Rippeur

piotr

Un rêve d'enfant... Pas si rose !

Cheveux au vent, en équilibre sur leur marchepied, accroché d'une main solide à la poignée alors que de l'autre ils m'adressaient de grands gestes amicaux, ces hommes me renvoyaient une image de liberté. Aussi, à la question qu'est-ce que tu voudras faire quand tu seras grand je répondais sans hésiter : éboueur. Mais attention, je ne voulais pas conduire le camion, non, moi, ce que je voulais, c'est être celui qui se tient derrière, celui qui saute du camion pas encore arrêté pour se saisir d'un sac traînant sur le trottoir afin de le jeter dans la trémie d'un geste sûr avant de remonter sur le marchepied alors que déjà vrombit le puissant moteur du mastodonte. Aujourd'hui j'ai appris le nom de ce métier : rippeur. Rippeur...Ne le trouvez-vous pas évocateur d'aventures, de grand air, de découvertes ? Peut-être à cause du clipper anglais, ou du « ripe tes galoches ! » dont nos anciens usaient pour se débarrasser d'enfants par trop turbulents. Rippeur... Mais à six ou sept ans je disais éboueur. Consternation... C'est ce que je lisais dans le regard des adultes. Consternation dans les yeux de mes parents, dans ceux de mes oncles et tantes. Une telle ambition à son âge ne présage rien de bon, devaient-ils songer. Consternation de mon instituteur de CE1, l'aimable monsieur Guézy qui espérait meilleur avenir pour ses élèves que celui d'éboueur. Je garde un profond respect pour les éboueurs. Leur profession ne se contente pas d'être utile à la société. Elle est indispensable. Vitale. C'est un fait, une ville sans cardiologue verrait quelques personnes mourir prématurément faute de soins adaptés. Une ville sans éboueur verrait sa population décimée par des épidémies effroyables. Une ville sans éboueur serait une ville envahie par des hordes de rats sans scrupules qui attaqueraient jusqu'aux nouveau-nés dans leurs berceaux. Une ville sans éboueur serait un territoire pestilentiel et maudit. Au grand soulagement des adultes qui m'entouraient, d'autres professions ont bercé mes rêves d'enfant. Celle de caméraman ou d'acteur. Pas de quoi rassurer des parents aimants, certes, mais c'était déjà un mieux... Les hasards de la vie ont fait qu'un jour je me suis tenu en équilibre instable sur ce marchepied. Un jour je suis devenu rippeur. Accroché à ma poignée tel un naufragé à sa bouée, je n'en menais pas large. Sauter en marche, courir sur le bitume en évitant les voitures, jeter les sacs, bondir à nouveau sur le marchepied avant que le chauffeur ne m'abandonne sur le trottoir, se méfier des projections qui parfois jaillissent hors de la trémie pendant la compression des ordures, rentrer le soir à la maison les vêtements imprégnés de l'odeur de la pourriture et de la décomposition... J'avais beau faire des signes aux enfants aperçus au hasard des rues, l'expérience n'était pas réjouissante et pour tout dire très lointaine de ce que, gamin, j'en pressentais... Et très éloignée de l'idée que je me fais aujourd'hui d'une profession qui allierait esprit de liberté, d'aventure et de découverte !

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