Réveil dans les toilettes

[Nero] Black Word

Petite histoire sur un réveil que l'on n'aimerait pas vivre.


Étendu, plongé dans le plus grand sommeil, il s'y perd et s'y noie avec plaisir. Il se sent en paix, serein. Ses rêves le portent dans un paysage lointain, hors de portée. Il s'envole jusqu'à toucher le ciel, et s'y abandonne.

Un tambourinement régulier vient lui piquer les tympans, une masse douloureuse s'appuie contre sa tête, un goût acide et malsain empoigne sa gorge, une odeur déplaisante perse son visage par son nez, un froid affamé vient se délecter patiemment de son corps. Il ouvre les yeux, laissant la luminosité blanchâtre s'immiscer en lui à travers ses iris.

Seulement vêtu d'un T-shirt blanc et d'un jean, la cheville attachée par une épaisse chaîne à l'énorme tuyau contre lequel il s'était assoupi. En panique, n'éprouvant aucun apaisement dans cette situation, il hurle. Tire sur la chaîne à s'en arracher les mains, cogne le tuyau à en détruire ses articulations, criant à l'aide à en perdre la voix.

Mais le silence et la solitude étaient ses seuls témoins.

Ses yeux tristes cherchèrent à fuir la situation et se baladèrent autour de lui.

Étendu sur un carrelage aussi froid que sale de toilettes depuis longtemps oubliée, la pièce d'un blanc crasseux orné d'un éclairage brut, mettant en avant urinoirs, vécés et lavabos, dont chacun laissait l'environnement profiter de l'odeur humide et nauséeuse qu'elles dégageaient. Alors que l'envie de vomir se manifesta, il vit sous ses yeux, à un demi-mètre de lui, deux choses peu rassurantes.

D'un côté un petit couteau pourvu de dents, de l'autre un large amas de matières fécales encore chaud dont le bout d'une clé trônait en son sommet.

Sans trace d'hésitation dans son geste face à cet objet salvateur, il attrapa délicatement la clé entre son pouce et son index de sa main gauche, prenant soin de ne pas se salir les doigts, et la tira d'un coup sec et empressé vers le haut.

Un petit déclic retenti, un fracas métallique suivit, et un jet de merde et de son l'éclaboussa. Rapidement accompagné de la peur et de la douleur. Son pouce, son index et son majeur venaient d'être attrapé par une mâchoire de fer rouillée, cassant les os de ses phalanges et le retenant ainsi prisonnier. Il hurla de plus belle, levant la main en souhaitant la dégager mais ne faisant que déplacer le piège en répandant excréments et sang.

Immédiatement, il s'empara fermement du couteau et, faisant glisser la lame entre les dents rouillées, tenta maladroitement de faire levier pour en écarter la mâchoire. Dans un bruit de mécanique usée, le piège commença à s'ouvrir, avant de se refermer d'un coup sec sur ses extrémités au moment où la lame contondante se brisa nette de moitié. Il jura, pleura et hurla encore, et encore.

Les secondes s'écoulèrent comme son sang. Serrant toujours le manche du couteau dans sa main valide, appuyé contre le tuyau de sa captivité. Ses cris s'estompent, contrairement à ses larmes et sa douleur.

Après une grande perte de conviction, le froid grignotant lentement son corps, il retenta l'expérience. Patiemment, écartant de nouveau la gueule d'acier, essayant de dégager ses doigts qu'il ne sentait quasiment plus. Mais le mécanisme eu raison de sa faible volonté.

Torturé par la douleur, il respire profondément et, serrant plus fermement que jamais son ustensile, il porta ce qu'il restait de la lame à la frontière qui séparait ses extrémités libres de ses doigts percés. Ses gestes furent ponctués de tremblements, ses pleures s'intensifièrent, et la simple idée de faire ce qu'il allait devoir faire lui donna envie de mourir.

Après un temps interminable, il prit une profonde inspiration, ferma fort ses yeux et sa bouche, émit un début de hurlement et planta les dents du couteau dans son index. Immédiatement, avant que son instinct de préservation ne le retienne, il entreprit de couper.

Charcutant sa chair, s'acharnant sur ses os, il scia son index, puis son pouce en même temps, utilisant la douleur insupportable pour trancher davantage. Il arriva au terme de son index, à mi chemin sur son pouce opposable, et entama le plus long de ses doigts. Hurlant jusqu'à sentir sa voix se casser comme ses phalanges, il libère ce qu'il reste de son pouce et poursuit son agonie avec son majeur.

Arrivé à un terme trop longtemps souhaité, son dernier doigt captif tombe avec le piège, il se lève et prend la fuite. Rapidement mit à terre par la chaîne retenant sa cheville, brisant un carreau de carrelage grâce à la chute de son crâne. La légère portée de la courte inconscience qu'il en obtient lui fait oublier l'espace d'un instant la douleur qu'il connu peu de temps avant.

Se réveillant rapidement, tremblant de tout son être, il se tourna vers le tuyau. Lentement, épuisé, il ramasse la clé et ses doigts coupés, se libère de ses chaînes et traîne son corps jusqu'à la porte. Les doigts dans sa poche, serrant sa main mutilée, gardant le reste du couteau dans son autre poche.

Passant devant un miroir abîmé et crasseux, il se voit aussi blanc et salit que le décor, avant de quitter la pièce. 

 

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