Rose

Beatrice Bourrier

ROSE                    

                          C’est lorsque j’emprunte le joli chemin serpentant entre les amandiers et les orangers quemon âge me pèse. Mes vieux os craquent et rechignent à chaque petite côte. Le souffle court me fait languir mon banc

de bois.

Là-haut adossé à la muraille ocre, il m’attend.

Enfin arrivée je contemple ce paysage. Je savoure l’endroit avec gourmandise. Ici l’air est plus léger et mes poumons se remplissent de la douce brise sans peine ni géne.Ah cette douce et trompeuse sensation de vivre sans mal…

Voyez là-haut, perchès sur le porche de bois servant d’entrèe au cimetière, un couple de ramiers roucoulent tranquillement.

Croyance inexplicable s’il en est, j’ai toujours eu l’impression que les ramiers ètaient porteurs d’amères nouvelles. Mais aujourd’hui,qu’ai-je à redouter ?Apprèhension et crainte peuvent hanter ceux à qui il reste du temps.Les autres comme moi n’ont qu’attente et souvenirs.

Je veux aujourd’hui vous parler de la personne qui habite et marque mon enfance.C’est ma tante Rose.

Rose vivait chez nous parce qu’elle ne pouvait pas vivre seule et qu’elle était la sœur cadette de mon père.

Rose était toute simple, trop simple justement. Et pourtant de toute ma vie, je n’ai jamais rencontrée une personne capable d’autant d’amour, de tendresse de générosité.
Ma mère subissait cette belle-sœur attardée et fort peu reluisante.
Moi je m’en nourrissais avidement.

Pour vous la dècrire,je pourrai vous dire un bon gros visage

Précocément ridé, aux traits grossiers, à la peau extraordinairement épaisse, piquetée de minuscules cratères

secs ; des cheveux en bataille, blancs de bien bonne heure et

mal domestiqués sous son éternel chapeau de paille jaune d’où s’échappaient deux jugulaires de velours noir râpé noués sous

le menton.

Des espadrilles de jute bleu-gris vrillèes à la cheville par des lacets, une vieille jupe et un tablier de grosse toile un peu trop serré à la taille. Elle ètait, me semble-t-il grande, très grande et sa bonne figure offrait le constant sourire de ceux qui ne comprennent pas tout mais l’acceptent gentiment.
Rose traînait une histoire fort trouble de sa prime jeunesse où elle avait été quelque peu “livrée à elle-même “ comme disait ma mère.

Pendant cette courte période elle avait fréquenté aussi assidûment le prêtre de la paroisse qu’un chanteur d’opérette qui vocalisait dans la maison voisine de la sienne.

Mon pére, de huit ans son ainé,avait déjà quitté la maison familiale pour épouser ma mére .

A cette époque-là, Rose n’avait pas même seize ans. Son corps et ses sens s’èpanouissaient. Mes grands-parents paternels étaient agès : ma grand-mère Myrta malade,ne quittait sa cuisine et son fauteuil installé dans l’âtre de la cheminée que pour rejoindre son lit.Parfois,bien rarement à vrai dire,s’installait-elle dehors,sous l’opulente glycine pour écoccer des haricots ou éplucher les légumes de la soupe.Mais vaï,elle n’était pas bien vaillante et cela la rendait fort aîgre.Quant à mon grand-père Tonin, ses sous et ses douleurs articulaires le préoccupaient plus que le devenir de sa fille Rose.

Tous trois habitaient une grosse maison vigneronne pas très loin de chez nous, dans notre village,à Chateauneuf.

L’on nommait cet endroit  le Vatican, non pas en raison de la ferveur religieuse de mon grand-pére mais parce que ce mas

avait étè construit il y a cent cinquante ans de cela par un  suisse  échappé de la garde pontificale.Ayant attéri,dieu sait comment,à Chateauneuf,il dût aimer ce lieu et y bati une belle

demeure dont l’attrait principal était cette superbe terrasse, derrière la maison, offerte au soleil

couchant.Ses affaires tournant mal, il vendit son bien à la famille de mon pére.Lignée de petits proporiétaires viticoles, les pieds sur terre, économes et travailleurs, mes ancêtres surent se transmettre  le Vatican de génerations en génerations et ce jusqu'à mon grand-pére Tonin qui y naquit en 1870.

