SDA

marguerite

A peine la porte ouverte j’ai l’impression désagréable de déranger, de faire trop de bruit, comme si j’entrais dans une église en plein milieu d’une messe, tandis que tous les paroissiens sont têtes baissées à attendre je ne sais quoi. La bonne parole peut-être ? Ou un miracle ? Tout dépend des cas. Mon éducation m’impose un bonjour, que j’adresse assez discrètement vu l’ambiance morose du lieu...


Certains de mes concitoyens ne daignent pas lever le nez de leur lecture, généralement Pèlerin magazine, Le Figaro Madame ou encore un ouvrage de décoration tellement ancien qu’on est en mesure de se demander s’il ne prodigue pas plutôt les louanges des meubles antiques, ou s’il ne prononce pas l’éloge du Vintage, très tendance de nos jours. La seule certitude est que ces magazines datent de quelques décennies au moins, ils sont tellement usés que les pages, devenues de véritables buvards microbiens, ne crissent même plus sous leurs doigts de malades contagieux.
D’autres me dévisagent des pieds à la tête, sans un sourire bien entendu,  comme si j’arrivais d’une autre planète que la leur, ils en oublient donc de rendre mon salut mais leur curiosité est palpable ; tandis que d’autres encore, bien élevés ceux-ci, se contentent de vous esquisser un imperceptible étirement des lèvres accompagné d’un hochement de tête pas plus manifeste mais qui semble signifier un accueil des plus chaleureux dans cette atmosphère quasi polaire.

D’un œil furtif, je cherche déjà la meilleure place assise. J’esquive aussitôt la place près de la grand-mère qui me fait signe que son siège voisin est libre, en fuyant son regard trop bienveillant qui me darde déjà ; celle-ci n’attend qu’une chose : Un pigeon à qui raconter pourquoi elle est ici et du coup sa vie entière sera déballée en moins de deux. Je ne serai pas ce pigeon ! Je contourne la chaise disponible près de l’homme énorme qui respire trop fort et dégage une odeur toute aussi puissante, pour m’installer tout au bout, seule contre le mur en ayant pris garde de ne pas poser mon fessier au côté du très joli bébé qui me sourit, mais qui ne manquera pas de me faire tourner en bourrique en jetant son doudou à terre tout en me fixant des yeux, implorant que je le lui ramasse, sans quoi il menacera de hurler à pleins poumons, tandis que sa mère aura les bras trop occupés pour le récupérer elle-même. Le ridicule ne tue pas, en revanche il est difficile à supporter.
Une fois assise, j’adore observer, scruter les gens qui m’entourent, imaginer leurs vies, les raisons pour lesquelles ils sont là, comme moi à attendre, au minimum une heure, car nous sommes toujours pris en retard. Même le poisson dans l’aquarium nous pourrions l’entendre nager tellement le silence est profond, seule une page tournée de temps à autre, ou une toux rebelle ou encore un reniflement réitéré à l’infini nous rappelle que nous sommes tous en vie. C’est à peine si on ose respirer de peur de gêner le patient d’à côté. Jusqu’au moment où, enfin, la porte s’ouvre, il apparait et déclare en me regardant :

« Madame, c’est à vous. » Je me lève alors, soulagée, je peux respirer à ma guise, j’adresse un au revoir discret qui lui aussi restera sans réponse et je suis le médecin sans bruit.


 

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