Rester dans le Game
Alexandre Galerne
Tous gamers
Les gamers sont finis. Vive les gamers ! C'est en substance ce qu'a révélé le #gamergate l'été dernier à travers lequel une partie de la communauté vidéo-ludique s'est insurgé contre un gaming populaire, un gaming qui s'est démocratisé ces dernière années. Il n'est désormais plus l'apanage de quelques hard gamers. D'une culture de l'ombre, le gaming est devenu mainstream grâce notamment à la multiplication des devices. Les ¾ des Français jouent aux jeux vidéo et la moitié sont des femmes. On est bien loin du profil du geek ado asocial reclu dans sa chambre derrière son écran.
On recense aujourd'hui beaucoup de profils de joueurs car le jeu est partout. Que l'on soit « casual gamer » le temps d'une soirée entre amis autour d'une wii, « appers » pour faire passer le temps sur son smartphone dans le métro ou joueur professionnel suivi, regardé et payé pour jouer, chacun s'est approprié le jeu vidéo selon les moments et son mode de vie.
Si le #gamergate a cristallisé les critiques des hard gamers à l'égard du grand public, c'est qu'ils ont le sentiment d'une perte d'identité, d'une culture qui ne leur appartient plus seulement à eux mais beaucoup plus large, qui se propage et s'infiltre partout dans les rouages de notre société. Le gaming est à l'origine de nombreuses évolutions de la culture pop que ce soit dans nos comportements, l'utilisation des technologies, les modèles économiques en place ou encore la production artistique.
La force créatrice
Avant d'être une culture à part entière, le gaming est une industrie, une activité créative devant répondre à des contraintes technologiques et commerciales aux lourds investissements. Si aujourd'hui l'industrie vidéo-ludique est si puissante, c'est qu'elle a du s'adapter, innover sans cesse pour plaire au public et vendre. Dans l'art ou le business, les idées neuves passent souvent par le jeu vidéo avant des s'étendre à d'autres secteurs.
Dès le début d'Internet dans les années 90, l'exploitation de contenus vidéo-ludiques a construit des communautés en mettant les utilisateurs en réseau bien avant les plateformes sociales telles qu'on les connait aujourd'hui. Dans les années 2000, l'industrie du jeu invente le modèle du « free to play » pour financer de gros investissements et poursuivre le développement des jeux en même temps que leur exploitation. Ce modèle est de nos jours largement utilisé sur les plateformes d'applications ou musicales et leur modèle freemium. C'est aussi sans doute l'avenir de la télé connectée, et plus globalement, le business model de référence sur des marchés de plus en plus dématérialisés. Le F2P est ultra efficace pour réunir très vite de grosses communautés d'utilisateurs, en convertir certains en clients et s'assurer un revenu qui permette de poursuivre le développement d'un produit ou d'un service. L'industrie du jeu continue à inspirer une économie du futur par de nouvelles pratiques managériales et commerciales à travers la co-création. La catégorie « gaming » est celle qui reçoit le plus de financement sur les sites de crowdfunding. Les gamers sont aussi très impliqués dans la conception des jeux, de leurs jeux quelque part. Les joueurs sont des consommateurs très engagés, prêts à défendre et améliorer les titres dont ils sont fans. Ils alimentent en continu les studios avant, pendant et après le développement d'un nouvel opus. Ils spéculent énormément sur les sorties à venir. Les gamers réagissent très vite aux communications, exigent des réponses précises et rapides, remontent les bugs… Face à l'activité de leur public, les studios sont obligés d'adapter leurs process pour satisfaire au mieux leurs fans. L'industrie vidéo-ludique a été l'une des premières à intégrer les méthodes agiles dans le développement de leurs produits. Pour la dernière version d'Assasin's Creed Unity, le projet a démarré autour d'une équipe réduite de 60 personnes et a pu compter jusqu'à plus de 1000 personnes travaillant simultanément dans 10 studios à travers le monde. Le jeu a été conçu par lot selon un processus itératif et testé par des gamers plus ou moins confirmés. Des structures d'écoute et de dialogue sont mises en place par les éditeurs afin de traiter les informations venues de la base en temps réel. La multiplication des contacts et l'agilité des organisations donnent lieu à des produits toujours plus aboutis et moins risqués commercialement car proches des désirs du public.
Communauté, crowdfunding, co-création, logique bottom up, … l'univers gaming jette les bases de nouvelles pratiques managériales et commerciales pour produire et mettre de nouveaux produits sur le marché. C'est tout un système qui se met au diapason de l'utilisateur final. Le jeu est peut-être en train d'inventer une nouvelle forme d'engagement ultime des consommateurs par rapport aux marques, un engagement total entre les deux parties. Les marques auraient-elles intérêt à « gamifier » leur approche du public ? Il est quoi qu'il en soit urgent de réinventer leur relation avec les consommateurs devenus gamers, imprégnés de la culture du jeu, des consommateurs-gamers actifs, solidaires, technophiles, exigeants et pragmatiques.
