Planète oubliée

Michaël Frasse Mathon

La rencontre de Xost et son équipage avec une forme de vie sauvage et primitive sur une planète inconnue.

        

Xost admirait la petite sphère bleutée et scintillante, à peine plus grosse qu'une bille, qui grandissait à vue d'œil à travers les vitres du vaisseau. En temps que navigateur, il savait combien l'espace regorgeait de merveilles et chaque expédition était pour lui un bonheur. Bientôt, la planète bleue engloba tout le champ de vision. Il fallait au plus vite réalimenter le vaisseau en oxygène et ce monde, que la providence avait placé sur leur trajectoire, disposait de ressources illimitées d'air pur. Xost était impatient de pouvoir fouler le sol de cette planète, foisonnant de couleurs et de vie, recouverte de mers, de rivières et de forêts. Un monde encore primitif, par encore souillé par la civilisation. Un environnement minuscule et pourtant plein de promesses.
Après une entrée difficile dans l'atmosphère, l'atterrissage se fit sans accro. Le grand vaisseau spatial de forme circulaire ralentit progressivement sa rotation, produisant une légère brise qui fit onduler les herbes hautes. La rampe s'abaissa et tout le monde se précipita dehors, pressé de se dégourdir les jambes dans la clairière où l'on avait élu domicile, quelque part au milieu de la forêt.
Xost pouvait enfin respirer de l'air pur, de marcher sur un sol où la gravité n'était pas artificielle. La pesanteur de cette planète semblait légèrement inférieure à celle de son monde natal. Ici, il se sentait plus léger, plus vivant et plus fort. Xost appréciait aussi d'être entouré par tant de nature. Sur sa planète, il n'y en avait plus guère.
Depuis sa cabine, le commandant de bord s'adressa à son équipage, via le haut parleur :
- Le temps que nos réservoirs se remplissent, vous avez quartier libre. Vous pouvez explorer, mais ne vous éloignez pas trop : on ne sait rien de ce monde. Première consigne : tout le monde doit être revenu dans quatre heures. Deuxième consigne : vous ne devez vous promener seul sous aucun prétexte ! Tout le monde ira par groupe de trois.
On pouvait se demander quels étaient les risques, dans un lieu si proche du paradis. Pourtant, Xost savait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. De nombreux mondes, en apparence d'une grande beauté, regorgeaient de dangers mortels.
Zalta, l'officier féminin pour qui son cœur battait, s'adressa à lui d'un air mutin :
- On va visiter le coin ensemble ?
Depuis des semaines, elle et Xost se tournaient autour. Conclure dans un endroit pareil aurait pu être inoubliable.
- Malheureusement, il nous en faut un troisième, répondit Xost à regret.
- Je viens avec vous, dit Voltan en s'approchant d'eux. Je n'ai pas l'intention de tenir la chandelle, alors abstenez-vous !
Personne n'appréciait Voltan, mais ils ne pouvaient pas refuser sa compagnie de leur supérieur.
Xost et Zalta regardèrent leur supérieur, sans rien dire.
- Eh bien, cachez votre joie ! aboya-t-il.
Comme les deux autres ne répondaient pas, Voltan pointa son doigt vers le sud, alors que le reste de l'équipage allait au nord.
- J'ai décidé que nous irions par là ! dit-il.

Une heure plus tard, les trois explorateurs s'aventuraient dans une vallée verdoyante et ombragée. Perché sur une branche d'arbre, un petit animal à plumes se mit à siffler dans leur direction.
Dans un reflexe, Voltan dégaina son cylindre à plasma et fit feu. De l'arme jaillit un rayon qui carbonisa la branche. L'animal s'envola.
- Il n'avait pas l'air dangereux, dit Xost en l'incitant abaisser son arme.
- Il est si petit et son chant si joli, comme pourrait-il nous faire du mal ? renchérit Zalta.
Voltan rétorqua :
- Vous devriez le savoir, on ne peut pas se fier à ce qu'on voit ! Ce qui est beau n'est pas forcément inoffensif. Une seule de ces créatures ne peut pas nous faire grand chose, mais imaginez qu'une centaine d'entre elles s'en prennent à nous, en même temps...
Cette idée fit frissonner Zalta, qui imaginait déjà des nués fondre sur elle. Pendant ce temps, une minuscule créature aux longues pattes et aux yeux ovales disproportionnés escaladait une feuille.
Pour donner du poids à son laïus, Voltan la désigna :
- Prenez cette bestiole, par exemple. Le dard qui prolonge son corps contient peut-être un poison mortel !
Cette fois, les deux autres ne trouvèrent rien à redire et le trio continua son exploration. Derrière eux, l'insecte alla se poser sur une grande fleur colorée.