Au fil du temps, un grand hangard à gauche et une voliére au milieu du petit jardin vinrent compléter le batiment d’habitation. Les vieilles tuiles canal, les gros blocs de calcaires jaunes et un ravissant petit balcon en fer forgé desservant la chambre des maîtres au premier étage,juste au dessus de la porte d’entrée offrait  au Vatican  un charme incontestable.

Si je me souviens bien de l’attrait qu’exercait sur moi le Vatican, j’ai en revanche peu de souvenirs de mes grands-parents paternels.Le papé Tonin me faisait peur.La peau du visage tanée de soleil, les yeux globuleux et les cheveux rouges,il n’ouvrait la bouche que pour « roundiner ».

C’était une sorte de « petit chef »pas méchant mais peu acceuillant,brut et fermé dont la seule humanité peut-être était l’amour qu’il portait à sa femme.Et la grand-mére Myrta,petite,séche,le nez pointu,les yeux toujours plissé dans un mauvais regard sur quiconque s’aventurant sur le petit chemin du Vatican le lui rendait bien.

Toute sa capacité d’amour se concentrait là sur ce petit bout de femme.Il n’en restait pas une miette pour ses trois enfants, ni pour personne d’ailleurs.

Pas d’exception avec moi, qui me hasardait à toquer à leur porte.Je savais la mamé, là, derriére, mais qui n’ouvrirait pas.

Les enfants sont-ils sots parfois, ils n’envisagent pas qu’on les mèprisent du simple fait de leur condition d’enfant !

Mes grands-parents n’étaient pas dans le besoin.Plusieurs

générations d’enfant unique avaient évité la dispersion du patrimoine. Chaque héritier, élevè dans le culte du travail et de l’économie avait enrichi la famille, investissant dans les vignes,bien sûr,mais aussi dans l’immobilier et le commerce.

La propriétè viticole restait le plus gros bien de la famille. Avec ses trente hectares mon grand-pére faisait figure à cette époque-là de petit bourgeois  mais à l’entendre parler et le voir vivre c‘était à se demander si la terre lui ramenait de quoi manger.Cette inquiétude était liée à son éducation,son caractére mais aussi à l’histoire,mon grand-pére avait connu la grande révolte de 1907.

Il s’était même engagé dans les mouvements vignerons. A cette époque les cours du vin s’éffondraient et la loi Caillaux,tant attendue ,prévue pour réprimer la fraude n’était toujours pas votée.Lors de la grande manifestation à Montpellier du 10 Juin 1907 ,porté par les centaines de milliers de paysans en colére,sûrs que la fraude était responsable de leurs malheurs ,ils avaient demandé la  démission de la municipalité et incité à la gréve de l’impôt.  Tonin avait défilé du Peyrou au Jeu de Paume,au coté du cabaretier Albert.

Le 19 Juin, quand le docteur Ferroul de Narbonne avait étè arrété,Tonin avait dit à sa femme

-Ca sent mauvais, maintenant y va  y avoir vraiment du grabuge.Enferme-toi avec lou pitchoun(c’était mon oncle François),ne laisse rentrer personne,m’en voy défendre nostre vin.

Du vilain,il y en avait eu parce que Clémenceau,alors président du conseil n’avait rien trouver de mieux pour mater ces révoltés que de décider l’occupation militaire du Midi et l’arrestation des principaux leaders du mouvement.Un tendre que ce Tigre ! !L’atmosphére étant très tendue,les soldats furent  évidemment fort mal reçus.Jets de cailloux,injures de toutes sortes,bref ce qui devait arriver arriva :les soldats ouvrirent le feu,à la terrasse d’un café où ils firent plusieurs

victimes et notamment un gosse de quinze ans.La violence se

propagea dans la région comme trainée de poudre.A Lodéve,le jeune Tonin(il n’était pas encore mon grand-pére) participa à la séquestration du sous-préfet ! la région s’embrasait et le gouvernement compris qu’il fallait calmer le jeu.Dans le narbonnais,à Perpignan,les fantômes des albigeois pourchassés par les barons du nord habitaient les mémoires.Les hommes n’avaient pas oublié et cette fois-ci,ils ne se laisseraient pas faire.

Fin Juin,une loi »tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus de sucrage »sera votée.Les émeutiers seront remis en liberté et notamment Marcellin Albert qui pourra reprendre ses vignes à Argelliers,enfin les arriérés d’impôts ne seront pas poursuivis.

