Rêverie Nocturne

Florian Lapierre

Une mystérieuse cabane trônant au sommet d'une colline perdue au milieu de la nature. Voilà le lieu de destination des pèlerins en quête de pardon, de rédemption et d'oubli. Couverture: Louisa B.

Un torrent de larmes noyait le bois qui pleurait éternellement des perles de pluie sur le sol boueux, créant des flaques obscures où l'astre lunaire se reflétait sur la surface trouble. Le vent tempétueux balayait dans tous les sens l'averse qui tombait sans interruption sur le paysage morne. La nature noyée dans une lumière bleutée marine était endormie. Les feuilles se laissant pendre en direction du sol, certaines flottantes sous forme de taches sombres sur la fine pellicule d'eau. Seuls le bruissement des branches, du feuillage lors des rafales de vent fougueuses et le déversement monotone des pleurs du ciel se faisaient entendre, engendrant l'ambiance d'affliction du bois en deuil, au pied de la colline plongée dans la pénombre.

De petits pas éclaboussèrent les buissons ramassés sur eux mêmes et tracèrent une marque pâteuse sur la terre gorgée d'eau. Cette ombre se faufilait entre les arbres qui se lamentaient, tandis que sa démarche lente et courbée trahissait une lassitude semblable au décor qui l'entourait. Ce lieu semblait marqué par une influence malheureuse.

La demi lune était cachée en partie par de sinistres nuages, d'où provenaient les innombrables traits qui chutaient sur la jeune silhouette solitaire. Celle-ci, aussi petite qu'une enfant, était nimbée d'un halo d'azur sombre quand les gouttes se heurtèrent à elle et ricochèrent en laissant une part de leur élément couler le long de sa cape. Les épaules baissées et la tête rentrée, la personne continua son chemin se laissant guider par son cœur et par sa douleur. Le chagrin ne se calmait pas et redoublait de violence parfois. Elle dut s'arrêter et s'abriter derrière un épais tronc afin d'éviter les bourrasques dévastatrices qui tentaient de la repousser. Sous sa capuche qui se rabattit violemment en arrière par une puissante vague invisible, se dissimulait une jeune figure, trempée, qui luisait au clair de lune, révélant ses traits enfantins. Malgré le déchaînement des éléments et l'affliction omniprésente dans ce bois, l'enfant tint bon, maîtrisant ce qui résultait de sa propre volonté.

Les marches glissantes en pierres grises se dressaient devant lui, offrant une ascension vers le ciel obscur et la solution à ses maux. Grimpant sans prendre plus de précaution, il ne semblait pas se soucier de son sort. Résultat de l'inconscience ou bien de l'abandon de soi-même ?

Observé par l'incarnation lunaire, il continua, malgré la tempête se déversant sur son vêtement qui se fondait dans la nuit noire, et résistant à la nouvelle explosion de rage du vent capricieux et incontrôlable. Les éléments semblaient tout faire pour l'empêcher de parvenir au sommet de cette colline, comme si une présence consciente voulait éviter à l'enfant de commettre une grave erreur.

Une fois à l'entrée de la cabane, d'où nulle lumière ne provenait, il se sentit enfin protégé de la nature. Son visage jeune et affligé était creusé par de sombres cernes lisses au bas de ses yeux bleus. La bouche figée dans une expression de tristesse profonde, il fixait la porte de la battisse, sans bouger. Derrière, le ciel se calma, et c'est après une longue inspiration qu'il franchit la limite. La pièce plongée dans les ténèbres n'était éclairée en son centre que par une colonne de lumière pâle issue du ciel, reflétée par l'astre solitaire. Ses yeux habitués à la vie nocturne discernèrent un homme au bout de la pièce qui s'avançait lentement. Malgré l'atmosphère sombre et étrange, cette situation de l'effraya pas. Après tout il était là pour atténuer sa douleur.

Cet inconnu se trouvait face au garçon, de l'autre côté de la source lumineuse. Ce dernier ressentait un certain apaisement, lorsqu'il baigna dans l'obscurité, tout en entendant le bruit de la pluie martelant le bois. La pièce vide et triste, renvoyait un écho de soi même au jeune enfant qui se trouva comme à l'intérieur de lui. Seul et désemparé.

Après un long instant à contempler la lumière lunaire, plongée dans une rêverie nocturne, au milieu de noires pensées, il décida de dévoiler son souhait à cet homme censé les exaucer.

— Je veux aimer.

Ses mots s'étranglèrent dans sa gorge noyée dans les larmes et le désespoir. Tout en essayant de garder la tête haute, les yeux humides et le souffle court, il continua afin de mieux exprimer ce qu'il ressentait, devant le regard impassible de l'adulte.

— Je veux pouvoir partager ma vie avec quelqu'un, mes joies et mes douleurs, ne plus être seul.

Le jeune enfant venait de se vider, de se libérer. Peut-être n'en avait-il pas encore conscience, mais ce qu'il venait de faire, peu le faisait avant que le tailleur n'explore leurs âmes. Était-ce encore un âge où l'on pouvait espérer l'aide de quelqu'un sans avoir peur d'éprouver de la honte ? Que de questions auxquelles réfléchir, songea le vieil homme. Mais plus tard, le temps était venu d'aider ce garçon.

