Roma amoR
My Martin
D'après le livre de Pascal Bonafoux, né à Paris en 1949. Ecrivain et historien de l'art
Guide anachronique de Rome. À l'usage de ceux qui se demandent pourquoi elle est la seule "Ville éternelle"
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Pour savoir pourquoi l'église Sant'Agnese in Agone est située piazza Navona, il faut admettre que seules légende et tradition, sont en mesure de répondre.
Dans La Légende Dorée (1261-1266), Jacques de Voragine rapporte, selon saint Ambroise de Milan (340-397), ce que fut le martyre de sainte Agnès (291-305 après J.-C.).
Le fils du préfet, éperdument amoureux d'Agnès, qui a alors treize ans, se propose de l'épouser.
Elle refuse. Vierge, elle affirme s'être déjà donnée à un amant
« dont la noblesse est plus éminente, la puissance plus forte, l'aspect plus beau, l'amour plus suave et délicat que toute grâce ».
Désespéré, le jeune homme tombe malade. Le préfet veut savoir quel est cet époux, dont Agnès dit que ses « chastes embrassades l'ont étreinte ».
Jésus-Christ.
Le préfet menace. « Choisis de deux choses l'une. Ou bien, sacrifie à la déesse Vesta avec les vierges, si ta virginité t'est chère. Ou bien, tu seras exposée dans un lieu de prostitution. »
Agnès refuse de sacrifier à Vesta.
Le préfet la fait dépouiller et mener nue, dans un lupanar de Rome.
L'église Sant'Agnese in Agone de la piazza Navona. La crypte.
« Ces souterrains étaient autrefois le terre-plein de la ville. On peut juger de l'exhaussement actuel, par les marches que l'on descend pour y arriver. »
Là étaient les lupanars ou lieux publics de débauche, qui bordaient le cirque agnostique (le stade de Domitien. 86 après J.-C.), sur l'emplacement duquel est aujourd'hui la piazza Navona. Toute l'église Sant'Agnese est sur cet ancien lieu profane.
Selon ce que rapporte La Légende Dorée, dans ce lieu,
« le Seigneur rendit à Agnès sa chevelure si épaisse, qu'elle était mieux couverte que par ses vêtements. »
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Dans la basilique Saint-Pierre se dresse le tombeau de Paul III (Alexandre Farnèse, pape de 1534 à 1549). Dessiné par Michel-Ange, érigé par Guglielmo Della Porta (1515-1577)
Aux pieds de Sa Sainteté, deux statues par Guglielmo Della Porta
L'une pour la Prudence. L'autre pour la Justice.
Le modèle de la Prudence est la mère de Julie Farnèse et de Paul III, Giovannella Caetani ; elle ne sut sans doute pas même, ce que pouvaient signifier les mots débauche et luxure.
Le modèle de la Justice, s'est-on empressé de laisser entendre, est Julie Farnèse (1474-1524). Extraordinaire beauté.
La sœur du pape Paul III. La maîtresse de Rodrigo Borgia, qui devint Alexandre VI (pape de 1492 à 1503).
Lorsque la Réforme catholique (1545-1547) imposa que soit prescrite une morale irréprochable, le pape Clément VII (1523-1534) ordonna de couvrir de manière décente, la Justice nue.
1593. Une chemise de bronze. Par Teodoro Della Porta (1567-1638), fils de Guglielmo et sculpteur lui aussi
Le bronze fut aussitôt peint en faux marbre, pour que l'on ne puisse soupçonner ce qu'il dissimulait.
Certains voyageurs bien informés soudoyèrent les gardiens de la basilique, pour qu'ils soulèvent le vêtement de bronze.
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Poète anglais, John Keats (1795-1821) est enterré dans un cimetière relégué derrière la pyramide du préteur Caius Cestius (12 avant J.-C.).
Depuis des siècles, y sont refoulées les dépouilles des prostituées, et de celles et ceux qui ne sont pas catholiques.
Depuis la piazza di Spagna où à vingt-cinq ans, il s'est éteint (phtisie), le corps de John Keats a été transporté au cimitero acattolico -le cimetière « acatholique ».
Où l'Eglise interdit les croix sur les tombes. Interdit qu'y soit gravée une inscription qui mentionnerait le nom de Dieu.
L'épitaphe qui tait le nom du poète, s'achève par les mots qu'il a voulus.
Ci-gît celui dont le nom fut écrit dans l'eau
24 février 1821
Un an plus tard, le 18 juillet 1822, le corps de Percy Bysshe Shelley (vingt-neuf ans), poète romantique britannique. Mort noyé (voilier, naufrage). Déposé par la mer sur la grève.
Dans sa poche, un recueil de poèmes de John Keats.
Le pouvoir pontifical a relégué les deux poètes, John Keats et Percy Shelley, dans le même cimetière « acatholique ». Loin de Saint-Pierre.
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Dans son livre "Le Vite de' pittori, scultori et architetti moderni" (1672)
publié sept ans après la mort de Nicolas Poussin (1594-1665), l'historien et critique d'art Giovanni Pietro Bellori (1613-1696) écrit :
« Je me trouve un jour avec Nicolas Poussin. Je visite certaines ruines de Rome en compagnie d'un étranger désireux d'emporter en sa patrie, quelque rareté antique.
Nicolas Poussin lui dit : "Je veux vous donner la plus belle antiquité que vous puissiez souhaiter."
Il recueille de sa main dans l'herbe, un peu de terre et de gravier, avec des morceaux de porphyre et de marbre, presque pulvérisés, et dit :
"Voici, Monsieur, portez-le dans votre musée et dites : ceci est Rome antique." »