SARAH

Jacques Daillie

Un "bout" de ma vie.



Alors que j'atteignais mes cinquante ans, ma solitude amoureuse a été de courte durée puisque c'est au printemps qui suivit la mort (probable) de Franca que j'ai rencontré Sarah en Israël. C'est à ce moment que l'on peut dater le début de notre histoire amoureuse, même si nous n'avons vécu ensemble que trois ou quatre mois plus tard, et cela pour 12 ans. 

C'était au printemps 82. Elle avait, à peine, la moitié de mon âge, mais je me sentais encore en pleine possession de mes moyens. Elle incarna à mes yeux, plus qu'aucune des autres femmes que j'ai aimées, l'idéal de beauté, de féminité, d'intelligence, d'amour et de bonheur que je puisse attendre d'une femme.

C'était à Rehovot, et plus précisément à l'Institut Weizmann où j'avais été invité que je la vis pour la première fois à l'une de mes conférences à laquelle elle me posa une question pertinente sur mon opinion sur le tout nucléaire et les énergies de substitution (eh oui, déjà !). Dans ma réponse, je précisai que, tout en préservant et développant mon expertise dans le nucléaire, je travaillais aussi sur d'autres sources d'énergie avec mon équipe, la petite futée devait le savoir, sans doute par les rumeurs qui circulent toujours dans les milieux scientifiques !, mais que je ne pouvais pas en parler, ces recherches étant protégées par le secret industriel !

La jeune femme demanda à me rencontrer; je lui donnai rendez-vous à mon hôtel à Tel-Aviv où je comptais passer quelques jours avant de rentrer en France. Comme elle n'était pas pratiquante, m'a-t-elle dit, nous nous sommes retrouvés dès le vendredi pour déjeuner ensemble. Elle m'apprit alors qu'elle était juive mais française, qu'elle faisait à Rehovot son stage dans le cadre d'un DEA de Strasbourg, qu'elle avait pensé y poursuivre sa thèse, mais qu'elle ne supportait pas l'ambiance de la société israélienne. Ni la politique d'Israël à l'égard des Palestiniens. Les tensions avec les forces de l'OLP installées au Liban étaient d'ailleurs de plus en plus évidentes et l'on sentait que Tsahal allait intervenir - ce qui effectivement arriva quelques jours plus tard. Elle ne voulait pas s'éterniser en Israël et parlait de rentrer dès qu'un accord serait possible avec un laboratoire français. 

Je lui indiquai des laboratoires universitaires à contacter, en insistant sur celui avec lequel mon groupe EDF collaborait à Paris VI, que je connaissais donc mieux et dont je savais qu'il avait les moyens de la prendre en doctorat, si le patron la trouvait ad hoc

Après le déjeuner, nous avons visité Jaffa, la vieille ville arabe, puis, au milieu de l'après-midi elle me proposa d'aller nous baigner. La plage Frishman, dite plage des Français, qu'elle semblait bien connaître, se trouvait proche de mon hôtel où j'allai chercher le maillot à peine sec des longueurs que j'avais faites le matin même dans la piscine de l'hôtel.

Je ne parlerai pas de coup de foudre, même si le courant passa bien entre nous. Mais tout de même, cela y ressemblait fort. Très attiré par cette fille séduisante, je me promettais de rester sage, pas encore certain d'être prêt à me lancer dans une nouvelle aventure amoureuse. Nous parlâmes encore un peu de science, puis, assez vite, ensuite, de tout et de rien, c'est-à-dire, en fait, d'elle, de nous.

Sa judéité ne semblait pas la tracasser, ce n'était pas pour elle un fardeau. Bien que ses parents fussent des juifs pratiquants - mais non intégristes, et même très tolérants, précisa-t-elle -, la religion était fort loin de ses préoccupations. En fait, me sembla-t-il alors, elle se disposait à dévorer la vie à belles dents...

Elle était belle, et elle le savait. En tenue de bain, c'est à dire quasiment nue, elle ne pouvait que séduire, ou, du moins se faire désirer. Elle m'a paru ne pas détester cet effet bien que, en ville, elle fût vêtue de façon plutôt pudique comparée à l'exhibitionnisme voyant de la plupart des jeunes Israéliennes. Elle avait la beauté rayonnante des jeunes filles à qui la vie ne se refuse pas.

Et puis,  comme nus sur la plage des Français, nous avons été pris d'un désir foudroyant. Ses seins pointaient sous de petits triangles mouillés et son sexe s'ouvrait derrière un mince slip. Nos mains s'emmêlaient et se mêlèrent de tripoter nos attributs. Cela ne pouvait durer, même si les israéliens sur ce plan ne sont pas très pudibonds, et nous nous repliâmes, vêtus pour un moment, vers mon hôtel, heureusement tout proche. 