Il tendit sa main tremblante, traversée par plusieurs veinules bleus s'entrecroisant, dans la lumière venant des cieux, ne jugeant pas nécessaire de parler pour se faire comprendre. Son geste et son regard suffisaient. Le garçon se rappela subitement ce qu'il avait dans la poche, et en retira deux cristaux de saphirs trempés et brillants au contact des rayons provenant de la toiture ouverte. Tournant le dos après avoir récupéré ses catalyseurs, l'homme s'installa sur son bureau dans la pénombre, comme si la lumière n'avait aucune importance. Car rien d'autre n'avait d'importance à ce moment là, excepté son travail.

L'enfant plongea alors de nouveau dans la sombre abîme de la solitude, s'engouffrant toujours plus profondément dans ces abysses insondables où nul son et nulle vie n'existaient. Rien d'autre que son âme égarée et meurtrie par sa propre conscience. Laissant un poignard glaciale lui entailler le cœur, un regain d'espoir le fit émerger, lorsque le vieil homme s'adressa à lui.

— Contemple la parfaite lune, libre et solitaire. Laisse la t'envahir, ainsi, quand j'aurai fini, tu ne te sentiras plus jamais seul.

Obéissant à son aîné, il leva la tête vers le cercle que dessinait le toit et plongea son regard azur dans la douce lumière nocturne, berçant son cœur en le calmant par sa présence. Tout était silencieux, et quelques gouttelettes d'eau ruisselaient sur son visage blanc. Il prit alors conscience que le monde autour de lui n'était pas triste ou endormie. Non, il était calme et attentif. La nuit était témoin et spectatrice. La lune observait tout ce qu'il se produisait plus bas et maintenait la vie alors que le patriarche solaire était partit loin, abandonnant ses enfants de la nature. Protectrice et attentionnée, voilà ce qu'était cet astre sublime.

Alors dans l'essence même du garçon, grandit pour la première fois un sentiment inconnu, une vague chaleureuse et bleutée apportant un réconfort bienfaiteur. Il avait comme l'intuition qu'à partir de cette nuit, il ne serait plus jamais seul.


Des remous argentés illuminés d'un bleu marin riche, naviguaient en son sein, guidés par un rythme apaisant et répétitif, rappelant inlassablement les mêmes formes violacées et courbées qui s'écrasaient sur une mer invisible. Éclairé par un clair de lune intense, l'enfant sortit de son absorption et reprit possession de son corps. De nouveau piégé avec lui même, ses démons le hantèrent et l'emplirent, agitant son âme malmenée. Deux larmes imprégnées du scintillement envoyée par cette sphère blanche, glissèrent le long de ses joues, tandis que l'enfant essayait de comprendre ce qui lui était arrivé.

Il n'eut pas le temps de la réflexion que le vieux tailleur se leva de son atelier. Installant deux chaises, qui furent cachées dans les ombres de la pièce, de part et d'autre de la colonne de particules lumineuses. Le garçon ne se souvint pas avoir vu les yeux de son interlocuteur avant qu'ils ne soient ornés des saphirs sombres au cœur azur, les mêmes qu'il avait apportés pour quérir ses services. Ne posant pas de question, car beaucoup trop d'entre elles se bousculaient dans son esprit, il accepta ce fait et s'assied, se préparant mentalement à ce qu'il était venu chercher.

Face à l'adulte qui le regardait de sa hauteur, ainsi que ses yeux brillants d'un océan de couleurs nuancées, il entendit un murmure grave lui parvenir.

— Que veux-tu ?

Cette question n'avait pas de sens suite à ce qu'avait avoué le garçon auparavant, pourtant il n'avait plus la même réponse. Il savait plus clairement ce qu'il désirait, comme si une révélation lui était apparue.

— Je ne veux plus jamais être seul. Je ne parle pas simplement d'amour, non, en général dans la vie, pour moi-même, ne plus me sentir seul dans ce monde. Je veux exister pour quelqu'un.

Ces derniers mots firent frissonner imperceptiblement l'homme qui écoutait attentivement. Un écho se propageait en lui, atteint par la portée et la justesse de ces dires. Exister pour quelqu'un.

Il ne fallut qu'un regard pour que l'homme plongea dans le torrent qui habitait le regard de cette jeune vie. Le vieillard fut emmené par un courant impétueux qui l'entraînait toujours plus loin dans les eaux profondes de son existence, parcourant ainsi ces premières années de vies, de joies et de chagrins. Découvrant des souvenirs indigos et des bribes de mémoires grisées. Des bulles s'élevaient en changeant de couleurs, à mesure que la matière étrange qui la constituait, tournoyait inlassablement. S'aventurant toujours plus loin dans les profondeurs d'une vie qui avait encore un large panel de saveurs à goûter, de connaissances à apprendre et d'émotions à ressentir. Toutes ces couleurs nobles et individuelles au milieu d'une encre noire qui se propageait comme une vapeur persistante sur les vagues colorées et indomptables. Ces sombres douleurs qui traçaient des sillons grisâtres dans les majestueux tourbillons caractérisant l'attachement.