S'enfonçant plus profondément dans la forêt, les trois explorateurs suivirent un sentier qui déboucha sur une rivière. Xost s'approcha du bord.
- La rivière est large, mais elle n'a pas l'air profonde, dit-il. Et il y a peu de courant. Je pense qu'on peut traverser à la nage.
- Et moi, je dis qu'il faut rebrousser chemin, répondit Voltan.
Tous deux débattirent quant à la décision à prendre, aucun ne voulant céder à l'autre. Zalta coupa court à la dispute en se jetant à l'eau. Sous les yeux ébahis de ses camarades, elle nagea avec aisance jusqu'à l'autre rive. Xost s'empressa de la suivre. Voltan, qui ne voulait pas passer pour un dégonflé, finit par traverser à son tour.
Leur combinaison étanche les protégeait du froid ; on devait être à la fin de l'hiver ou au début du printemps. L'eau était glacée.
Tandis qu'il nageait, Xost vit au loin un dos couvert d'écailles jaillir hors de l'eau pour avancer dans leur direction. Il ne lui en fallut pas plus pour accélérer le rythme.
Une fois sur la berge, Xost scruta la surface sans rien voir ; la créature avait dû replonger. Un instant, il imagina son supérieur se faire dévorer par un monstre aquatique, mais chassa aussitôt cette pensée.

Une heure après la traversée, les trois explorateurs firent une pause. Ils défirent chacun leur sac à dos pour en extraire leur plateau repas. La nourriture sous vide qui leur servait de provision n'était ce qu'on pouvait appeler de la grande gastronomie, mais ils avaient faim. Le repas se fit en silence, chacun reprenant des forces pour la suite du parcours. Mâchant sa pitance sans goût, Xost se prit à rêver à quelque chose de meilleur. Sur son monde natal, il était un fin gourmet.
- Je suis sûre que les fruits de cette planète sont délicieux, dit Zalta, qui en était déjà au dessert.
Voltan lui jeta un regard réprobateur. Apparemment, il avait la même opinion pour les végétaux que pour les animaux et les insectes. Xost attaquait son dernier quartier de viande, quand ils entendirent un rugissement dans leur dos.
Campé sur un rocher, deux mètres plus haut, un prédateur les toisait. Avait-il été attiré par la viande, ou se trouvaient-ils simplement sur son territoire ? Le fauve rugit de nouveau. De sa gueule dépassaient deux longues canines acérées. Dans quelques instants, il allait bondir sur eux. Alors, la sélection naturelle parlerait. L'un d'entre eux servirait de repas et avec de la chance, les deux autres pourraient s'enfuir jusqu'au vaisseau. Tel était, en tout cas, le scénario qui se dessinait dans la tête de Zalta.
Alors que Voltan levait son arme vers l'animal, Xost fixa le fauve dans les yeux. Soutenant son regard, Xost lui envoya des pensées apaisantes. Xost faisait partie d'une branche de son espèce dont les capacités mentales lui permettaient d'influencer les êtres d'intelligence inférieure. En quelques secondes, l'animal se calma et, après avoir grogné de dépit, il disparut dans les bois. Xost se tourna vers ses compagnons, d'un air victorieux.
- Le coin devient dangereux et il se fait tard, dit Voltan en regardant le cadran fixé à son poignet. Je propose de rentrer au vaisseau. Nous avons encore le trajet de retour à effectuer.
Xost et Zalta échangèrent un regard.
Certes, ils avaient eu peur, mais la tentation de continuer était trop grande. Cette planète était trop belle, trop riche pour arrêter de l'explorer maintenant. A côté, les autres mondes de l'univers avaient l'air de vulgaires cailloux.
- Vous n'avez qu'à rentrer, moi je continue, osa Xost.
Voltan le regarda de travers.
- Tu ne peux pas te déplacer seul, les ordres du commandant sont clairs !
Après un instant de réflexion, Zalta se plaça à côté de Xost.
- Dans ce cas, je reste avec lui, dit-elle en lui prenant la main.
- Vous savez le risque que vous encourez, si vous continuez seuls. Si le commandant vous prend en grippe, je ne pourrai rien faire pour vous !
- On le sait, dit Zalta.
Grommelant quelque chose d'incompréhensible, Voltan leur tourna le dos pour rebrousser chemin. Main dans la main, les deux jeunes gens s'enfoncèrent plus profondément dans la vallée.