En Juillet le calme était à peu prés revenu,mais dans la tête de Tonin,les évenements s’étaient gravés à jamais ;d’autant qu’en 1908,les cours du vin restérent dramatiquement bas,et qu’avec neuf francs à l’hecto,il se demandait s’il ne fallait pas tout vendre !

Il ne vendit pas, les cours remontérent,mais comme ses ancêtres,il n’oublia pas de se diversifier.Lui en avait les moyens,pour les autres,les « gueux »comme Paris les avaient appelés lors de la révolte,ils subirent les crises en 34 ou en 5O,bien impuissants.

 Tonin créa un petit commerce de bois dans un hangard du village puis y ajouta le charbon. Il pris aussi participation dans un commerce de graines et semences à Montpellier qui  lui assura de bons petits revenus.L’age venant, ils décidérent,avec sa femme,de mettre le charbon en gérance,ils ne manquaient donc pas d’argent.

Cependant mes grands-parents étaient tous deux atteints d’une pingrerie indicible : bon sang ne saurait mentir.L’argent ne servait qu’à …économiser. Passion du bas de laine partagèe par l’un et l’autre dans une vraie complicité évidemment . On

aurait pu penser qu’ils étaient plutôt satisfait de leur petite

existence, mais cette enfant, la Rose, venue sur le tard,en 18 au retour de la guerre, qui leur coutait les yeux de la tête,quelle plaie ! !Et obligés de la subir à vie encore !

Ma grand-mère se plaisait à raconter que, constatant un certain retard dans son cycle intime, son mari et elle, avaient cru au “retour d’âge”. Un retour d’âge qui dura neuf mois et un bébé tout rond au bout.

Quelle déception !

Ils n’avaient pas vraiment élevé les deux premiers enfants mis en pension fort tôt. Ils firent encore moins avec celle-ci d’autant qu’ils constatèrent rapidement qu’elle était un peu

idiote, ce qui les déçu encore plus.

Grâce à son retard, elle échappa à l’internat chez les nonnes de la ville. Mes grands-parents la leur avaient bien présentée mais…Celles-ci la refusèrent  avec toute la compassion qui les caractérise par ce billet laconique “Impossible de l’accueillir pour cause de débilité, Essayez plutôt vers l’asile”. Mes aïeux en furent un peu dèconfits. Certes Rose n’est pas une lumière comme disait le papè Tonin mais tout de même ; et elles nous la laissent sur les bras renchérissait mamé Myrta !

 Ainsi donc Rose poussa comme une graménas comme l’on dit chez nous, une herbe folle si vous préferez.

Pour vous, jeune lecteur (je ne vous flatte pas un peu ? ! !je ne peux m’en empécher, j’adore ça ! !) , il me paraît difficile d’expliquer la “ philosophie de l’éducation “ de mes grands-

parents. Et de beaucoup de leurs semblables à pareille èpoque. En la matière, ce n’est pas deux générations qui nous séparent

mais un fossè,que dis-je un gouffre!! Les enfants leur étaient accordés par le bon Dieu afin… de leur rendre service. Alors bien sûr, il fallait d’abord les faire grandir. Pour certains le pensionnat assurait l’éducation et les diplômes promettaient un bon retour sur investissement. Pour d’autres moins doués,le placement le plus tôt possible dans les vignes ou en maison bourgeoise restait la seule voie. Point de plaisir à

éduquer un enfant, le voir s’épanouir, jouer et apprendre.

Seulement attendre.

Pour Rose, hormis les taches domestiques, rien ne lui semblait accessible. Et hèlas, même là,la malheureuse, se révélait peu douèe. Elle était incapable de bien cuisiner pour seconder sa mère, encore moins de coudre ou de broder.

Nettoyer le sol, le poulailler  ou nourrir le cochon paraissait

 être le maximum que sa petite cervelle pouvait comprendre et reproduire. C’est d’ailleurs en compagnie de la truie, comme le racontait la mamè qu’elle se montrait la plus heureuse. Mamé Myrta s’en désintéressait donc tout comme son mari, mais n’oubliait pas de gémir sur leur sort ayant une bouche à nourrir car Rose était gaillarde et mangeait la bougresse, pour deux, sans espoir d’en tirer quoi que ce fut.

