Rêves brisés

Le réveil sonne, il est 8h. Je suis réveillée par une daube des années 80, comment on peut encore passer une chose pareil à la radio de nos jours, c'est fou ! Ah l'horoscope ! Je sais que c'est des conneries, mais aujourd'hui je me marie quand même, je veux être certaine que les astres et tout le système solaire soient de mon côté ! Oh mon Dieu, dans quelques heures je serais mariée, enfin !

Mais avant, il me reste encore plein de chose à préparer pour que ce jour soit parfait. Alors, pour les Balances… « Ne cherchez pas à avoir raison, vous perdrez à ce jeu, Jupiter ne joue pas en votre faveur ». Mais je l'emmerde moi Jupiter ! Bon et en amour ils disent quoi ? « Vous pourriez bien avoir un évènement à fêter » A bah tu m'étonne ! « Vous vous mettrez sur votre 31 pour plaire et vous plaire ». Bah c'est sûr que je ne peux pas faire mieux que la robe de mariée pour le coup, ça c'est clair, surtout la mienne ! « Vous savez que le charme passe d'abord par un sentiment positif d'accomplissement de soi ». Mais qu'est-ce qu'ils racontent eux là ? Bon ça me gave, j'ai pas que ça à faire, je dois aller chercher ma robe chez le teinturier! Vite, très vite ! Seigneur, faites qu'il n'y ait pas de retouches supplémentaires à faire, je n'ai vraiment pas le temps! Mon fiancé m'appelle, je n'ai même pas une minute pour faire la conversation ! Sur ma route, un clochard, il me demande une pièce. Excusez-moi, monsieur, je n'ai pas le temps !

Je stress, je passe la porte et là je vois ma robe, elle est sublime. Je peux souffler. Vite, à la maison ! Ma mère, ma sœur et mes demoiselles d'honneurs m'attendent dans le hall. Elles m'aident à me préparer, mais dès qu'elles me parlent je ne peux pas m'empêcher de leur crier dessus. C'est mon jour, il faut me comprendre. Ma maquilleuse a du retard ! Je vais la tuer !!! En attendant j'enfile ma robe. Ma mère pleure, moi aussi je pleure, j'ai le droit vu que je ne suis toujours pas maquillée! Je vais finir par pleurer pour d'autres raisons que par émotions. Ouf, elle arrive enfin cette connasse, elle a intérêt à me rendre magnifique.

Mon fiancé essaye encore de m'appeler, désolé mon cœur mais j'ai pas le temps de répondre, on se verra à la mairie ! La coiffure n'est pas encore finie, il est presque 11 h et je dois être à la mairie à midi ! Oh mon Dieu quel stress, je ne serais jamais prête à temps ! Je ne veux pas de travail bâclé, mais si je suis en retard, le maire va peut-être vouloir annulé ! Trop de bruits, trop de bruits dans ma tête ! Je deviens folle. Bon je suis maquillée, je suis coiffée, habillée... Qu'est-ce qu'il reste à faire ? Je dois appeler l'autre là, pour savoir si la salle des fêtes sera prête à l'heure. Mais je le ferais plus tard, allez vite direction la mairie, vite, vite, vite, on a déjà 10 minutes de retard, oh quel cauchemar ! Non ce n'est pas un cauchemar, tout va bien, la journée va être géniale, la soirée aussi, blablabla... Et la nuit de noce, n'en parlons pas, tant qu'il dit oui et qu'il ne me ridiculise pas devant ma famille, il aura droit à tout ce qu'il veut!

Oh peu importe, que ça se finisse vite ! Bon il faut que je me calme, c'est mon mariage quand même, le plus beau jour de ma vie, nan ? Ah oui quel bonheur ! Allé je me calme, je vais y arriver, arrête de stresser ma poule... Tout va bien se passer, tout va bien se pa... Je suis dans la voiture et là la sonnerie de mon téléphone me sort du cours de mes pensées, elle m'a fait sursauter, si ça continue je vais faire une crise cardiaque! J'imagine que c'est pour me demander si on arrive bientôt. Oh mais ça va c'est pas la mort une mariée qui a quinze minutes de retard, ça fait même un peu cliché, je suis une princesse aujourd'hui, non ? Alors faites pas chier ! Bon déjà la troisième sonnerie. Je réponds.

Je pensais enfin vivre la vie dont j'avais toujours rêvé. Ce matin, tout allais bien, j'étais persuadée que ce serait le plus beau jour de ma vie. Je me sentais si connectée à la terre, amoureuse de la vie, des yeux brillants regardant vers l'avenir. J'y avais cru, j'avais tout prévu. Alors ça continue ? Ça ne s'arrêtera jamais ? Je suis condamné au malheur éternel. Ce que je pensais être un cadeau de Dieu s'est transformé en une ignoble blague, ma vie entière n'est qu'une blague !

Je pensais enfin devenir la femme dont j'avais toujours rêvé d'être. Là je ne suis plus rien. Je ressens un grand vide en moi. Parfois je pleure, puis ça s'arrête et ça repars. Je vois son visage, je ne suis même plus sûr de savoir comment il était, non je ne sais plus, je ne sais pas ce que je vois, une chimère, ce n'est plus qu'une chimère! C'est déjà terminé, d'avoir la chance d'être heureuse. C'est fini, je ne pourrais plus jamais l'être. La femme que j'étais ce matin n'existe plus. Je ne sais plus ce qui me retient à ce monde, je pourrais me tuer et le rejoindre. Et si il n'y avait pas de vie après la mort, alors réellement je ne le reverrai jamais, cette vie d'ici-bas ne servirait qu'à nous faire souffrir, sans aucun but réel, sans aucun sens. Le vide suprême, un trou noir avec des milliards d'humain dedans. Des êtres humains toujours malheureux qui engendrent des êtres malheureux. Je n'ai plus la force, je n'ai pas envie d'avoir la force. Je ne peux plus, je n'y arriverais pas. Comment me relever après ça ? Je vais l'oublier ? Mon cœur est brisé, mes rêves sont brisés. Je devais être mariée aujourd'hui, je devais partir en Italie demain, j'adore l'Italie, depuis le temps que je n'y étais pas allé.

