Romagnas du Mont Davis / Chapitre 3
Kris T.L
Chapitre trois
Je venais d'arriver dans ce fichu aéroport. En moins de 24 heures je me retrouvais à errer de nouveau à l'intérieur de ce grand hall avec son plafond en demi-cercle et ses poutrelles métalliques.
J'étais complètement retournée, l'estomac en vrac. Qu'est-ce qui avait bien pu foirer ? J'aurais dû insister. J'avais fait tous ces kilomètres pour rien. Mon Dieu, que devais-je faire maintenant ? Appeler ce Logan du GRC ou bien rentrer ?
Dans quelle histoire tu t'es fourrée, Lisy ? Et puis ce Cummings, pourquoi n'a-t-il pas pris la peine de t'écouter? hurla ma conscience.
Mon Jiminy cricket était en marche et ne voulait plus me lâcher.
Mon père, alors que je n'avais que six ans, m'avait emmenée voir Pinocchio au cinéma. Il m'avait juré à l'époque que tout le monde avait un petit criquet sur son épaule, une petite voix, une bonne conscience qu'il fallait absolument écouter pour faire les bons choix. Il avait toutefois oublié de me prévenir que cette petite voix pouvait aussi nous pourrir la vie.
Il était près de dix-huit heures et je n'avais nullement l'intention de rester ici une minute de plus. Il fallait que je retourne à El Paso et que je me débrouille toute seule. Le souci était que je ne savais pas par où commencer, ni où la chercher.
Il y avait énormément de monde dans le terminal, apparemment quelques clients mécontents râlaient à cause de leur vol annulé.
Je m'approchai de quelques pas et levai les yeux vers les panneaux d'affichage : départ en partance pour le Texas annulé. La barbe ! Ce n’était vraiment pas ma journée, ni même ma semaine, pensai-je alors qu'une boule me serrait la gorge.
Me faufilant entre les voyageurs je m'avançais près du guichet. Un jeune homme d'une vingtaine d'années regardait attentivement l'écran de son ordinateur.
— Bonsoir, excusez-moi de vous déranger mais j'aurais besoin de rentrer au Texas au plus vite.
Il leva ses magnifiques yeux bleus vers moi. Bleus comme ceux de Cummings.
Quel crétin celui-là !
Je n'étais pas venue ici pour me faire rabrouer comme une malpropre. Devais-je laisser tomber ou bien retourner le voir et l'obliger à m'écouter ?
J'étais complètement perdue dans mes pensées quand j'entendis le jeune homme en face de moi toussoter.
— Je suis désolé, mais en raison de la météo nous sommes dans l'obligation de clouer les avions au sol.
Oh !
— Je vous conseille de prendre une chambre d'hôtel. Nous en saurons plus demain matin. Il reste des chambres disponibles au Méridien King Edward, si vous le souhaitez.
Décidément même les éléments se déchaînaient contre moi. Il est vrai qu'il faisait un temps de chien. Une bruine verglaçante avait fait son apparition dès que j'avais quitté le bureau de Cummings. Et le trajet en taxi s'était montré quelque peu périlleux.
— N'y a-t-il pas un autre moyen de regagner El Paso ? Ne pourrais-je pas louer une voiture ?
— Toutes les compagnies de location ont été prises d'assaut, un énorme carambolage a eu lieu sur l'autoroute Queens Elizabeth, près de Niagara Falls à cause des intempéries. Je vous conseille d'aller vous reposer et de revenir demain matin.
— Très bien, je vois que je n'ai pas d'autre choix, répondis-je quelque peu déçue. Vous pouvez me dire où se trouve l'hôtel ?
— Lorsque vous sortirez du terminal, veuillez suivre le panneau : centre Golden Horseshoe. Vous verrez, l'hôtel se trouve dans ce quartier.
— Oh, ce sera parfait, je vous remercie.
L'hôtel se situait justement près des bureaux de Cummings. Peut-être était-ce là un signe ! Devais-je saisir l'occasion pour retourner le voir et trouver un moyen de le convaincre ?
Tu peux toujours coucher avec lui ? me dit ma petite voix intérieure. Vous aurez tout le temps de discuter après.
Ahahahah ! Très drôle Jiminy ! Mon dieu je devenais complètement folle.
Pas de souci, il est psy, il sera ravi de s'occuper de toi.
La ferme !
— Bonne soirée Mademoiselle, me dit le jeune homme en me faisant un sourire des plus éclatants.
— Merci, à demain, répondis-je confuse, lui faisant un signe de la main.
Je partis en direction de la station de tramway qui se trouvait à l'extérieur du bâtiment. La navette grise métallisée et rouge qui faisait le trajet entre l'aéroport et le centre de Toronto était complètement assiégée par une horde de touristes mécontents.
Je décidais de prendre mon temps et d'attendre le prochain départ. Après tout je n'étais plus dans l'urgence et l'idée d'être entassée et bousculée ne m'enchantait guère.