La Rose que j’ai connue ne devait pas être bien éloignée de la petite fille qu’elle avait étè. Un cœur aussi pur et un esprit si simple ne connait ni le temps, ni l’amertume.

Sa face au bon gros sourire  et ses magnifiques yeux vides ne se voilaient pas  sous les coups des critiques ou quolibets parentaux. Plus tard, bien plus tard, je n’ai pas une seule fois entendu mon père, qui pourtant avait été à bonne école, se moquer de la gaucherie de Rose. Il la regardait avec une sorte de tendresse irritée et je crois bien qu’il ne lui fît jamais de mal.

 Elle pouvait rester des heures assise sur sa chaise en paille, triturant un bout de lacet ou un morceau d’èlastique sans s’ennuyer ou tout au moins n’en laisser rien paraître.

Elle avait des manies, elle aimait rêver…

Rêver, c’est sûrement l’effet que lui faisait Mario Andreotti, encore un Italien –il y en avait beaucoup chez nous- un chanteur raté aux belles manières que tous ici nommaient évidemment… : Le Caruso !

Pour le curè, son autorité, sa morale et sa culture devaient également beaucoup impressionner la jeune Rose.

A quinze ans, Rose n’avait pas plus de malice qu’une enfant de six ans mais dans son corsage ,ses tétons,eux,avaient de l’avance ! !

Le chanteur était son voisin et l’église toute proche. Rose devait trouver dans ces deux lieux des images – saintes- , des sourires –enjoleurs-,qui lui faisaient du bien.

Quant à ces deux drôles, je suppose que la perspective d’un

corps jeune et docile sans aucune responsabilité ni serment en échange dut les allécher au plus haut point. Rien à donner, juste du plaisir à prendre avec cette bécasse qui gardait les yeux grands ouverts et la bouche close pendant qu’eux, assouvissaient  leur désir. Une petite mort dans  ce corps souple qui respectait la consigne

-         Tais-toi!!

Et parfois, peut-être quelques bonbons pour la renvoyer et tranquilliser sa bonne  conscience, que demander de mieux?

Seulement voilà, la vie ne se tait pas si facilement.

Ces tripotages qui durérent au moins deux ans auraient pu se prolonger bien au de-là si…

Vay,à raison de deux fois par semaine sous le Christ en croix ou dans les notes élevées du ténor, une drôle de chose se mit à  pousser dans le ventre de Rose.

Qui du ténor ou du curé fut l’auteur?!!…

Rose évidemment ne s’en inquiéta pas.

Mes grands-parents étaient si peu habitués à la regarder qu’ils ne s’aperçurent pas de ses formes arrondies.

Les douleurs la prirent en fin d’après-midi au mois de mai, alors qu’elle nettoyait la porcherie.Surprise,elles lui

arrachèrent un cri.

Je crois que c’est mon grand-père qui la trouva, allongèe dans

la paille et les déjections des animaux. Elle baignait dans une marre de sang.

La sage-femme fut appelée et ne put intervenir qu’après avoir juré à mes grands-parents le secret le plus absolu sous peine de représailles éternelles, sur ce qu’elle allait voir.

Elle ne vit qu’une pauvre fille  dont le ventre se déchirait et qui jurait à son pére,hors de lui, qu’elle n’avait rien fait de mal.

-C’est vrai, papa, c’est vrai de vrai, je sais pas ce que c’est, mais j’ai rien fait de pas comme il faut!

-Allons, Tais-toi, fille de rien, vicieuse.

Eh oui, lui aussi, son pére, lui intimait le silence.

L’enfant naquit et vécut.

C’était une fille, prénommée Marguerite, mise en nourrice aussitôt.

Sans aucune émotion semble-t-il de Rose, telle une chienne qui met bas dans la tranquille acceptation de la chose naturelle :

Elle ne protesta jamais.

Jusqu’à ce que mon père intervienne, je crois qu’ils l’ont laissé là, avec la truie. Mon grand-père l’avait roué de coups avec la pelle qui servait  à nettoyer. Elle ne se lavait pas et mangeait ce que lui laissait son amie porcine. La maison ayant toujours

été fermée aux visiteurs, car cela coûtait, personne ne sut ce qu’il se passait. Finalement, la honte emporta ma grand-mère Myrta, qui était déjà fort avancée sur le chemin de la fin. Mon père, se rendit au Vatican, sans sa femme car elle était fachée avec mes grand-parents paternels  .