Sarah avait 24 ans - et moi, 51 ! A peu de chose près, elle avait l'âge de ma fille. J'étais cinquantenaire mais mon cœur et mon corps allaient bien, et il paraît que j'étais encore séduisant. En tout cas, cette différence d'âge n'empêcha pas Sarah de se jeter, si tôt arrivée dans ma chambre, dans des ébats effrénés  auxquels je succombais vaillamment et avec délices.

Très sensuelle, on pourrait dire concupiscente, Sarah, tout en étant une étudiante douée et très sérieuse, pratiquait le sexe avec la même ardeur que son sport favori, la natation. Elle m'a même avoué cette nuit-là que, en vérité, son sport favori, c'était plutôt de faire l'amour. Elle s'est présentée à moi comme une gentille petite libertine. Je lui ai alors parlé de la façon dont je vivais, que je ne pouvais pas me contenter, même amoureux, d'une seule femme. Elle m'a répondu qu'elle prenait son plaisir avec tous les hommes qui lui plaisaient et qu'elle séduisait, mais que le jour où elle rencontrerait l'homme de sa vie, elle serait fidèle. 

Comme je ne pensais pas que nous allions tomber fous amoureux l'un de l'autre, je pris ça à la rigolade.

J'avais tort. 

Nous avons encore passé le samedi ensemble, principalement au lit. Et le dimanche, elle est repartie travailler à Rehovot et je suis rentré à Paris. Et figurez-vous que nous n'avons pas cessé de nous écrire, ou de nous parler, jusqu'à ce qu' elle rentre en France. 


A la mi-juillet, elle arriva à Paris, et, ses parents étant strasbourgeois, c'est tout naturellement qu'elle s'installa chez moi. Tout aussi naturellement que nous fîmes chambre et lit communs dès le premier soir...Nous avons, le surlendemain, décidé de partir en vacances ensemble, en amoureux, une fois qu'elle aurait revu et informé sa famille. Car nous imaginions que, pour nous deux, entre nous deux, le bonheur, c'était tout de suite et pour longtemps. Je l'avertis, cependant, que n'étant pas divorcé d'Annette (laquelle ne voulait pas de divorce) je ne pouvais l'épouser. Cela la fit rire de bon cœur... 


" Zut, alors ! Je pensais justement avoir trouvé un bon parti ! Mes parents seront plus difficiles à convaincre que moi. Mais, c'est tout de même de nous qu'il s'agit. Pas d'eux ! "

Mes enfants, Lucas et Léa - L&L, comme nous disions parfois, leur mère et moi, n'en revinrent pas lorsqu'ils nous virent arriver à Lolette. 

" Tu les prends au berceau, maintenant, me dit Lucas, 19 ans. Remarque, tu as bon goût, comme toujours, elle est canon ! Léa ne dit rien, mais n'en pensa pas moins...


Après une dizaine de jours en famille, Sarah et moi, nous partîmes en Irlande. Puis, de là, en Ecosse et dans les Shetlands. Nous avons pris un mois, car j'avais des retards de vacances dont je profitai. Après une année en Israël, Sarah trouva ce climat humide, et même rude à mesure que nous " montions " vers le Nord, très vivifiant et fut enchantée de ce voyage qu'elle n'aurait pu s'offrir.

Lune de miel ? Cette expression surannée, vieux jeu, tendre, sentimentale, je l'emploi avec émotion. Et, pour rien au monde, je la supprimerais de ces mémoires. C'était bien la première fois que j'avais conscience de vivre une union encore inconnue, une fusion totale, charnelle et spirituelle, avec une femme.

A la fin de notre périple, nous ne pouvions même plus imaginer ne pas être ensemble.

Je me suis demandé, au début, après les réactions de mes enfants, s'il n'y avait pas une grande indécence à m'éprendre d'une fille aussi jeune, aussi belle aussi, pour un type de 50 ans passés qui avait déjà tant connu de femmes et qui en avait aimé quelques-unes aussi... Je m'en ouvris à Sarah. Cela la fit rire. Puis, retrouvant son sérieux, elle me demanda: "as-tu eu des états d'âme en aimant, à peine sorti de l'enfance, Aline, une femme veuve et mère de famille en deuil, de 20 ans ton aînée. Et Annette, plus âgée que toi aussi de presque dix ans. Et Martine, une femme mariée... Et Franca, à peine plus âgée que moi. Sans oublier toutes les femmes plus âgées ou plus jeunes que toi avec lesquelles tu as fait passer le temps et dont certaines, peut-être, se sont senties flouées. Est-ce que tu n'as pas le vertige en pensant que, pour ainsi dire, tu n'as pas passé, en moyenne, une seule journée, depuis 35 ans, sans faire l'amour… "

Ou là !, ou là là ! Rien ne lui avait échappé... Je ne savais même pas encore qu'elle était capable de penser et de dire des choses osées. Car elle n'emploie pas, ou vraiment très rarement, des expressions  aussi "vulgaires " que baise-moi, ou même faire l'amour. Elle dira plutôt " allons jouer au lit " ou " j'ai envie d'un petit câlin " ou " un peu de bagatelle serait une bonne idée ". Mais, " tirer un coup ",non, ce serait choquant. Il est des mots qui lui écorchent les lèvres.