Je retournai au cœur même de l'aéroport afin de me mettre à l'abri. Il faisait effroyablement froid et l'humidité pénétrait chaque fibre de mon corps.
Quelle idée d'avoir mis une robe et des bottes ! Qui comptais-je impressionner habillée de la sorte, j'étais bien plus à l'aise avec mon bon vieux jean et mes santiags.
Il fallait absolument que je trouve un moyen de me réchauffer, aussi je décidais de me rendre au Blenz Coffee le plus proche pour consommer ma drogue journalière. Un délicieux Matcha Latte : de la poudre de thé vert japonais fouetté avec du lait de soja sucré à la vanille.
Mon seul péché mignon dans ce bas monde.
Les feuilles de Matcha, connues pour leurs vertus apaisantes étaient censées apporter clarté mentale et énergie à celui qui en consomme et là sincèrement, j'avais vraiment besoin de remettre les idées en place.
Je flânais tranquillement avec ma tasse fumante à la main. Profitant de ce petit moment de répit, je rêvassais devant les vitrines de luxe de la galerie Duty Free lorsque mes yeux furent attirés par une très jolie bague.
Vingt mille dollars ? Mais qui pouvait se permettre une telle folie ! Dans les camps de clandestins que mon oncle aidait, ce petit caillou aurait pu nourrir une cinquantaine de familles pendant plus de deux ans.
Dans quel monde vivons-nous ? murmurai-je en secouant la tête.
La silhouette familière d'une personne que j'avais quittée il y a moins d'une heure se refléta dans la vitrine : un mètre quatre-vingt, les cheveux en bataille, un costume noir coupé à la perfection. Il était en pleine discussion avec le jeune homme qui m'avait renseignée dès mon arrivée à l'aéroport.
Serais-tu en train de me chercher Cummings ?soufflai-je en le voyant me décrire.
Petite de taille, ok ! Petits seins. Hey, mes seins ne sont pas si petits ! pensai-je en imitant son geste.
Il montra du doigt les cheveux de la jeune femme qui se tenait derrière lui. Celle-ci n'appréciant pas sa familiarité se mit à lui crier dessus. Il s'excusa en levant les mains puis reprit ses explications comme si de rien n'était.
Allez, bouge Lisy, il est temps d'aller le voir.
Pour lui dire quoi ?
Hey salut, alors ça, quelle coïncidence. J'étais justement sur le point de retourner à votre bureau pour vous botter les fesses et vous obliger à m'écouter. Ah ! Et je tiens à vous dire que mes seins ne sont pas petits ...
Prenant une profonde inspiration, je tendis l'oreille tout en marchant prudemment dans sa direction.
— Ah oui la jolie brunette avec de beaux yeux verts qui souhaitait se rendre à El Paso, répondit le jeune homme.
— Pour tout vous dire ce ne sont pas ses yeux que j'ai regardés, ajouta Cummings en lui faisant un clin d'œil.
— Oui, je comprends ! Je lui ai indiqué le Méridien King Edward, Monsieur.
— Excellent choix.
— Bonne soirée, monsieur.
— Je l'espère, ajouta Cummings en lui tendant un pourboire.
— Avec plaisir Monsieur, dit le steward en baissant les yeux sur le billet qu'il tenait dans les mains. Wow.... Merci… merci beaucoup monsieur, bégaya-t-il.
Cummings le salua d'un geste de la main en reculant de quelques pas.
Bon dieu....cent dollars ! Il vient de lui donner cent dollars, cria Jiminy.
Décidément nous ne vivions pas dans le même monde. Choquée, je préférai partir.
J'allais passer les portes du terminal quand je l'entendis scander mon nom. Je pressai un peu plus le pas, tirant ma valise pour monter dans le tram qui venait tout juste d'arriver.
Je le vis courir en faisant de grands gestes dans ma direction. Il s'arrêta net lorsque la navette se mit en marche. Son regard s'ancra au mien et à travers la vitre je lui fis un petit sourire pincé accompagné d'un petit signe de la main, ce qui sembla l'énerver fortement.
Oh ! Apparemment Cummings n'aimait pas être contrarié et ne supportait pas la frustration. Je n'avais pas besoin d'avoir fait des études en psychologie ni d'être analyse en morpho gestuelle pour m'en rendre compte.
Tu as su venir jusqu'ici pour me trouver, tu sauras bien te rendre jusqu'à mon hôtel, pensai-je.
Hôtel = Lit. Lit = mode à l'horizontal avec Cummings, me souffla Jiminy.
Ce n'était peut-être pas une si bonne idée après tout !
Le voyage ne dura pas plus de trente minutes. Le tramway fit au total six arrêts pour déposer quelques personnes, qui, comme moi, devaient se trouver un hôtel pour la nuit.
