Roads

supra

Un mec qui sait pas lire les panneaux.

Gone

La bretelle semblait être une spirale ininterrompue . La courbure coupait la visibilité et annihilait l'éventualité du redressement . Les colis et les divers autres objets qui encombraient les banquettes vides s'étaient agglomérés à la droite de l'habitacle. Une main ferme tenant le volant, l'homme seul dans l'habitacle uniquement éclairé par le tableau de bord sentait sa boussole interne s'affoler comme celle d'un hamster dans une cage. Son oreille interne lui disait qu'il tournait sur lui même, sa raison arguant qu'il avançait vers sa destination.


Enfin le marquage se mua en une ligne droite dont l'hypothétique fin fuyait en dehors du cercles des phares . Il était en cinquième, et la route était intégralement dégagée devant lui. Était il encore loin de Gônes , la ville des adresses griffonnées sur le bon de commande ? il l'ignorait, et le gps désormais coupé avait été de peu d'aide. Problème de mise à jour ? il lui indiquait en tout cas systématiquement des routes qui semblaient avoir été avalées par des champs.


L'important était l'essence. L'aiguille était un signal vital, sa descente perpétuelle une angoisse aiguë sans cesse renouvelée. il était déjà au deux tiers vides, il avait du faire 400 km depuis sa pause à 19 heures. Il avait certes perdu beaucoup de temps aux abords de … comment s'appelait ce soit disant patelin ? Il avait espéré rejoindre un centre ville, trouver des personnes capable de l'aiguiller dans ce qui lui semblait être un terrible sac de noeud goudronné, Une simple direction générale, un doigt pointé dans une vague direction lui aurait été inestimable. Mais des séparations de voies soudaines, une signalisation kafkaienne l'avait rejeté une fois , trois fois, sept fois sur des périphéries, des orbites d'où il apercevait, derrière des talus et des protections antibruits taggués des nués de loupiotes, si proches et pourtant inaccessibles. Il aurait voulu laisser l'encombrant tas de métal en travers des voies, et marcher vers celles ci au travers des terrains vagues détrempés. Pourtant la route devait bien y mener.


70 km de défilement du temps égrenés par le rythme des rupture de lignes, 70 km de cette forme d'attention très faible, plus ou moins simplement à maintenir appuyé le dispositif d'homme mort,  de survie à l'ennui. A ressasser et ressasser les erreurs passées. Bien entendu la forme particulière de signalisation pratiquée ici devait y être pour quelque chose. Les directions n'évoquaient rien, il ne connaissait à vrai dire que l'adresse des colis. Certains caractères même lui échappaient totalement parfois, s'intercalant entre deux syllabes comme une point d'interrogation faisant irruption au milieu d'une phrase. Tout un code couleur, de flèches, de polices qu'il ne possédait pas émaillait les arbres de plaques métalliques.


Le soleil s'était levé sur la station service. Il y était arrivé au milieu de la nuit , avait vaqué à l'approvisionnement de la machine, a demi écoeuré par les émanations du liquide que le réservoir avalait goulûment, puis il avait un peu dormi sur le parking parfois réveillé par un phare venant frapper une vitre. Il était trop fatigué et apeuré pour aller demander à quiconque sa direction. Il soupira, tourna la clé et s'inséra de nouveau dans le trafic d'une nationale perdue entre deux des champs jaunis. Le coeur stupidement un peu plus léger de savoir ces réserves à nouveau pleines.


La radio ne captait que des échos, des surimpressions de sons, des discordances , des couinements et des murmures .


Quelques heures plus tard, son coeur cessa de battre. Gônes venait d'apparaître sur un des panneaux, s'intercalant dans une liste de termes abscons.  Sortie prochaine. Il accéléra. doubla. L'habitacle semblait léviter au dessus du bitume, glisser avec une élégance soudaine tandis qu'il laissait derrière lui une escort bleue qui lui semblait désormais d'une lenteur douloureuse , et il se prit à siffloter. Il allait y arriver finalement. Il bifurqua au moment indiqué s'engagea dans une nouvelle voie, le coeur battant.