Le soft power ludique
Aujourd'hui lorsqu'on parle de gamification, on pense d'abord aux advergames et autres prolongement de campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux. Mais c'est une vision très réductrice du jeu, une ludification de surface qui privilégie plus le contact à l'engagement. Le résultat ne peut être qu'éphémère et la marque pas forcément plus respectée ou désirée.
Tout l'enjeu est d'intégrer le consommateur et de le laisser agir au cœur de la marque. Il faut désormais penser la communication à travers l'interaction pour faire vivre un message, le mettre à l'épreuve et l'expérimenter. La cible doit devenir acteur du message, la communication doit s'effacer au profit de l'expérience.
C'est dans cette optique que les leviers du jeu peuvent créer les bases d'une communauté solide et fidèle. Il existe 4 types d'expériences consommateurs dans la gamification selon Clément Muletier, auteur du livre éponyme.
le jeu de rôle: Nike+
Nike lance Nike+ en 2006, un programme qui permet aux runners de suivre, partager et comparer les résultats de leurs exercices physiques. Les membres de la communauté accumulent des « Fuel points » au fur et à mesure de leurs efforts, en se dépassant à chacune de leurs sorties. Ils peuvent se lancer des défis, profiter de coachings, participer à des événements Nike… L'utilisateur est dans la gestion de son propre personnage au sein de la communauté, il se place dans une logique de performance vis-à-vis d'un contenu, d'une narration interactive et collaborative. La performance du joueur-runner est évaluée par de objectifs de fuel points à atteindre ou dépasser, battre des records et être reconnu par ses pairs.
En 2012, Nike profite de l'essor des wearable technologies pour sortir le « fuel band » associé à une application pour permettre aux utilisateurs d'aller encore plus loin dans l'expérience du « just do it ». En 2013, la communauté Nike+ comptait plus de 11 millions de membres. Une stratégie payante puisque les parts de marchés de Nike sur le marché des chaussures running a explosé avec +14 points sur les 3 premières années du programme.
La compétition : Food 4 all
4Foods est la première chaîne de fast food grâce à laquelle les consommateurs peuvent créer et partager leurs créations de sandwiches. Il n'existe pas de menu préétabli. Le site web invite à composer les burgers avec les ingrédients qu'ils veulent et ensuite le partager avec la communauté. Chacun peut voter pour les propositions du site. Les plus populaires entrent dans le top du classement updaté en temps réel pour se retrouver en vente.
4Foods fait interagir sa communauté dans un objectif de performance. Nous sommes ici dans une logique d'empowerment du consommateur par la créativité pour soutenir les ventes. Recueillir des votes pour sa proposition et la voir commercialisée apporte ainsi un certain accomplissement personnel aux sandwiches lovers.
la coopération : Steam – Trading Cards
La plateforme de jeu en ligne Steam (+ de 40 millions d'utilisateurs) a mise en place un système de cartes à collectionner en fonction du temps passé par les gamers à jouer à leurs jeux favoris. Afin d'obtenir une série de cartes complète, les joueurs sont amenés à les échanger entre eux ou à jouer à de nouveaux jeux. Quand une série de cartes est complétée par un joueur il reçoit une médaille, une dotation ou des crédits sur la plateforme.
La plateforme met ainsi les joueurs en contact afin qu'ils s'entraident dans la poursuite de leur objectif. L'objectif personnel devient commun et créer des passerelles pour découvrir l'ensemble de l'offre de software disponibles sur le site.
le storytelling : US Army
America's Army est un FPS gratuit développé par l'armée américaine initialement pour recruter, il est aussi utilisé en interne pour l'entrainement. Les joueurs incarnent des soldats de l'armée américaine. Différents profils de soldats peuvent être choisis pour s'associer en équipe et mener à bien des missions. Tout l'univers de la US Army est reconstitué dans le jeu, des équipements au comportement sur les maps, on ne peut pas se battre du côté ennemi. Les joueurs récoltent des points d'honneurs au combat et en fonction de leur comportement dans le jeu.
Il est aujourd'hui l'un des exemples le plus connu de gamification avec la création d'une expérience utilisateur autour d'un contenu, dans un univers ludique et son exploration.
Tous ces exemples illustrent des leviers sur lesquels le jeu peut influer pour assurer un engagement réel du consommateur vis-à-vis d'une marque. Mais chaque mécanique employée doit être avant-tout utile au consommateur et directement connectée à l'essence même de la marque, à son message.
Le jeu est partout et continue à nous envahir. N'oublions pas que le jeu c'est aussi la rencontre entre une histoire et une technologie. La multiplication des supports va encore augmenter les possibilités de jouer. Prochaine étape avec les objets connectés.