Hier encore, je l'avais vu, il était là, il me serrait dans ses bras et maintenant je suis seule. C'était trop beau pour être vrai. C'est pas pour moi, le bonheur. C'est pour les autres, moi je ne suis qu'une grosse blague de la nature. Il y en a qui sont né pour avoir une vie extraordinaire et d'autre pour avoir une vie de merde. J'aurais toujours une vie de merde, ça ne changera jamais. A chaque fois que je touche du doigt ce dont je rêve, il s'envole. Je ne me marierai pas, je n'aurais jamais d'enfants. Je ne serais plus jamais amoureuse, le temps n'y changera rien, si je lui accorde la chance d'en décider. Je pense me suicider, sérieusement je le pense très fort. A quoi bon continuer, à quoi bon se battre ? J'en ai bavé toute ma vie, pour quoi au final ? Pour me retrouver veuve le jour de mon mariage ?

C'est comme s'il m'avait abandonné, comme tout le monde. Tous les rêves que j'avais dans la tête, qui fusaient toutes les secondes dans tous les recoins de mon esprit, de mon être, j'y croyais tellement. J'ai tout perdu d'un coup, j'ai failli avoir une crise cardiaque, d'ailleurs je me suis évanouie. C'était un moment émotionnellement chargé, trop de sentiment contradictoire en si peu de temps.

J'ai le regard vitreux, je ne ressens rien, ma seule envie est de mourir. Je n'ai tellement plus la force de vivre, que si j'arrive à m'endormir maintenant, je me demande si je me réveillerai.

Tout autour de moi s'effondre. Obligée de repartir au point zéro, ce point merdique que je pensais à tout jamais derrière moi. Mais son ombre menaçante n'est jamais très loin. Il nous observe et choisis bien son moment pour tout anéantir.

Je jette l'éponge, j'abandonne tout, je ne peux plus.

Le réveil sonne, il est 8h. Ça veut dire que je me suis endormie finalement, j'étais trop fatiguée pour me suicider. Pas grave, ça prendra le temps qu'il faudra. Encore cette même chanson pourri qui passe sur ma chaine ! Bizarre, c'est peut-être la même programmation qu'hier, ils se disent que les gens ne s'en rendront sûrement pas compte. « Pour les Béliers, en ce samedi 10 avril ce sera une journée.. ». Quoi ? Alors ils ont bien remis la même émission qu'hier, c'est tellement pas professionnel, ou alors il n'y a que moi qui les écoute. « Vous pourriez bien avoir un évènement à fêter ». Ah bah merci bien l'évènement, je me suis retrouvée veuve le jour de mon mariage, merci de me le rappeler ! Au moment où j'étais censée lui dire oui devant le maire, j'ai dû lui dire adieu à l'hôpital… Mon Dieu, mes premières larmes de la journée, ce sera comme ça tout le temps à partir de maintenant, hier encore j'étais fiancée, aujourd'hui je suis seule, complètement seule… Autant mourir… Mon téléphone sonne. C'est le numéro de mon fiancé qui s'affiche ! Qui peut bien se servir du téléphone d'un mort ? Ils sont vraiment bizarre les gens, bon je décroche.

« Allo mon amour, prête pour le grand jour ? J'ai tellement hâte de te voir dans ta robe…

-Mais t'es qui toi, t'es sérieux de me faire une blague comme ça, sale connard, à imiter la voix de Thomas, il est mort un peu de respect bordel ! ».

Je raccroche et je suis vraiment furieuse. Comment on peut faire une chose pareille ? On aurait vraiment dit lui en plus… Et si c'était lui ? Quoi, c'était qu'un cauchemar ? Il n'est pas mort ? Mais attend il se passe quoi là ? C'était qu'un rêve, c'est vraiment le jour de mon mariage là ? Bon bah je rappelle pour voir. Ah non il est déjà en train de le faire.

« Allo Thomas ? C'est bien toi ? T'es pas mort ?

-Bah non, pourquoi tu veux déjà te débarrasser de moi ? On se marie aujourd'hui, fallait y penser avant, sauf si c'est à mon argent que t'en veux et donc il faut que t'attende la fin de la journée. Mais à part mes dettes, je vois pas trop ce que je pourrais te laisser !

-Ah d'accord, donc c'est bien toi là, tu me jure que t'es vivant !?

-Mais oui je suis vivant, qu'est-ce qui t'arrive ?

-Je deviens folle je crois, j'étais persuadée de t'avoir vu mourir à l'hôpital. Ça devait être un cauchemar, ça me semblait quand même vachement réaliste.

-Bon tu me raconteras ça plus tard, ou pas d'ailleurs vu que ça n'a pas l'air très gai. Je t'appelais juste pour te dire que je t'aime et que j'étais pressé de te voir, de t'embrasser, de te faire des câlins, mais je vais te laisser te préparer quand même, voilà bon bah à tout à l'heure chaton ! Je t'aime, je t'aime, je t'aime !