Quant à moi, n’ayant que trois ans,je fus également épargnée de la visite en raison de mon jeune age.

Lorsque mon pére arriva au mas, la pendule  était arrêtée et le cercueil qui accueillait une Myrta glacée à tout jamais trônait au milieu de la chambre.

Le grand-pére Tonin appréhendait depuis des mois le départ de sa femme.Là, il était anéanti.

A la vue de mon pére, il tenta quelques instants de se reprendre, mais finalement, sans la mamé Myrta, plus rien ni personne n’avait d’interêt.

Il garda la tête baissée.

Comme conduisant sa compagne vers cet autre voyage.

Les sillons, figés, qui lui couraient sur le visage de part et d’autre du nez et sur le front s’enfonçaient profondément dans sa peau cramoisie. Il était assis, à la table de la cuisine, les mains sur la toile cirée un peu grasse, les ongles noirs et trop longs.

Mon père respecta son silence un moment, gêné dans cette maison qui, au fond, l’avait si peu acceuilli. Il n’y avait pas d’habitudes auxquelles se raccrocher, il ne savait même pas où se trouvaient les tasses pour boire le cafè, ni où était rangé la boite à sucre.

Aucune familiarité pour le soutenir.

Puis, au bout d’un certain temps

- Mais papa, où est Rose?

Le grand-père Tonin soupira.

- Là-bas, avec le cochon.

Mon père sortit et se dirigea vers la porcherie.

Il resta quelques instants pétrifié par le spectacle :

La tête basse, Rose lui dit qu’elle était punie.

Elle haussait les épaules , gardait son cou enfoncé dedans  et disait sans colère

-C’est papa qui s’est fâché contre Rose.C’est parce qu’un joli  petit m’est venu,poulido comme un Jésus mais je sais pas où ils l’ont mis et papa est colère; alors il tape beaucoup Rose mais maintenant ça va mieux.Papa ne veut toujours pas de Rose à la maison alors je reste là,mais ils viendront bien me chercher un jour.

- Et Rose,elle est tellement contente de te voir monTitou ;

Elle avait toujours appelé son frêre monTitou, parce qu’Ernest, c’était trop difficile à prononcer.

Titou, devant sa sœur dans un spectacle aussi sordide  demeurait abasourdi.

-je vais t’emmener chez moi, Rose, tu ne peux pas rester ici.

-Chez toi Titou ? dans ta maison, avec papa et maman ?

-Non Rose,juste toi.Il t’a rien  dit papa ?,pour maman,il ne t’a même pas dit ! !

 Le vieux avait déchaîné sa haine et sa violence sur elle. Toute cette rancœur accumulée contre cette gosse idiote avait

déferlée sur Rose ébaubie ; endolorie.

La grand-mére mourante, le grand-pére méchant comme une teigne,ils avaient bien gardé leur secret en martyrisant cette

 innocente, comme s’ils attendaient qu’elle pourisse,c’est pas dieu possible cette vermine qui rongeait leur coeur .

Et puis la grand-mére s’était éteinte,et le papé Tonin n’était même pas venu voir sa fille,pour la nourrir ou lui annoncer la mort de sa mére

 Rose apprit la mort de sa mére en souriant puisqu’elle souriait toujours.

-T’es sûr Titou qu’elle est dans le paradis des oiseaux ?mais je la verrai quand ?

-Tu la verras plus,mais maintenant tu seras chez moi et tout ira bien

- Ca va être dur pour Rose de plus jamais revoir maman dit-elle, et elle n’en parla plus… jamais.

Ses yeux cependant étaient rougis par ces larmes qui s’échappaient malgré elle,sans cesser de sourire, plaquant sur sa face une grimace pitoyable,un misérable clown triste .

Elle était là, par terre, son jupon traînant dans la rigole servant à évacuer le purin.

Mon père avait senti l’urgence.Le vieux Tonin l’aurait laisser mourir là.Il fallait absolument sortir sa petite sœur de cet enfer qu’il n’aurait pas pu soupçonner.

 Il rècupèra  donc Rose à la maison.

Je n’avais que trois ans mais je me souviens de l’arrivée de Rose chez nous avec une précision extraordinaire.

Parce qu’elle était très très sale, la crasse était accrochée à ses joues et sa bouche était toute déformée. La lèvre supérieure était bleuie et il y avait des bouts de croûte à l’encoignure ;

Parce qu’elle sentait fort aussi, comme si elle avait fait pipi sur ses bas.

