Return of The Maid
Alan Zahoui
Une Bugatti Chiron noire filait sur une route de campagne abandonnée, si vite que ses pneus laissaient des traces indélébiles sur l'asphalte. Simon Mason se trouvait à son volant. Perdu dans le sud français, grisé par la vitesse, il se remémora son passé. La chaleur étouffante de Bahreïn. Les étoiles de Singapour. Les voies tortueuses de Monaco. Les forêts de Belgique. La victoire à domicile en Grande-Bretagne. Les souvenirs défilaient comme les kilomètres-heure sur l'indicateur de vitesse.
— Simon ! Stop the car !
Simon sourit comme la première fois que son père l'avait mis dans un kart. Dépasser ses adversaires lors de manœuvres périlleuses. Prendre un virage serré sans ralentir au risque de finir dans le décor. La vitesse et le danger étaient devenus son opium dès cet instant.
— Simon ! A girl is on the road !
Margaret avait enfin réussi à ramener Simon à la réalité d'une claque magistrale, mais il était trop tard.
Une jeune femme au teint basané et aux profonds yeux noirs s'était élancée sur la route. Elle poursuivait un chat blanc. Elle ne l'attraperait jamais.Elle s'écrasa sur le pare-brise qui tint bon malgré la violence de la collision. Du sang suintait déjà des fissures, alors que son corps n'avait pas achevé son envolée ultime.
Simon quitta sa voiture, sans se soucier de son épouse en état de choc. Il se dirigea d'un pas décidé vers le cadavre de la jeune femme, qui gisait à plusieurs dizaines de mètres de l'impact. Le visage de Simon était rouge vif, mais les coups de Soleil qui accompagnent la venue de l'été qui les avaient causés.
— You ruined my car !
Simon roua la pauvre jeune femme de coups. Son corps n'offrit aucune résistance. L'ancien pilote de Formule 1 avait l'impression de frapper dans un ballon de football dégonflé.
L'abdomen de la jeune gitane avait été complètement enfoncé. Sa colonne vertébrale n'était plus qu'un puzzle impossible à reconstituer. Ses bras et ses jambes désarticulés formaient des angles improbables. Du sang s'échappait de son crâne défoncé.
Simon cracha au visage de la pauvre victime. Il la frappa encore et encore. Il la frappa tellement que ses chaussures rougirent.
— And now, you ruined my shoes, you fucking cunt !
Tout à coup, le chauffeur de la Bugatti ressentit une vive douleur. Le chat blanc de la gitane avait les crocs enfoncés dans sa cuisse. Simon asséna de multiples coups au félin. Rien n'y faisait. L'animal de compagnie ne relâcha pas sa prise.
— Carmen ? Carmen ?
Les gitans semblaient avoir remarqué que l'une des leurs avait disparu. Simon courut vers sa voiture, le chat toujours accroché à sa jambe. Avant de rentrer complètement dans la Bugatti, Simon referma la portière sur le chat. Il y eut un craquement sec. La pauvre bête retomba sur l'asphalte, inerte. Simon lut « Domrémy » sur le collier du chat puis s'enfuit à toute vitesse. Les touristes anglais arrivèrent à leur résidence secondaire en fin d'après-midi. Simon et sa femme Margaret se séparèrent pour vaquer à leurs occupations. L'ancien champion posa ses vieux os sur un transat situé sur son immense terrasse.
De sa position, Simon admirait le Soleil couchant du sud de la France. Sa béatitude fut troublée par une trainée blanche à l'horizon qui ruinait le panorama. Quel était ce phénomène étrange ? Simon saisit ses jumelles. Il aperçut un chat blanc au loin. Le félin arrêta sa course, conscient d'avoir été repéré. Son regard perçant croisa celui de Simon et un sourire carnassier se dessina sur son visage.
Les jumelles de Simon tombèrent. Impossible qu'il s'agisse de Domrémy. Il n'aurait pas pu survivre après avoir été coupé en deux par une portière. Simon avait dû prendre un coup sur la tête durant l'accident. L'ancien pilote ramassa ses jumelles en tremblant. Le chat était toujours là. Il narguait Simon, lui brandissait son majeur levé. Le millionnaire anglais partit s'équiper dans son armurerie. Si sa Bugatti n'avait pas réussi à venir à bout de ce démon, un fusil de chasse y remédierait.
Simon mit Domrémy en joue. Le félin était immobile, insensible au danger. Simon tira. Une femme en cuirasse se matérialisa devant lui. La balle ricocha et lui explosa le bras. Ne restait plus que quelques os et un simple moignon d'où s'échappait des litres de sang. Simon cria en silence. Il voulait extérioriser cette douleur insupportable, mais sa gorge brûlait, comme s'il avait bu des litres d'un alcool à quatre-vingt-dix degrés.
Impossible pour Simon de voir le visage de son bourreau. Les dernières lueurs du Soleil l'en empêchaient. La femme en armure maculée de sang sortit une épée sertie de trois croix en rubis de son fourreau. Elle enfonça sa lame dans le torse de l'Anglais et y grava quatre lettres incandescentes. M-A-I-D. Du feu liquide semblait se propager dans tout le corps de Simon. Il circula dans ses veines, puis ses artères en brûlant tout sur son passage. Il s'insinua jusqu'au cœur de pierre de Simon et le réduit en cendres.
Alors que son mari se consumait de l'intérieur à quelques pieds au-dessus d'elle, Margaret regarda une dernière fois son portable avant de s'installer dans le jacuzzi. Sa servante lui avait envoyé un message. Elle avait dû partir en urgence. Avant de quitter la villa, elle avait trouvé une remplaçante pour la soirée et déposé une dizaine de bouteilles de vin devant le jacuzzi. Venait l'heure de la dégustation.
Le premier verre était majestueux. Un 23 avril pour les papilles. Ou un 14 juillet pour les Français. Sa robe était ronde et fruitée.
Le deuxième verre était divin. Un orchestre de séraphin jouait la plus belle des symphonies dans son palais.
Le troisième verre était…
Margaret recracha le vin dans le jacuzzi. Il avait un gout métallique et avait pris une teinte rouge sang.
— Carmen ! Carmen !
La servante remplaçante accourut. C'était une jolie jeune femme, aux yeux noir profond et à la peau bronzée. Elle portait des Louboutin léopard à tomber. Il s'agissait d'une édition limitée. Il n'en existait qu'une cinquantaine dans le monde. Margaret tuerait pour les avoir.
— Madame ? Do you want my shoes ?
Margaret sourit à pleine dent.
— I'd like to, sweetheart !
Carmen enleva ses chaussures et se rapprocha du jacuzzi. Margaret se hâtait d'observer ses merveilles sous toutes les coutures. Elle s'imaginait déjà les exhiber lors de dîners mondains. Carmen planta l'escarpin dans l'œil gauche de sa maîtresse. Son orbite émit un doux chuintement. Margaret hurla à s'arracher les cordes vocales. Carmen enfonça sa deuxième Louboutin dans l'œil valide de Margaret. Le talon voyagea jusqu'au cerveau de la victime. Le cri de Margaret s'interrompit. On entendait plus que le crépitement des bulles du jacuzzi.
Les Louboutin avaient tapé dans l'œil de Margaret.
Des flammes vives émanèrent des paumes de Carmen. Elle contempla la maison brûler en sifflotant Burn it Down de Linkin Park.
Cet accident ignoble était l'incident de trop après plusieurs vies dédiées à Dieu et aux Hommes. Il était temps pour Jeanne de prendre sa revanche sur les Anglais. Le Royaume disparaitrait dans un brasier infernal.