à qui elle était. Je ne sais pas d'où elle venait, mais je n'en venais pas. Loin d'avoir emprunté des chemins similaires, je me pris de milles et une questions concernant ma propre route et de tous les obstacles que j'avais pu rencontrer. Rien de tout ça ne me semblait de taille à me confronter à elle. J'avais honte, honte de qui j'étais. Honte d'avoir tant mis en avant les douleurs par lesquelles j'étais passé. Honte de ce qui m'avait construit. Toutes ces peurs réunies dans une seule odeur. J'étais assommé par le poids de son existence, fasciné par sa posture et émerveillé par ses désirs. Ce petit être que j'étais, tout juste sorti de sa chrysalide, les ailes abîmées par son propre cocon. Je n'ai jamais pu faire autre chose que contempler un ciel sans étoiles, les remplissant de tous mes rêves d'envol, de liberté et de jouissance de vie. Pourtant, là, niché sous une pluie battante qui était la seul réponse que le ciel me donnait, cloîtré sous un amas de tôle rouillé, l'os natif entre mes mains que je suçais et rognais inlassablement pour en détecter les moindres pulsions de vie, elle fut ce que l'azur  m'offrit de plus beau. Elle fut mise sur ma route, dans cette pièce, là où rien n'indiquait qu'un tournant clé de l'histoire allait se produire. Pourtant tout était bien réel. Dans ma piole, cette satané piole, les dieux avaient joué au dés avec moi, et j'avais gagné. Un morceau de pierre céleste était tombé près de moi et j'en étais devenu le désir. J'étais coincé dans sa toile libidineuse crachée par le regard qu'elle jetait sur moi. Fier d'être sa proie, je me suis donné volontiers en offrande pour satisfaire chacun de ses désirs. Elle s'est approchée, j'ai vu son corps parader sa démarche via des pas nuptiaux pour se rapprocher de moi. Arrivée devant mes yeux, elle me lança un dernier regard saturé d'amour, je suis intimidé. Nous nous embrassons. 

Mais ce n'est pas elle que j'embrasse , ni une femme, ni un corps, ni un désir personnifié. Ce n'est rien de tout ça. J'embrasse mes idéaux, j'embrasse le monde dans lequel je me suis continuellement projeté, j'embrasse cette lutte indescriptible du vivant qui m'a été offerte, j'embrasse mon devenir. J'ai mis du temps à le comprendre, mais au fond de moi je le savais. Elle est ce que j'idéalisais.  C'était ce genre de personne que je n'aurais jamais pensé pouvoir fréquenter. Trop sale, trop abîmé par la vie. Pourtant, elle s'est mise sur ma route et m'a permis d'appartenir à ce monde avec qui je cohabitais  depuis trop longtemps. Lorsque je l'embrasse, je touche cet univers. Je crie haut et fort que dorénavant, nous vivrons d'amour, de sexe, d'art, d'écriture, de poésie, de lutte et de beauté. Tout ce dont j'ai tant eu peur, mais qui m'a amené à ce moment, à sa rencontre. Qu'une telle personne veuille de moi, j'en étais fou. Je pouvais enfin embrasser pleinement qui j'étais. Alors, dans la continuité de cette remarquable frénésie, je me suis empressé de griffer ce monde pour y laisser ma trace une bonne fois pour toutes. Ceci fait, je suis retourné à sa bouche, pour la retrouver, elle, afin de continuer ce que nous avions commencé.  

L'effort fini, quelque gémissement, pas de mots. Seulement ce qui fut nécessaire. Accompagné de cette simple idée, recommencer, encore et toujours. Se diviser inlassablement dans l'autre,  se dissoudre puis se créer de nouveau. Croisade cyclique sexuelle que nous avions décidé de mener, toujours sans un bruit, si ce n'est celui du corps, celui de la vie, de cette pulsion créatrice qui anime chaque être vivant de cette foutu planète. Nous n'étions réunis que pour créer, et c'était suffisant. 

Je la regarde une dernière fois, emprisonnée dans mes bras. C'est un instant d'or brut vidé de toute raison qui se présente à mes yeux. Chaleur somnolente. Le silence se tait. La lumière s'essouffle. Le monde s'enterre. Nous fermons les yeux. Je suis enfin en paix.  


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