-Ouais je t'aime aussi… »

Je raccroche et je suis perplexe. Alors il est toujours en vie ? C'était qu'un rêve ? J'espère qu'il n'était pas prémonitoire en tout cas. Bon eh bah c'est cool, j'imagine que je vais remettre mon suicide à une autre fois, c'est pas ce que j'avais prévu mais… Mais qu'est-ce que je raconte, vite faut se dépêcher, si c'était qu'un cauchemar, ça veut dire que je me marie bien aujourd'hui ! Oh mon dieu mais j'ai déjà du retard pour aller chercher ma robe ! Bon je suis dans la rue et effectivement tout à l'air d'être comme hier, ou comme dans mon rêve, ou comme tous les autres jours d'ailleurs. Je vois le clochard qui me demande une pièce et je ne peux pas m'empêcher de le dévisager et de le fuir. J'arrive chez le teinturier, je prends ma robe, elle est parfaite, je m'en doutais. J'arrive devant mon immeuble, ma mère et toutes les autres m'attendent dans le hall, oui ça aussi je m'en doutais. On monte, on se prépare. Elles me demandent si ça va, si je suis heureuse. Elles me parlent de mon mariage. Mais quel mariage, mon fiancé va mourir dans moins d'une heure ! je n'arrive pas à me dire que ce n'était qu'un rêve, j'ai même plutôt l'impression d'être en train de rêver maintenant. Ma maquilleuse a du retard. Je ne dis rien, je ne dis absolument rien et je vois bien que ça les inquiètent. Il y a un grand malaise, l'ambiance est tendue, elles me prennent pour une folle. J'enfile ma robe, ma mère pleure, moi non, forcément je l'ai déjà vu hier ! Je sais que ce n'était pas un rêve.

On arrive à la mairie sans aucun retard. Mais mon fiancé en a, lui. Je sors du brouillard, il lui est arrivé quelque chose. J'ai vraiment fait un rêve prémonitoire, ou bien peut-être suis-je condamné à revivre cette journée maudite. Peut-être que moi aussi je suis morte, peut-être que je suis en Enfer ?

Bon je me calme, peut-être tout simplement que je me fais trop de films, que tout va bien se passer, qu'il va arriver d'une minute à l'autre… Oh je deviens folle. Mon téléphone sonne et je connais la suite.

Je ne veux pas le voir mourir une seconde fois. Je n'irais pas à l'hôpital. Je demande à tout le monde de me laisser tranquille. Je remonte dans la voiture seule, le chauffeur me ramène chez moi.

Je ne pleure même pas. Je ne suis pas en colère, je ne suis pas triste, je veux savoir pourquoi. Qu'est-ce qui se passe dans ma vie ? Non ce n'était pas un rêve prémonitoire, j'ai revécu la même journée.

C'est carrément du domaine du paranormal! Mais c'est possible, non ? Tout est possible. Seigneur, je deviens folle. Bon et demain je vais me réveiller à 8h avec cette musique débile et cet horoscope à la con qui me dit que mon charme passe par un sentiment positif d'accomplissement de soi ! Je vais devoir me préparer pendant des heures pour retourner chez moi aussitôt ?! J'ai pas du tout envie de revivre ça éternellement moi ! Peut-être que c'était juste pour aujourd'hui, je ne sais pas trop pourquoi, mais il y a des choses dans la vie qu'on n'est pas censé savoir, voilà c'est comme ça. Notre raison est trop limitée pour comprendre les forces qui la dépassent ! Bon là je commence à dire des conneries, il faut que je fasse quelque chose. Chlak ! Ah merde je viens de renverser ma lampe, elle est complètement pétée maintenant ! Oh bon bah j'ai plus qu'à ramasser les morceaux et en racheter une aut… Ah mais attend ! Peut-être que cette lampe ne sera plus cassée demain ! Ah ouais je vais tout foutre sans dessus dessous ! Je bouge le canapé et je jette les coussins contre les murs. Je casse mon réveil et je le fous par la fenêtre ! On verra bien s'il réapparaîtra demain matin sur ma table de chevet! Tient ma table de chevet, je la mets direct dans la douche. C'est plutôt marrant ! Je fais tout tomber, voilà que le sol est recouvert de verres et d'objets en tout genre. C'est que c'est fatiguant quand même. Je m'écroule sur mon matelas balancé dans la cuisine. Plus de lit, plus de réveil, et un appartement qui ne ressemble plus à rien, on verra bien demain si tout est reste à sa place.

Le réveil sonne, il est 8h. Je suis dans mon lit, dans ma chambre, sous mes couvertures. Je me sens presque rassurée.

La chanson pourrie des années 80 commence mais je préfère débrancher mon réveil tout de suite. J'ai compris, on est toujours le jour de mon mariage de film d'horreur, mon mec va crever en bagnole et on va tous passé une journée de merde. Il y a des jours comme ça, où on aurait mieux fait de pas se lever hein, eh bien c'est exactement ce que je vais faire ! J'adore mon lit, il est chaud et sécurisant, pas comme le monde extérieur froid et violent qui ne veut que mon malheur! Mon lit m'aime, il est gentil avec moi. Oh je n'ai besoin de rien à part d'être ici dans mon lit si douillet que j'aime d'amour à la folie! Je ne vais même pas me presser, de toute la journée, je vais faire la grasse matinée, après j'irais à la boulangerie et j'achèterai tout ce que je veux, je mangerai mon croissant avec plein de Nutella que je tremperai dans un lait bien chaud… Hum j'adore, après je me ferais un marathon de ma série préférée… Mais avant je pourrais aussi adopter plein de petits chats! J'adore les petits chats, mais l'autre abruti est allergique. Qu'est-ce que je peux bien foutre avec un homme allergique aux bébés chats et qui n'est pas fichu de rester en vie le jour de notre mariage! Nan mais je te jure, il pouvait pas clamser un autre jour, fallait que ce soit à mon mariage, à MON mariage! Nan mais j'hallucine ! Ça c'est parce que monsieur voulait absolument venir en limousine, il pouvait pas se contenter de la décapotable comme moi ! Je vais me trouver un autre mec qui sera déjà bien content de se ramener à la mairie en vélib. Limousine à la con, tout le monde s'en fout en plus. Pas besoin d'une limousine pour que la fête soit réussie franchement. Bon c'est décidé, je reste au lit aujourd'hui. Mon téléphone sonne, merde alors je crois que ma mère et les autres sont déjà en bas, comment je vais leur expliquer que le mariage n'aura pas lieu. Je sens qu'elles vont toutes me faire chier, si je ne décroche pas ou si j'éteins mon téléphone, elles vont s'inquiéter et risquent d'appeler les flics. Bon j'ai compris, c'est à moi d'appeler tout le monde. C'est pas tout de suite que je vais pouvoir faire la grasse matinée. Je réponds :