La sortie suivante , une bonne centaine de kilomètres plus loin, n'indiquait plus la ville dans un cas comme dans l'autre . Rester, sortir ? C'était équivalent, il ne pouvait plus juger. Pourtant l'un de ses choix le mènerait à son objectif. La ride sur son front réapparut et sa vitesse décrut. Il pouvait avoir dépassé sans l'avoir vu la sortie voulue. C'était le plus logique.


Il prit la sortie , persuadé de faire le mauvais choix, se disant qu'il pourrait de toute manière faire demi tour. Arrivé au rond point néanmoins, un des embranchements lui indiqua qu'en reprenant la même route dans l'autre sens il devrait pouvoir arriver à destination. Comment avait il pu la manquer ? C'était actuellement tout ce qui pouvait le libérer de sa condition, esclave d'un volant, conducteur incapable de s'orienter. C'était son graal. Il supposa qu'une absence, la fatigue, la routine devaient être les responsables. Il restait dubitatif, mais tentait ainsi d'écarter la paranoia galopante qui le gagnait.

La jauge de carburant était encore basse, ça le fit pester. cette préoccupation entravait la correcte progression de son entreprise, revenant régulièrement comme un moustique pénible tiraillant sa conscience. N'aurait il pu avoir un véhicule moins gourmand, moins bassement pécunier et enchaîné à cette infâme dépendance pour ce breuvage irisé aux odeurs violentes ?

Il refit la route, scrutant pour un message, la sortie tant attendue,son regard oscillant entre l'aiguille qui descendait inexorablement vers la réserve et les panneaux. Il en vint, mais ils ne comportaient pas l'indication claire qu'il espérait. Fallait il encore sortir néanmoins ? Il était incapable de décider, tétanisé. Il pouvait toutes les essayer, mais l'ampleur des possibilités devenait effarante, surhumaine,hors de portée de la petite boule métallique et plastique dont la visibilité plein phares n'excédait pas la centaines de mètres.

Et puis, il fut de nouveau à la station service. Précisément la même qu'il avait quitté au matin. Comment était ce possible, il ne le savait pas.  

                                                       

Ses phares frappèrent une enseigne semblant vanter les mérites de tel diesel, et une impression forte, étrange rendit ses mains moites et souleva son coeur. Il fut saisit à la gorge d'une sensation extrême de déjà vu déjà vu; comme si cette enseigne avait été déjà frappée mille fois par la même lueur artificielle, toujours sous le même angle, avec ces même traces d'usures, ce même éclat mat et sourd. Son estomac se souleva il se gara en catastrophe se jeta à l'extérieur, commençant à vomir dés que l'air de la nuit frappa son visage. accroupi dans la lueur des phares, dans un chaos de borborygme , de râles et de reniflements, aux pieds même du panneau, il dégueula tout ce qu'il pu, et essaya encore bien après.

L'odeur forte du contenu de ces entrailles, mêlés du bois et d'autres odeurs étranges le frappa, tandis qu'il frissonnait, à genou, sa peau couverte d'une fine pellicule de sueur. Les arbres qui bordaient l'aire, dans la nuit, n'étaient qu'une masse palpitante et bruissante, une écrasante présence pourtant à peine visible, en dehors du cercle de lumière dans lequel il se tenait.

Il se sentait attiré. Tout, des sons aux senteurs, était nouveau , intriguant , aux antipodes des matières lisses et synthétiques aux formes profilées de l'habitacle qui composait l'intégralité de son univers. C'était semblable à un souffle puissant et profond, d'une entité obstinée mise en terre il y a des milliers d'années.


Il retourna lentement à la voiture, indécis, ouvrit la porte arrière. Sans y avoir plus réfléchi il déchira les colis , les mis en pièces, en charpies qui tombaient mollement au pieds des sièges .
Ils étaient vides, sans objet. De simples boites vides adressées vers une ville perdue. Une légère odeur de poussière émanait de leurs cadavres éventrés. le vertige manqua de le faire tomber en arrière. Combien d'énergie déployée, d'efforts  pour transporter de l'air empaqueté, sans succès ?


Une heure peut être passa, à la frontière entre son véhicule et les ombres feuillues, devant l'affiche défraîchie. Puis mécaniquement il remonta, boucla sa ceinture, ferma sa porte dans un claquement mécanique et s'approcha des pompes. Il fit le plein, paya, et reparti sur la route. 

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