Leur parcours les conduisit jusqu'à une nouvelle clairière, plus grande encore que celle où avait atterri le vaisseau. Un spectacle étonnant les y attendait : de géants animaux, recouverts de poils et pourvus de longues défenses, paissaient tranquillement, par dizaines. Xost voulut s'approcher, mais Zalta le retint.
- On ne sait pas comment ils vont réagir ! dit-elle.
Le jeune officier se tourna vers sa compagne.
- On n'a jamais rien vu d'aussi grand. Ca vaut le coup d'aller voir de plus près, non ?
Comme Xost s'élançait à la rencontre des mastodontes, Zalta se sentit obligée de le suivre. Xost choisit de s'approcher d'un des moins grands. L'animal ne parut pas troublé par leur présence. Xost se risqua à le caresser, invitant sa compagne à faire de même. Zalta apprécia le contact de ses doigts sur les longs poils.
L'alpha du troupeau poussa alors un barrissement, incitant ses semblables à fuir. Aussitôt, ce fut la débandade ! Les deux jeunes gens durent courir en zigzag pour ne pas se faire piétiner par les pattes gigantesques qui martelaient le sol et le faisaient trembler.
Une fois à l'abri dans les fourrés, ils virent une horde de bipèdes s'élancer à la poursuite des bêtes, munis d'armes rudimentaires. Quand l'une d'elles tomba sous leurs assauts, les bipèdes entreprirent de la dépecer, parlant entre eux dans un dialecte étrange.
Xost et Zalta contemplaient la scène avec horreur. Pour la première fois, ils sentirent le danger. Les chasseurs étaient nombreux et nos explorateurs ne seraient pas de taille à lutter, si on les repérait. Ils décidèrent donc de rebrousser chemin.

Le chemin de Voltan le conduisit de nouveau à la rivière. Il allait lui falloir la traverser une nouvelle fois. Rassemblant son courage, Voltan nagea, sans se préoccuper du banc de poissons qui traversait sous ses pieds.
Une fois de l'autre côté, Voltan s'assit sur la berge pour boire un peu d'eau et contempler le paysage. Il ne détecta tout de suite pas la forme ondulante qui s'approchait de lui, par lentes reptations. Voltan entendit d'abord un bruissement dans les herbes. Quand il se retourna, la première chose qu'il vit fut une tête aplatie en forme de V, pourvue de deux yeux cruels. Puis il découvrit le corps de l'animal, long et visqueux.
Voltan porta une main à son cylindre mais, dans un sifflement sinistre, le reptile frappa, lui inoculant son venin. Une douleur terrible inonda le bras de Voltan qui s'écroula sur la berge, pris de convulsions. Son corps était paralysé ; jamais il n'arriverait à ouvrir son sac à dos pour en extraire la trousse de secours et s'injecter un anti-venin.
Il avait commis une erreur impardonnable. Jamais il n'aurait dû se séparer des deux autres. Il aurait dû les convaincre, insister pour qu'ils repartent ensemble. Maintenant, il était trop tard. Il allait mourir ici, tout seul.

Alors qu'ils rebroussaient chemin, Xost et Zalta croisèrent le chemin d'un autre bipède, à une dizaine de mètres. Occupé par sa cueillette, il ne s'était pas aperçu de leur présence. Pour autant, impossible de le contourner ; il n'y avait qu'une seule route et cet individu la leur barrait. Ils allaient devoir se confronter à lui.
Intimant à Zalta de rester en retrait, Xost s'approcha de lui doucement. Le bipède se tourna vers Xost et pointa son silex vers lui en éructant. Xost essaya d'établir un contact mental. Rien ne se produisit ! Le bipède était peut-être trop évolué pour être influencé. Cette fois, l'affrontement était inévitable. Portant une main à son arme, Xost se rendit compte qu'il le l'avait plus. Quand l'avait-il égaré ? Dans la rivière, ou quand ils avaient couru pour échapper au piétinement des pachydermes ?
Le bipède s'élança vers lui.
Croyant son heure arrivée, Xost entendit une détonation derrière lui. La créature s'écroula, arrêtée net dans sa course. Xost se retourna et vit Zalta le bras tendu, cylindre pointé en direction de l'agresseur. Voyant son compagnon en danger, elle avait réagi.
Quand deux gens s'approchèrent de l'humanoïde pour le voir de plus près, ils eurent un choc. Comme tous les enfants, ils connaissaient les légendes. Celles de ce peuple extraterrestre qui aurait traversé l'espace, il y a des millénaires, pour les enlever à leur monde d'origine, les emmener sur une autre planète pour les modifier génétiquement, accroître leur potentiel physique et mental, les faire se multiplier avant de les éduquer, de les former aux voyages spatiaux et à la colonisation des mondes. Comme tout le monde, ils avaient cru à des racontars. Pourtant, ce qu'ils avaient devant eux défiait leurs certitudes. Ce que Xost avait pris pour de longs poils sur la tête étaient en réalité des cheveux et une barbe. Ce n'était pas un museau mais un nez qui se trouvait au milieu du visage.
Pour Xost et Zalta, le doute n'était plus permis : leur espèce était née ici, il y a longtemps. Car cet individu, étendu à leurs pieds, tout comme eux, était un Homme.


Le 05/10/2014


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