« -Ma chérie, c'est maman, je suis avec tes demoiselles d'honneurs, est-ce qu'on peut monter ?

-Euh…bah…non !

-Comment ça, allé arrêtes, ouvre la porte !

-Non maman je veux pas me marier, laisse-moi tranquille, rentrez toutes chez vous, il n'y aura pas de mariage aujourd'hui, je vais appeler tout le monde pour annuler…

-Nan mais attend ma chérie c'est une blague ?

-Non, non c'est très sérieux, je préfère faire autre chose de ma journée. Le mariage est annulé c'est comme ça, s'il te plait on en reparlera demain. Rentrez chez vous…

-Mais enfin ce mariage c'était ton rêve, si tu annules tout maintenant, tu ne seras pas remboursé, ça t'as quand même coûté plus de 10000 euros !

-Maman s'il te plait arrêtes, rentre chez toi, dis aux autres de faire pareil. Il y a plus grave dans la vie, je veux qu'on me laisse tranquille. »

Là je raccroche. Ma mère ne cesse d'appeler, tout le monde appelle. Je deviens folle. Elles sont toujours en bas et ne veulent pas partir. Bon bah j'ai plus qu'à dire au revoir à ma journée de détente.

Je les laisse monter, rien n'est annulé. Je me prépare sans grande conviction. C'est ma mère qui est allé chercher la robe chez le teinturier. J'appelle quand même mon fiancé pour lui dire de ne pas venir en Limousine mais à pied. Comme les autres, il me prend pour une folle. J'arrive à la mairie avec un peu de retard, je reçois un coup de fil. Oui je sais qu'il est mort ! Bon je peux rentrer chez moi maintenant?! Les gens commencent à croire que j'y suis pour quelque chose, parce que je me comporte bizarrement. La police m'appelle, je ne réponds pas. Des membres de ma famille me harcèlent au téléphone, mes amis aussi. Ils viennent frapper à ma porte. Là je fais le mur. Je cours, cours, cours le plus loin possible. Je pleure. Je sèche mes larmes. Je cherche du maquillage au fond de mon sac et me refait une beauté devant la vitre d'un magasin. J'entre dans un bar. Très vite, un homme fort charmant me propose un verre et j'accepte. Ce sera une vodka pour moi. On fait connaissance. Il m'explique qu'il est marié, mais qu'il n'est pas du tout heureux en ménage, que sa femme l'ignore et privilégie sa carrière à son couple. J'aime sa franchise. Je préfère qu'il soit marié et honnête, plutôt que célibataire et mythomane. Je lui dis que je devais me marier aujourd'hui, mais que je me suis sauvée. Je n'ose pas lui parler de la mort de Thomas, je crois qu'il me prendrait pour une folle, il y en a eu assez comme ça depuis ce matin. Au contraire, il me trouve intelligente, il me dit qu'il m'envie, qu'il aurait dû avoir le courage de faire la même chose que moi : lâcher prise, tout quitter et ne pas se préoccuper du lendemain.

A force de boire, je sens ma libido s'enflammer, je l'embrasse. Il me rend mon baiser. Il me dit que sa femme n'est pas à la maison, j'accepte l'invitation. Il me fait rire et il continue à me faire boire.

J'arrive chez lui, je me couche dans le lit conjugal, je me déshabille et là je ne suis déjà plus maître de mon corps, ni de mon esprit. Je me laisse tenter par l'inconscience. Il me fait l'amour et je ferme les yeux, je ne sens rien. Je m'endors.

Le réveil sonne, il est 8h. Je suis dans mon lit, personne à côté de moi. Je n'ai pas la gueule de bois.

J'entends la musique kitch comme un écho lointain. J'ouvre les yeux et déjà je m'effondre. Je sors de mon lit en titubant et je tombe, je m'écroule au sol. Mes larmes ne cessent de couler, encore et encore, ça ne veut pas s'arrêter, comme cette malédiction. Je ne peux plus, je ne veux pas encore revivre cette journée de cauchemar, je veux mourir. Vite, avant qu'ils n'arrivent tous. Je me taillade les veines avec mon rasoir, mais bon sang ça ne marche pas ! Ca saigne et bordel ça fait mal ! Bon les médocs, où sont les médocs ?Ah super ils sont là. Glurp ! J'avale tout le flacon, je manque de m'étouffer. Merde j'aurais dû m'étouffer ! Mais je suis toujours en vie là bordel et en plus je suis shootée ! C'est censé avoir un effet quand ces conneries ? Fais chier, le téléphone commence déjà à sonner. Ah non laissez-moi me suicider ! Bon je suis toujours en vie, il me faut un autre plan… je réfléchis… je réfléchis… Ah la bagnole ! La décapotable ! Moi aussi je peux crever en bagnole le jour de mon mariage, y'a pas que lui hein ! Il va voir ce que ça fait aussi tient !