Je descendis en traînant derrière moi ma petite valise à roulettes. Même si je ne pensais pas m'attarder dans les environs, j'avais tout de même prévu quelques affaires de rechange et apparemment j'avais plutôt bien fait.
Arrivée devant le Méridien King Edward, je restais complètement bouche bée devant les lieux.
C'était un hôtel de haut standing et je n'avais pas les moyens de m'offrir un tel luxe. Je n'étais qu'une simple gynécologue travaillant dans un petit cabinet de la banlieue d'El Paso.
Même si je n'étais pas à plaindre, je n'avais pas trois cents dollars à jeter par la fenêtre pour une nuit improvisée dans un hôtel. Certes il était splendide, un modèle de charme canadien avec une tonnelle de ton bleu roi qui donnait sur un tapis rouge à l'entrée. Les décorations de Noël déjà installées conféraient à ce lieu un côté irréel et enchanté.
Je restais là, la bouche légèrement entrouverte, mon souffle chaud contrastant avec l'air ambiant renvoyait de la buée tout autour de moi.
Je ne pouvais décidément pas rester dans ce froid glacial, il devait faire dans les moins quinze degrés. Je me tapotais les bras pour me réchauffer, regardant ma montre je vis qu'il était déjà dix-neuf heures trente.
La barbe !
À présent, non seulement il fallait que je me trouve un endroit pour dormir, mais aussi un lieu pour me restaurer.
Remontant le col de mon duffle coat rouge, je décidai de rebrousser chemin et de repartir en direction de la station de tramway.
Au pire je pourrai toujours dormir dans le terminal.
J'étais sur le point de me baisser pour récupérer la poignée de ma valise quand deux mains se posèrent sur mes hanches.
Mon cœur s'affola avant que je ne découvre qui osait un geste si familier envers moi.
Mon cœur ne se calma pas pour autant lorsque mon regard se retrouva happé par le bleu métallique de ses yeux.
— De nouveau indécise ? me demanda-t-il.
Son souffle chaud caressa mon oreille et me fit frissonner. Il resserra son emprise et me colla un peu plus contre lui, le nez dans mes cheveux il inspira fortement avant de se reculer.
Wow !
Je restais chancelante, les yeux fermés sur le bord de ce trottoir.
— Allez venez, vous aller attraper froid, dit-il, et avant même que je ne puisse réagir il attrapa ma main et finit par me conduire à l'intérieur de l'hôtel.
— Non, dis-je brusquement en retirant ma main.
— Je comprends que vous puissiez m'en vouloir, mon attitude envers vous est impardonnable, mais je crois qu'il faut que nous parlions, non ?
— Non... enfin... si... mais non, répondis-je confuse.
— Hey ? il pencha la tête sur le côté et me regarda amusé.
— Non ! Je suis désolée mais je n'ai pas les moyens de m'offrir un tel luxe, dis-je en relevant le nez vers l'hôtel. Je vais me trouver autre chose.
— Je me disais bien !
Il se mit à rire franchement, mais voyant le regard peu avenant que je lui lançais, il se ressaisit aussitôt.
Gougeât, pour ne pas dire petit con.
— Ce qui veut dire ?
Mon amour propre était quelque peu piqué à vif.
— Mmm, excusez mon impolitesse, je n'aurais pas dû.
Pas dû ? Ouais effectivement !
Prise par je ne sais quelle folie, je saisis la poignée ma valise et d'un pas décidé je marchai en direction du groom qui m'ouvrit les portes du Méridien King Edward.
Mais qu'est-ce que tu fous Lisy, fais demi-tour ! pensai-je alors que mon cœur était sur le point de sortir de ma poitrine.
J'hésitai et m'arrêtai un instant avant de l'entendre rire à nouveau.
— Je vais lui en faire voir des : « je me disais bien » marmonnai-je furieuse. Ça veut dire quoi d'abord, que je ne suis pas assez bien pour ce genre d'endroit ? Pauvre nase !
— Jolie valise ! ajouta-t-il en avançant de quelques pas, riant à gorge déployée.
Quoi, qu'est-ce qu'elle a ma valise ?
— Oh !
Effectivement dans ma précipitation pour venir à Toronto j'avais pris ma petite valise rose bonbon. Le seul truc fille que j'avais en ma possession.
Je devais lui paraître ridicule, mais après tout qui s'en souciait ! Relevant le nez, d'un pas décidé, je m'approchai de l'entrée.
Le groom de l'hôtel me salua et me regarda quelques secondes, certainement surpris par mon indécision ne sachant pas réellement si oui ou non il devait maintenir la porte ouverte.
Ça va te coûter un bras Lisy......
La ferme Jiminy, tu me déconcentres.
Oh non je ne veux pas voir ça ! me cria ma conscience.
Me retrouvant dans le hall du Méridien King Edward, je fermai les yeux comme si le fait de les fermer pouvait annuler la bêtise monumentale que je m'apprêtais à commettre.