Je ne connais pas de limite à sa sensualité, mais elle l'exprime avec distinction.

En public elle est pudique, presque pudibonde. Pourtant, elle aime qu'on la regarde, comme je l'ai déjà dit. Elle ressent, je crois, comme un plaisir délicat, que des hommes, ou des femmes, la remarquent et fantasment à son sujet. Elle imagine qu'on la scrute pour la percer à jour. Je lui ai dit un jour que c'était une forme de narcissisme; se regarder en somme par l'intermédiaire du regard des autres. Elle a souri, réfléchi un moment et reconnu que, oui, en effet, c'était en somme bien quelque chose comme ça. "Je pense du bien de moi ; je sais que je plais et cela me paraît normal. Je me sens bien dans ma peau. Est-ce mal ?" m'a-t-elle demandé. 

" Non, princesse, je ne crois pas, c'est une forme de confiance en soi. Le narcissisme à un côté très positif et je ne crois pas que tu sortes de cette limite. 
- Pourquoi tu m'appelles princesse ? 
- C'est ce que tu es, non (Sarah, en hébreu, signifie en effet " princesse ")? Ton prénom a été choisi avec amour par tes parents...Et je m'en félicite ! "


Parfois, pendant notre voyage, si le temps et les lieux le permettaient, nous nous baignions nus dans une vasque rocheuse, laissée pleine d'eau par la mer retirée, et réchauffée par le soleil. Et nous nous retirerions au pied d'une falaise… Elle a toujours aimé ça, faire l'amour en pleine nature. Mais jamais en public!

Aussi m'a-t-elle surpris en parlant des amours et des conquêtes que j'avais eues depuis mon adolescence...Elle poursuivit, ce jour-là : 

" Vois-tu, je ne te trouve pas vieux. Ou plutôt, je ne me pose même pas la question. Auprès de toi, je suis bien, je t'aime. Sans me demander ce que ça veut dire. Je crois même que je ne saurais imaginer ne pas être avec toi, ne pas avoir envie de toi ". 

Le bonheur qui dure ne se raconte pas. Notre voyage " de noces " vers le Nord scella notre amour fusionnel. Durant tout ce mois à travers les îles, les mers et les océans, nous n'eûmes qu'à jouir de la nature et de nous-mêmes, de notre conversation et de nos corps. Cet été 1982 reste pour moi - et je pense aussi pour elle -, inoubliable ! Jamais je n'avais encore été aussi proche d'une femme.

Jusqu'à ce qu'un grave différend entre nous n'intervienne, il fallut 10 ans, donc, et 12 avant qu'elle ne me quitte, pour parfaire ce qu'elle considérait comme sa vie de femme : avoir les enfants que je lui refusais. Notez bien qu'elle aurait pu, sans rien dire, me les imposer. Non, ce n'aurait pas été digne d'elle : elle préféra, sûrement dans un profond déchirement, confier cette tâche (faire et élever avec elle des enfants) à un autre homme. Je n'ai pas voulu lui faire ce plaisir, arguant qu'à plus de 60 ans ce n'était pas raisonnable de donner naissance à nouveau à des enfants… Jusqu'à cette grave discordance entre nous, ce ne fut que du bonheur, comme on dit aujourd'hui à n'importe quelle occasion.

Sarah, désireuse de s'accomplir en tant que femme, désireuse d'avoir les enfants que je lui refusais, me quitta, quitta son amour pour vivre avec un homme qu'elle n'aimait pas. Elle avait pour lui de la considération. Elle eut sans doute aussi, en plus, de l'affection. Sûrement, même, mais pas d'amour comme elle me l'a avoué il y a peu. Je n'ai pas été surpris, bien sûr. Grâce à cet homme, elle a de beaux enfants : deux enfants vivants, Thomas - dit Tom - et Marie Gwenaëlle - appelée Gwen -, après avoir été trois fois enceinte : le dernier enfant, une fille handicapée, Laura, ne vécut que cinq années. 


Nous sommes restés proches l'un de l'autre, sans jamais plus nous rejoindre dans la fusion des corps à corps  que nous avions connus pendant dix ans. Dans les derniers mois, j'ai dû lui faire l'amour en capote, ce qui ne m'étais jamais arrivé avec elle. Parce qu'elle avait cessé de prendre la pilule et ne voulait pas avoir à user, a posteriori, d'un moyen infanticide. Elle a même commencé à coucher avec cet homme avant de ne me quitter vraiment qu'à partir du moment où elle s'est sue enceinte !

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