Je descends au parking, je mets les clés dans le contact. Là je sors à toute vitesse, j'essaye de provoquer un accident, mais tout le monde arrive à m'esquiver avant de m'insulter et de m'assener de klaxons. Plus de choix possible, je dois rentrer dans une boutique. Là en face de moi, un petit café. Je fonce dessus à la vitesse maximale !

Woaw quel sensation, je sens un bout de verre traverser mon crane.

Je me réveille à l'hôpital. Il fait déjà nuit. J'ai des bandages sur tout le corps, je ne sens plus rien, je ne vois plus de l'œil gauche. Je n'ai plus aucune force. Je suis toujours en vie, c'est ça le plus triste.

Je recommence à pleurer, de l'œil gauche seulement, j'ai mal à la mâchoire, je ne peux pas crier, je crois que je n'ai plus de dents. Trop d'efforts en une minute, je suis épuisée. Mes deux yeux sont à présent fermés.

Le réveil sonne, il est 8h. Soulagée de ne pas être à l'hôpital, des bandages sur tout le corps, mais dans mon lit saine et sauve. Dieu merci. La musique est toujours la même, mon horoscope n'a pas changé : « Vous savez que le charme passe d'abord par un sentiment positif d'accomplissement de soi ». C'est la cinquième fois que je l'entends et je n'ai toujours pas compris ce que ça signifiait.

Peu importe, je continue de vivre la même journée, encore et encore. J'ai essayé d'empêcher l'accident de Thomas, puis je me suis amusée et je l'ai trompée, mais il était encore mort, ça compte pas ! J'ai essayé plein de fois de me suicider, mais bon sang qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma vie si la malédiction persiste ? Je dois mal m'y prendre. J'ai peut-être une mission à remplir, qui n'est ni de sauver mon mariage, ni de rencontrer un autre homme, ni de rester au lit toute la journée. Oh mon Dieu, ma mère ne va pas tarder à arriver. Il faut que je parte maintenant. Pour faire quoi ? Je n'en ai aucune idée, on verra bien où cette journée va me mener cette fois.

Je ne me maquille pas, ne me coiffe pas, je ne prends pas mon sac. J'emporte juste un peu d'argent que je mets dans une poche de ma veste et mes clefs… Est-ce que je prends mes clefs ? Je ne sais pas si j'aurais très envie de revenir ici aujourd'hui… Bon au cas où. Hop me voilà dans la rue, je marche sans savoir vers où, je ne sais pas quel chemin prendre. Tant pis je marche, c'est le plus important, marche ou crève comme on dit. Oh mais je suis dans la rue du teinturier, hors de question d'aller chercher ma robe. Je devrais faire demi-tour. Là, le clochard me demande une pièce. Je lui donne deux euros. Je continue de marcher et m'arrête. Je reviens vers le clochard. Je lui propose d'aller manger quelque chose. On se rend à la brasserie en face. Deux cafés et plein de viennoiseries de commandés. Je regarde le sans-abri, je ne le trouve pas particulièrement sale, il est juste barbu et habillé de vieux vêtements troués, mais il ne sent pas mauvais. Il me fait penser à un mage ou un druide. Son regard est plein de sagesse, je suis un peu gênée, là il entame la discussion :

-Merci beaucoup pour ce petit-déjeuner bien copieux, je ne demandais pas tant. Comment vous appelez vous ?

-Euh je m'appelle Elena.

-Oh c'est un très joli prénom. Dites-moi Elena, pourquoi avez-vous fait ça pour moi aujourd'hui ?

-Comment ça aujourd'hui ? Vous vous souvenez m'avoir déjà vu auparavant ?

-Oui au moins ces quatre derniers jours et je vous voyais repasser à nouveau devant moi les bras chargés d'une robe de mariée. Où est-elle aujourd'hui ?

-Euh…Attendez…Vous savez ce qui m'arrive ?

-Quoi donc ? Que vous allez vous marier ?

-Non que je revis le même jour continuellement ?!

-Oui je le sais.

-Mais pourquoi vous ? Et ça ne vous étonne pas plus que ça ? C'est terrible ce qui m'arrive, c'est une vraie malédiction, mais qui êtes-vous ?

-Pourquoi dites-vous que c'est une malédiction ?

-Parce que je suis obligée de revivre cette même journée, je suis bloquée ! Mais vous n'avez pas répondu à ma question.

-Beaucoup penseraient que c'est une chance de pouvoir revivre une journée, de l'améliorer, de ne pas refaire les mêmes erreurs, de tout effacer en recommençant à zéro.

-Est-ce que vous êtes une sorte de guide, est-ce que vous faites partie de la mission ?

-Que devait-être cette journée au début ?

-Ah je vois, vous ne me répondrez pas. Pas grave, j'ai compris, vous êtes le guide ! En ce 10 avril, je devais vivre le plus beau jour de ma vie. Je devais me marier, dire oui à l'homme que j'aime devant le maire et tous nos proches. Puis on serait allé faire la fête dans une salle que j'avais décorée avec toute mon âme. On aurait dû manger, chanter, danser, célébrer notre amour. J'avais même prévu un feu d'artifice.

-Et c'est censé être ça le plus beau jour de votre vie ?

-Mais oui, pourquoi ? C'est merveilleux un mariage, j'en ai rêvé toute ma vie, je pensais enfin avoir trouvé le bon et voilà qu'il meurt ce jour-là, c'est tellement injuste.

-Comment avait commencé le plus beau jour de votre vie ?

-Bah je me suis réveillée à 8h, par une chanson que je déteste, comme aujourd'hui. Je me suis dépêchée d'aller chercher ma robe chez le teinturier. Puis ma mère et mes demoiselles d'honneurs sont venues chez moi pour m'aider à me préparer. Tout commençait très bien !

