Rupture digitale

ykar

Nous étions différents, opposés. Les parfaits opposés, les plus et moins d’un aimant. Qui se collent pour une raison aussi intrinsèque qu’essentielle. Nécessaire. Mais nous ne pouvions continuer ainsi. L’amour est une chose, réussir à le vivre en est une autre.

- Donc quoi ?

- Je dois partir. Tu le sais, je le sais. Et ça me tue autant que toi de te le dire. C’est fini.

Elle pleura, nous pleurâmes. La réalité des choses nous sautait aux yeux de manière aussi abrupte et soudaine que douloureuse, malgré la latence et la prévisibilité de la situation. Le début de notre relation était idyllique. Moi, elle, le parfait mélange. La parfaite équation. Les parfaits opposés. Puis le temps a passé, les frictions, les engueulades. Nos personnalités qui s’opposent. Mais ce que nous avions vécu, notre histoire, à nous, celle que personne ne peut nous voler, constituait le ciment de notre relation.

Nous nous reverrons peut être, nous serons tentés de nous rapprocher à nouveau. Peut être même que nous baiserons. Avant de décroiser à nouveaux nos chemins. Pour d’autres choses, d’autres personnes. Ça n’a pas attendu tant que ça d’ailleurs. Si on ne fait pas ça maintenant, quand-est qu’on le fera après tout ?

Nous n’avions personne à qui en vouloir pour cette catastrophe sentimentale. Personne, à part la vie, le cours des choses. C’est là le point plus éprouvant, rager sans savoir sur quoi rager. Elle, moi, le monde entier.

Elle partit, loin. Moi je restai là, essayant tant bien que mal de continuer à trouver ma route dans cette nuit sans étoile et sans lune. Et puis le temps a passé. On n’arrête pas de vivre pour autant n’est-ce pas ? Nous entretenions malgré les choses la flamme qui faisait bruler nos deux cœurs, nos deux cœurs désormais à vifs, du moins le mien. Puis la flamme s’est consumée, jusqu’à presque s’éteindre. Ne restaient que des braises rougeoyantes en dessous de ternes cendres grises. Les contacts devinrent épisodiques, rares. Inexistants. Les questions qui vous assaillent, les doutes. Les remords. La fameuse putain de question que l’on se pose, « et si … ? ». Cette question qui vous empêche de dormir, qui vous pétrifie dans vos draps remontés jusqu’au cou. Elle glace votre cœur, et embrase votre esprit. Jusqu’à ce qu’il lâche, longtemps après, pour vous plonger dans un sommeil sans rêve.

Il est complètement flippant de penser que nous sommes dépendant d’une seule et même personne au niveau des relations amoureuses. Et en même temps, complètement naïf de penser que nous ne le sommes pas.

Alors que je m’étais séparé d’elle depuis plusieurs mois maintenant, qu’elle soit désormais à des milliers de kilomètres, rien qu’une petite présence d’elle sur internet, ces relations digitales ne valant au final rien, me faisaient flipper au plus haut point. Chaque trace, chaque souvenir ravive le feu douloureusement brulant de son absence. Où est-elle, que fait-elle ? Et bien sur, la jalousie me soufflant cette fameuse question désormais taboue, avec qui est-elle ? Qui voit-elle ? M’a-t-elle oublié ? Pourquoi ?

Messages sans réponse, conversations plates et brèves. Internet a beau réduire les distances, il n’en réduit pas pour autant les distances du cœur. Dans un monde jamais autant connecté, où il n’a jamais été aussi facile de se parler, s’écrire, communiquer, la communication devient un enjeu majeur. A l’heure où toute notre vie électronique peut être résumée à une code digital composé de 1 et de 0, avoir une communication avec quelqu’un ne signifie plus forcément échanger. La baisse des coûts de transaction facilite l’entrée en contact, en conversation, mais a aussi facilité l’ignorance, l’indifférence et la superficialité, et cela de manière voulue ou non. De chair et d’os, jamais nous n’avons autant nécessité le contact physique, tout ce que le numérique ne remplacera jamais tant que nous serons humains dans notre forme actuelle. Naïve et candide société, à l’apprentissage des relations sociales à l’ère du numérique.

Célibataire, seul. C’est à ce moment là que l’on réalise à quel point nous pouvons être dépendants à des personnes ; les conversations, la présence physique l’on avait, les bons moments partagés. Avec la rupture, l’éloignement, tout cela s’est envolé. In fine, personne ne sait si ce qui nous manque tant et dans un sens nous fait tant souffrir est la personne en elle-même, où les moments que nous avons partagés avec. « Qu’importe le temps, qu’emporte le vent, mieux vaut ton absence que ton indifférence », disais Gainsbourg. La seule question demeurant dans l’objet de l’amour absent : est-ce une personne, une situation, une idée ? Sans doute un subtil mélange. Trouver le concept dans la personne, pour vivre quelque chose d’unique à nos cœurs. L’appliquer, l’éprouver, le vivre, en jouir, en souffrir. Et tout recommencer.

Aucune personne n’est remplaçable. Mais cette subtile adéquation, cette synergie créée entre personne et concept peut sans doute être recréée. Même si elle peut être unique, ce qui constitue la beauté de l’amour, elle n’est aussi sans doute pas aussi rare et irremplaçable que l’on ne le pense. Heureusement d’ailleurs.

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