Plus il descendait, plus il comprenait la tristesse du garçon. Le doute, la peur et le manque de confiance influaient sur le courant des sentiments et bouleversaient ses pensées en l'obligeant à se reclure, à se fermer, à rester seul. Il n'y avait qu'un seul remède à cela.

Le tailleur eut un pincement au cœur lorsqu'il prit sa décision et ainsi, il plongea pleinement dans la souffrance de l'enfant, afin de que ce dernier puisse sentir qu'il avait trouvé cette région abandonnée. Les multiples émotions sauvages, capricieuses et incontrôlées qui étaient enfermées le plus loin de son essence se mirent à battre furieusement en la direction de l'homme. Pendant un moment qui parut une éternité, il fut la cible de ce tourment, ressentant chaque parcelle de tristesse et de colère qui bouillonnait à l'intérieur du petit corps.

Quand il fut sur le point de s'évanouir de douleur, il décida de rompre le contact, émergeant brutalement à la surface en respirant, à grand coup, l'air qui venait à lui manquer.

Son corps était moite, la sueur ruisselait sur ses bras, son dos et son visage. Haletant il regarda le garçon évanouit, figé dans une expression qu'il n'avait alors jamais vu sur ses traits depuis leur rencontre. L'ombre d'un furtif sourire éclairait sa bouche, baignée dans la lumière maternelle de la lune. Le tailleur n'eut pas besoin de voir les yeux du garçon pour deviner l'émotion qui régnait en lui à ce moment là. Non il n'en avait pas besoin, la confiance et le bien-être sont deux symptômes qui brillent comme une force extraordinaire depuis la carapace extérieur de l'Homme.


Cela faisait quelques heures que l'enfant était parti. Son sourire n'avait à aucun moment quitté son visage depuis son réveil jusqu'à son départ. Envahi d'une énergie nouvelle, d'une vigueur inouïe, il ne s'était pas attardé, ne perdant pas de temps pour profiter d'une vie faite de nouveaux goûts, de nouvelles senteurs, qui ne demandait qu'à être vécue pleinement. Remerciant vivement son sauveur, il le laissa à ses occupations, c'est à dire, à ses réflexions.

Plusieurs questions occupaient son esprit, alors qu'il saisit sa plume afin de graver ses incertitudes. L'essence noire traçait des formes et des courbes sur le papier, créant ainsi un langage qui pouvait être comprit de tous. Du moins, de tout ceux l'ayant au préalable appris. Cela en soi le fascinait toujours, bien qu'il fut conscient que ses écrits étaient avant tout un moyen de mettre au clair ses idées et toutes les questions auxquelles il essayait tant bien que mal de répondre. Toutes ces émotions qui se confrontaient en son intérieur, toutes ces douleurs qu'ils avaient vues, entendues, vécues. Peut-être serait-il devenu fou s'il n'avait pas traité par écrit ses pensées, aussi incompréhensibles soit-elles. Mais cela ne restait que supposition, de plus, le cas du garçon l'accaparait entièrement.

Il avait décidé d'agir autrement cette fois ci. Oui, ce fut la première fois, la seule où l'absorption n'avait pas eu lieu. Il n'avait rien fait d'autre que sonder son âme entièrement. Aucune couleur, aucune émotion n'avait été retirée, ajoutée ou bien changée. Non, cela aurait été mal.

Cette jeune vie avait encore beaucoup à faire pour se construire et le façonner dès son jeune âge l'aurait privé de sa liberté sentimentale, privé de ses propres choix qui pourraient le conduire vers un bonheur inconnu. Or, le simple fait d'avoir partagé ce qu'il était l'avait éveillé. Se regardant comme quelqu'un de nouveau, il voyait le monde d'une toute autre façon, une vision plus vaste et plus magnifique. Même si l'enfant ne savait pas ce qu'il s'était passé, il resterait persuadé que le vieil homme avait taillé son âme. Car, tout ceux qui avaient à faire à lui pouvait le confirmer, il exécutait toujours son travail. Toujours. Mais pas cette fois ci.

Une pensée lui traversa alors l'esprit, qui tournait tel les rouages d'une machine quelque peu rouillée. Une pensée qu'il ne put expliquer, si ce n'est qu'un furtif sentiment, impossible à préciser. L'idée que son travail prendrait bientôt fin. Qu'il ne pourrait plus absorber une partie de la vie d'une personne. Non, il trouvait cela immoral, cruel et stupide pour ceux qui le demandaient. Évidemment, personne ne comprendrait, lui même l'ayant comprit beaucoup trop tard. Peut être sommes nous condamnés à ressasser les mêmes erreurs.

Chassant d'un geste les pensées qui prenaient le contrôle sur ses réflexions, il se rendit compte pour conclure sa déduction et son acte auparavant impensable auprès du garçon, que quelque chose venait de naître en lui. Un sentiment nouveau. Cela lui vola un sourire, car c'était une sensation qu'il n'avait pas connu depuis longtemps.

En effet, pensa-t-il, son âme avait changée.

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