-Vraiment ?

-Eh bien non, j'étais très stressée, j'avais peur que ma robe ait encore des problèmes et qu'il faille la retoucher à nouveau, heureusement que non. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai crié après ma mère et mes copines, parce qu'on avait du retard. Le maire m'avait bien fait comprendre que si on avait au moins trente minutes de retard, le mariage serait annulé ou reporté. La maquilleuse est arrivée au dernier moment. Je trouvais que mon maquillage ne me rendait pas aussi belle que ce que j'avais imaginé et que ma coiffure était un peu bizarre. Je me suis jeté dans la décapotable, direction la mairie, là on m'apprend que Thomas est mort. Ouais, le pire jour de ma vie en fait, que je suis condamnée à revivre, pour toujours…

-Pourquoi accordez-vous autant d'importance à cette journée ?

-A mon mariage, vous voulez dire ? Mais enfin c'est mon mariage !

-Et alors ?

-Et alors ?! Tout le monde sait que c'est une journée magique !

-Au moment où vous vous prépariez chez vous, à crier sur tout le monde ou lorsque vous passiez devant moi en me dévisageant, vous trouviez que c'était magique ?

-Non mais ça, ça ne compte pas ! La journée se serait améliorée après.

-Après quoi ? Après le oui ?

-Bah ouais, comme ça c'est fait et on peut enfin aller faire la fête !

-C'est signer un bout de papier qui vous mettait dans un tel état ?

-Bah faut croire, mais c'est un bout de papier symbolique !

-Et cette fête combien aura-t-elle coûtée ?

-On a dépensé 12 000 euros, mais pas que dans la fête, dans ma robe aussi, le costume de Thomas…

-Vous étiez obligé de dépenser 12000 euros pour que la fête, qui est censé célébrer votre amour scellé par un bout de papier, soit réussie ? J'ai été à plusieurs mariages, dont le miens, je sais de quoi je parle, je m'ennuie à chaque fois !

-Vous avez été marié ?

-Oh oui et mon ex-femme pensait aussi que ce serait le plus beau jour de sa vie, mais elle n'avait passé la journée qu'à pleurer parce que rien ne s'était déroulé comme elle l'espérait. A un moment, elle m'avait même frappé ! On a vécu des moments extraordinaires ensemble, mais notre mariage n'en fais pas parti. Mais à l'époque on était presque obligé de se marier, d'en passer par là, mais aujourd'hui, vous les jeunes, vous n'en avais plus besoin pour vous prouver que vous vous aimez.

-Oui c'est vrai, mais le mariage, je trouve ça tellement romantique, c'est l'apogée d'une relation de couple.

-Parlez-moi de votre couple.

-Oh eh bien, Thomas et moi on est ensemble depuis deux ans. On s'est rencontré sur internet. Mais on raconte aux gens que c'était à la terrasse d'un café en plein Paris, en général ils adorent cette histoire. Je sais que ça vend beaucoup moins de rêves le net, même si c'est rentré dans les mœurs. Je vais bientôt avoir trente ans. Je pensais enfin que mon tour était arrivé, que j'allais enfin être heureuse !

-En vous mariant ?

-Oui et construire une famille.

-Ah mais ça vous pouviez le faire sans vous marier, vous voulez des enfants ?

-Je ne sais pas, mais je ne veux pas me retrouver à 35 ans, célibataire et sans enfants, on penserait que quelque chose cloche chez moi !

-Vous pouvez aussi choisir de ne pas faire attention à ce que les gens pensent de votre vie ! D'ailleurs, ce n'est pas parce que vous n'avez ni mari, ni enfants, que votre vie ne peut pas être merveilleuse ! Je suis sûre que vous avez déjà accomplie de quoi être fière ?

-Je ne sais pas. Je ne m'en rends pas bien compte, je ne vois que ce qui me fait honte. Je ne suis pas vraiment fière de mon parcours sentimentale, j'ai l'impression de n'avoir connu qu'échecs sur échecs. Et voilà que même mon mariage est un fiasco. J'y ai vraiment cru, jusqu'à la dernière minute, que j'allais enfin me marier. Je pense que je suis née pour être malheureuse.

-Vous étiez malheureuse avec Thomas ?

-Thomas c'était un mec gentil, notre rencontre m'avait redonné foi en l'amour, puis la routine s'est vite installée. Il m'a demandé en mariage, mais je l'ai beaucoup poussé à le faire. On s'est souvent disputé à ce sujet. Tout ça pour quoi ? Pff quelle vie de merde.

-Vous venez de perdre un être chère, le jour de vos noces, c'est un évènement grave et traumatisant, mais pour vous qu'est-ce qui n'est pas une vie de merde ? Même les gens qui ont réussi leurs mariages se plaignent de leur vie, que vous faut-il ? Que vous manque-t-il maintenant ?

-Maintenant ? Tout de suite ? Bah rien de particulier, surtout que ça me plait de discuter avec vous, c'est assez inattendu. Mais la roue continue de tourner et mes problèmes vont forcément me rattraper.

-Oubliez cette roue, vous lui accordez beaucoup trop d'importances. Je ne vous connais pas Elena, mais j'ai l'impression que vous faites partie de ces gens qui disent que quand ceci ou cela se produira, ils seront biens, heureux, en paix. Je crains de vous apprendre que ça ne fonctionne pas comme ça.

-Vous voyez je suis condamnée à être malheureuse !

-Prenez l'habitude de vous poser la question : « Qu'est-ce qui se passe en moi en ce moment ? ». N'analysez pas, observez.

-Je ne comprends pas…

-Êtes-vous malheureuse maintenant, Elena ?