Et surtout parce que c’est mon père qui la lava , ma mère ayant refusé de poser ses mains sur cette misérable souillon.

Alors mon pére nous fit sortir de la cuisine-nous nous lavions à l’évier à tour de rôle à cette époque- et alla chercher un

 un gant et un gros savon de Marseille à la remise.

En passant devant moi, papa me lança un regard qui m’apprit la détresse, la honte et la volonté de rester digne.

Malgré tout.

Quant à Rose,elle souffrait de se déplacer  sur ses jambes gonflées et meurtries, et son désopilant sourire me parut seulement horriblement embarrassé.

Pendant que mon pére lavait sa sœur,ma mère ne dit mot.Nous étions toutes deux dans le couloir et chacun de ses coups d’œil vers moi trahissait le dégoût que lui inspirait sa belle-soeur Rose.

Je n’ai jamais  connu Marguerite enfant, ni su où elle avait grandi.

L’enfant bâtarde ne fût jamais accueillie chez nous et d’ailleurs mes parents ne soupçonnèrent pas qu’à dix-huit ou dix-neuf ans,lassée par la monotonie de ma vie provinciale,je rêvais d’elle qui semblait poursuivre un destin hors du commun.

Tout ça, parce qu’un jour, une amie de mémé-jardin, devant un

verre de citronnade lui donna des nouvelles de Marguerite. En baissant la voix avec une mine de conspiratrice éclairèe,elle lui apprit que l’enfant de la honte disait-elle,ètait devenue une  très jeune femme d’une beauté rare.

-Mais,ton gendre doit être au courant puisque je crois qu’il l’a toujours nourrie.

-Je sais qu’il a payé une nourrice, répondait ma grand-mére,mais Ernest n’en parle jamais. Ma fille m’a dit qu’ils avaient perdu sa trace depuis quelques années et je sais bien qu’elle ne cherchera certainement pas à retrouver cette enfant,elle a déjà eu assez de mal à supporter cette brave fille de Rose,alors tu penses,pour la pitchoune !.

-Cette enfant ? ! ! mais ne sais-tu pas que c’est une femme bien jeune je te l’accorde,elle ne doit pas avoir plus de seize ans cependant elle vient de se marier.

-Se marier,alors celle-là elle est bien bonne !

-Si,si je te le dis.
Et elle continua ses messe basses lui apprenant que Marguerite était devenue une sorte de lolita. Splendide,émancipée,avec l’intelligence et la soif de vie d’une enfant élevée sans famille ni racines.Belle plante à la peau velours et cheveux de jais, paradoxalement racée à l’extrème, elle venait d’épouser un gaucho argentin, grand propriétaire terrien,qu’elle avait rencontré alors qu’il était  en vacances dans le Sud de la France.La petite,sans guide,livrée  sa propre loi et faisant montre d’une fierté peu commune avait d’abord intrigué cet homme quadragénaire.La liberté,la franchise et l’énergie de cette femme-enfant l’avait touché.

Puis l’avait littéralement rendu fou. Après l’ avoir emmenée dans tous les endroits les plus chics de la Riviera,sans oublier les caves de Saint Germain et un détour par la Rome antique,il lui avait finalement  demandé de le suivre chez lui en Amérique du Sud.Elle lui dit oui pour la vie et plutôt pour le

meilleur que le pire puisque paraît-il, il la couvrait de cadeaux mirifiques, l’avait installé dans une hacienda somptueuse et la traitait mieux qu’une princesse.

“Comme quoi, du pire peut sortir le plus beau, parfois, ,je me dis qu’il y a une justice en ce bas monde et qu’une enfant ayant si mal demarrée risquant d’être idiote comme sa pauvre mére, puisse finir en reine,bah ! ça me réconcilie avec le boun diou”termina-t-elle, philosophe!

Je découvrais cette histoire, dans le plus grand secret, mémé ne m’ayant pas entendu approcher avec une assiette pour servir  des oreillettes. Cette demoiselle,ma cousine,allait hanter mes nuits de jeune femme enfiévrée m’inventant des amours passionnées et impossible avec des hidalgos exotiques bottès en diable,prêts à tout pour moi bien sûr,avec rodèos ranchs et salsas!.

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