Sadisme intérieur
blackfeather
Il arrive de temps à autres que "Conscience" me torture. Elle prend un malin plaisir à m'imposer d'ignobles pensées alliant mauvais souvenirs et imagination morbide. "Conscience" se met alors à me susurrer de sa petite voix fourbe, de traumatisantes paroles. Son registre ? "Conscience" le puise dans le tragique. Elle déteste la fiction et préfère parler de choses concrètes. Ce sont des mots sortis du lourd écrin de la réalité qu'elle m'adresse. Cette dernière troquera le "Happy End" pour une chute dévastatrice. "Conscience" choisit ses moments et oeuvre principalement dans des moments de silence et de solitude.
Elle commence d'abord en introduisant des personnages au visage flou, sans nom. Ce qui ne m'atteint pas et me laisse de marbre. Cela ne lui plaît guère. Alors elle persévère et associe des visages à ces personnages indéfinis qui n'arrivaient, jusqu'ici, à m'émouvoir comme elle le souhaitait. Elle les dessine lentement, allant jusqu'au dernier petit détail. Ce sont des personnages que j'arrive à reconnaître . Ils ont tous, un jour ou l'autre, fait partie de ma vie. Il y en a que j'affectionne énormément, et d'autres que j'aimerais plutôt voir mourir. C'est alors que d'impensables scénarios débutent, tous plus noirs les uns que les autres.
Quel que soit le scénario que "Conscience" aura choisi de me conter, c'est au rang de spectatrice que je serai clouée. Le rôle d'actrice m'est rarement destiné. Néanmoins, lorsque c'est le cas, ce n'est qu'en tant que pantin délibérément agité et contrôlé par "Conscience", que j'apparaîtrai. Au bon vouloir de Madame, je me vois ainsi condamnée à assister au long déroulement de la pièce méticuleusement pensée. Il ne servirait à rien que je ferme les yeux, cela force le détail et rend le supplice plus net encore. Ceci revient à ajouter des millions de pixels à l'image projetée. Je sens alors l'approche du commencement.
C'est ainsi que j'aperçois "son" visage, marqué d'une petit sourire narquois ; victorieux et machiavélique à la fois. Ses yeux sont sont braqués sur moi, ils me transpercent tout comme deux balles d'un 9 millimètres le feraient. Il reste immobile, une goutte de sueur dégoulinant sur son front comme s'il avait épuisé toute son énergie. La scène est au ralenti. Soudain, son sourire s'élargit. Ses lèvres laissent place à ses dents toutes blanches et bien alignées. C'est un gros plan de ce visage qui m'apparaît et me fait froid dans le dos. Puis, j'aperçois juste derrière lui, "cette femme". Ce n'est pas n'importe quelle femme, il s'agit d'une femme que je connais depuis toujours et que j'affectionne sans limite. Lui, en revanche qui ne m'est guère étranger non plus, demeure un homme que j'aimerais étrangler.
La femme est étendue sur le sol. Elle ne gémit pas, ne dit pas un mot mais essaie de se redresser. Elle a l'arcade sourcilière creusée, le sang coule sur sa figure, quelques gouttes viennent se loger au coin de ses lèvres tuméfiées. Celle-ci s'efforce de retenir ses larmes.
L'homme baisse les yeux et se retourne tout à coup vers elle. Il marque un temps d'arrêt, me laissant discerner l'objet qu'il tient à la main. Il s'agit d'une épaisse ceinture de cuir noir. A la vue de cet objet mon corps se crispe et se glace. Aussitôt il se rue sur elle et l'accable de coups, tous plus violents les uns que les autres. Une fois la vingtaine de coups assénée, l'homme arme ses poings d'acier... Le visage de la femme est démoli, son nez est enfoncé, ses yeux sont fermés et virent au violet, ses lèvres sont ouvertes, elle n'est plus consciente et gît dans une marre de sang écarlate. L'homme est en nage mais reprend rapidement son souffle pour diriger vers moi un regard si noir que je fus persuadée, sur le moment, avoir été engloutie à jamais par les ténèbres. Ce après quoi il se retourna de nouveau vers le corps inerte pour tirer un puissant coup de pied dans sa tête. Un énorme craquement d'os retentit et puis plus rien... Le noir total s'empara de ma toile cérébrale.
C'est à cet instant que deux grosses perles viendront rouler sur mes joues accompagnées d'une réelle envie de vomir et de hurler. Mais je réalise tout à coup que cela n'était qu'un cauchemar éveillé, un film d'horreur projeté à l'intérieur de mon cerveau et dont le réalisateur n'était autre que "Conscience", à qui devrait être décernée la Palme d'Or du sadisme en toute sa splendeur. Alors, du revers de ma main je balaye l'humidité de mon visage et me mors subitement les lèvres salées par mes larmes, forcée de reconnaître l'énième victoire de ma terrible conscience.