-Je vous l'ai dit, non là ça peut aller, mais je ne peux m'empêcher de penser à mon mariage qui a capoté et à mon avenir, si toute fois la malédiction s'arrête, ça aussi ça m'inquiète.

-Pourquoi êtes-vous inquiète, votre mariage n'est plus qu'un souvenir, il n'existe plus, et cet avenir qui vous crée tant d'angoisses n'existe pas, arrêtez de penser au temps, le temps est une illusion. Le temps n'existe pas.

-Mais sans le temps, comment pourrions-nous fonctionner dans ce monde ? Il n'y aurait plus d'objectifs à atteindre, dans ce cas je pourrais aussi bien rester chez moi à glander devant la télé. Je ne peux quand même pas oublier mon mariage, c'est un épisode de ma vie qui m'a marqué, qui fait partie de moi, de mon identité. Si ma malédiction s'arrête, je promets de mieux gérer mon temps, de ne plus le gaspiller, c'est tellement précieux.

-Le temps n'est pas précieux puisqu'il est une illusion. Elena, plus vous resterez axé sur le temps, plus vous raterez le présent, la chose la plus précieuse qui soit. Parce que c'est tout ce qui existe.

-Je suis désolée, mais j'ai beaucoup de mal à admettre ce genre d'hypothèse, comment nier que le temps existe ? Regardez mon visage, regardez le vôtre, regardez cette aiguille qui bouge sur ce cadran, comment pouvez-vous dire que le temps n'est qu'une illusion, je ne suis pas d'accord. Regardez ces arbres, regardez ces fleurs, en Hiver elles meurent et elles renaissent au printemps, c'est la marque du temps !

- Saint Matthieu a dit « N'ayez donc point de souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine ». Avez-vous lu l'Evangile, Elena ?

-Non, je ne suis pas spécialement croyante, même si je suis parfois un peu superstitieuse, je ne nie pas qu'une puissance supérieure existe ou plusieurs, mais je n'y pense pas, mon mariage ne se passait pas du tout à l'église d'ailleurs, je n'ai pas été élevé dans la religion, mes parents y sont encore plus réfractaires que moi, pourquoi ?

-Eh bien vous qui parliez de fleurs, il y a dans l'Evangile, ce passage sur ces merveilleuses fleurs qui ne se préoccupent pas du lendemain, mais qui vivent avec grâce dans l'éternel présent et reçoivent en abondance de Dieu ce dont elles ont besoin. La vie est faite de cycles : le jour et la nuit, la chaleur et le froid, la joie et la peine, le printemps et l'hiver… Quand vous triomphez d'une épreuve, il en vient une autre, c'est le cas pour tout le monde, mais Elena, essayez de voir si vous avez un problème en ce moment. Pas demain, ni dans dix minutes, maintenant.

-Non je n'en ai pas. Mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir mal. Je n'en reviens pas d'avoir été aussi méchante avec Thomas, de l'avoir poussé à se marier, il serait toujours en vie, si je n'avais pas fait toutes ces crises. Même au moment des fiançailles, je trouvais quelque chose à redire ! J'ai l'impression d'avoir vécu plus de bas que de hauts avec lui, mais c'est parce qu'il y a eu quand même des hauts que je me suis accrochée. Des fois je me demande si je l'aimais vraiment, ou si c'est notre passé que j'aimais ou l'avenir qu'il me promettait…

-La chose qui vous procure du plaisir aujourd'hui vous fera souffrir demain. Ou bien le plaisir disparaîtra et son absence vous fera souffrir. Et ce que l'on qualifie souvent d'amour peut certes être agréable et plaisant pendant un certain temps, mais il s'agit d'une attitude de dépendance qui nous fait nous accrocher, d'un état d'extrême besoin pouvant se métamorphoser en son opposé en un clin d'œil. L'amour se transforme ensuite en haine.

-Alors quoi, l'amour n'existe pas ?

-Mais si bien sûr que l'amour existe, n'avez-vous jamais vu un enfant s'empresser dans les bras de sa mère pour lui faire un gros câlin, peut-être que ni l'enfant, ni la mère n'attendaient quoi que ce soit de l'autre à cet instant. L'amour véritable ne vous fait pas souffrir. Il faut être comme ces fleurs qui n'attendent rien d'autres de la vie que ce que le Seigneur leur a déjà donné. Nous sommes tous ingrats et insatisfaits. Elena soyez reconnaissante de la chance que vous avez et alors vous ne serez plus aveuglée.

-Je sais il y a toujours pire que moi, mais ça ne change rien, je ne trouve pas que j'ai particulièrement de la chance.

-Elena, fermez les yeux s'il-vous-plait.

-Pourquoi ?

-Faites-moi confiance.

-Très bien, je vous fais confiance alors.

-Répétez avec moi, Elena et dites : « Seigneur Dieu »

-Bon si vous voulez. « Seigneur Dieu ».

-« Je Te remercie aujourd'hui de me retrouver vivante, en bonne santé. »

-Je Te remercie aujourd'hui de me retrouver vivante, en bonne santé.

-« De pouvoir respirer, manger, marcher.. »

-De pouvoir respirer, manger, marcher…

-« Regardez, entendre, penser, aimer… »

-Regardez, entendre, penser, aimer…

-« Car ce sont des cadeaux inestimables. »

-Car ce sont des cadeaux inestimables. »

J'ouvre les yeux. Le sans-abri, mon guide, n'est plus là. Je termine de manger. J'ai une sensation très étrange en moi. De vide et de bien-être à la fois. Je vois que mon ami n'a pratiquement rien mangé, ni bu. Je demande au serveur s'il a vu partir l'homme qui était avec moi. Il me répond qu'il n'y avait personne avec moi. C'est décidé je suis folle. Et je m'en fous. Je paye. Je sors. Je me rends à l'endroit où je l'ai rencontré pour la première fois. Je parcours les rues. Je comprends que je ne le reverrais plus jamais. Mais ce n'est pas grave. Je me promène dans un parc. Je ne réfléchis plus, je regarde. Je regarde les arbres et les fleurs. Ces fleurs qui vivent dans l'instant présent. Elles sont sublimes. Je les aime quand elles sont bleues. Je me pose sur un banc. Je regarde le lac. Mon regard se perd dans l'eau. Je reprends le cours de mes pensées. Pourquoi est-ce que j'ai autant rêvé de mon mariage ? C'est le jour de mon mariage, mais je suis dans ce parc, assise sur un banc, pratiquement en pyjama à regarder les cygnes.

Je passe une bonne journée en fait, je me sens bien. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien. Le mariage est considéré comme la concrétisation de l'amour entre un homme et une femme. Eux deux se complètent et deviennent un tout. On m'a toujours dis ça, mais Thomas et moi on n'a jamais été un tout, je ne comprends pas comment j'ai pu croire que ça changerait une fois mariés. Et après tout, je ne crois pas avoir voulu mon mariage pour le bonheur de mon couple. Peut-être que c'était juste pour la robe, ou pour pouvoir dire à tout le monde que je ne suis plus célibataire, que j'ai même un mari, peu importe qui il peut être, tant que je suis « mariée ». Les fins heureuses se terminent par des mariages parce que c'est l'apogée d'une relation amoureuse et de son romantisme. Mais aujourd'hui qu'est-ce que le mariage ? Il y a les mariages forcés, des mariages sans amour juste pour les papiers et des millions de mariages qui finissent en divorces. Aujourd'hui les homosexuels peuvent se marier et se battent pour ce droit alors que beaucoup d'autres se rendent compte que l'amour véritable n'a pas à être prouvé par un contrat, un bout de papier ou une bague. La véritable union entre un homme et une femme est le fruit de leur amour, leur enfant. Mais aujourd'hui encore le fait d'avoir un enfant est beaucoup moins surévalué, il y a des enfants qui naissent de viols, qui sont abandonnés dès la naissance ou tout simplement ne comprennent pas pourquoi ils sont nés tellement ils souffrent, comme moi. Mais le mariage me fait toujours autant rêvé. Tout le monde sait que c'est compliqué un mariage, il faut s'occuper de la liste des invités, du rendez-vous à la mairie, il faut trouver une salle de réception, un traiteur, des décorations, des animations pour ne pas ennuyer les convives, il faut la robe et le costume et le tout nous a coûté 12 000 euros ! Mais comment on a fait pour les trouver même ! Quelle folie ! Quelle folie tout ce stress pour une seule journée qui est censée être le rêve de toute une vie, et pour quel résultat ? Quand Thomas est mort, il a aussi emporté tous mes rêves avec lui.

Je me sens fatiguée. Je veux juste dormir. J'ai peur de rentrer chez moi. De toute façon j'y serais demain matin. Le ciel s'assombrit, il est tumultueux et gris. Là un rayon de soleil sort de la pénombre et illumine mon visage, il m'aveugle. Je ferme les yeux.

Le réveil sonne, il est 8h. Je me réveille dans mon lit. Thomas est à côté de moi, il se réveille doucement. Pas de musique des années 80, pas d'horoscope, d'ailleurs mon réveil ne fait pas radio. Je me lève et je vois ma robe accrochée à ma penderie. Mon Dieu, la malédiction est terminée ! Quelle malédiction ? J'ai fait un rêve. Ca semblait si réel. Thomas me rejoint, m'enlace et me demande si j'ai bien dormi. Je n'ose pas lui raconter mon rêve, je me tais et l'embrasse tendrement.

Je l'aime tellement. Nos proches nous rejoignent à l'appartement. On se prépare tranquillement. Ma maquilleuse n'a pas de retard, vu que c'est ma demoiselle d'honneur et meilleure amie qui s'occupe de moi pour ce grand jour. Thomas est prêt, qu'est-ce qu'il est beau mon Thomy ! Olala j'en suis folle ! Quand il me voit dans ma robe, il manque de pleurer. Il prend ma main et on monte dans la voiture tous les deux. Main dans la main. Direction la mairie. Je prie pour qu'il n'y ait aucun accident. On arrive à la mairie sans problèmes, sans imprévus, sans retards. Dieu merci. Le maire nous accueil avec le sourire. Il nous lie les articles sur le couple du code civil, puis il s'interrompt en faisant un « Blablabla », tout le monde rigole. C'est vrai que c'était plutôt barbant. Il pose la question fatidique à Thomas et moi, notre réponse est la même. Un grand OUI. « Avec cet anneau, je te promets de t'aimer et de te chérir, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et la pauvreté, dans la santé et la maladie jusqu'à la fin de l'éternité. »Les larmes coulent de mes yeux, je ne peux plus les retenir, je suis tellement heureuse. Je me sens tellement bien, pas demain, pas dans 10 minutes, mais maintenant, je suis heureuse maintenant.

Seigneur Dieu, je Te remercie aujourd'hui de me retrouver vivante, en bonne santé, de pouvoir respirer, manger, marcher, regarder, entendre, penser, aimer, car ce sont des cadeaux inestimables.

Et j'ai bien plus encore, j'ai un toit où dormir, un frigo bien rempli, j'ai une famille et des amis adorables, un mari que j'aime , qui est toujours en vie et un mariage plutôt réussi, pour tout ça et pour tout ce que j'ai encore, mais que je n'ai pas cité, merci Seigneur, infiniment merci, pour tout ce que Tu m'as donné.