Second jour [2]

abysses

Aujourd'hui, je suis de formation avec Elodie pour apprendre à tenir son rayon "Fromage trad", j'ai aucune idée de ce que l'abréviation veut dire, sans doute traditionnel ? J'ai encore une fois dormi très peu, difficile de prendre un rythme de travailleur en à peine quelques jours, d'autant plus que le réveil sonne entre 5h et 6h.

J'avale le même jus d'orange, enfile un polo aux couleurs du magasin que mon beau-frère m'a donné et le rejoins pour boire le même café et emprunter le même trajet jusqu'au magasin. Il m'explique rapidement comment se déroulera ma journée : je vais mettre en rayon jusqu'à 7h, puis suivre Elodie dans sa journée jusqu'à ce qu'elle ait terminé, là je basculerai sur de la mise en rayon.

Il me parle d'avantage des autres salariés que je vais rencontrer, principalement du chef boucher. La première mission que les propriétaires du magasin lui ont confié consiste à faire en sorte que ce dernier démissionne. Une enquête interne a révélé qu'il n'avait aucun respect des normes d'hygiènes et de sécurité. Mais les constatations nécessaires pour mener à un licenciement sont particulièrement difficiles à obtenir. Il me demande de jeter un œil pendant ces prochains jours. Je le rassure en lui indiquant que je serais ses yeux et ses oreilles.

Arrivé au magasin, je constate que la réserve est remplie. Le mardi et le vendredi, le magasin reçoit des grosses livraisons qui nécessitent plus de monde. Je découvre également trois autres membres de l'équipe : Aurore, Jordan et Aurélie. Aurore est une quarantenaire assez jeune dans sa tête qui sourit et s'habille de manière assez coquette, on sent néanmoins qu'elle vit mal son âge en remarquant ses cheveux teints. 

Jordan est un mec tirant sur la trentaine sans vraiment la faire, il paraît jeune de visage et a des traits assez fins. Il est particulièrement bronzé et s'exprime avec des mimiques et une gestuelle qui ne laissent aucun doute sur son orientation sexuelle. Il est efféminé au possible et apporte de la bonne humeur dans l'équipe. Mon beau-frère me prévient néanmoins de faire attention à lui, et il est vrai qu'il a l'air un peu plus vicieux qu'il n'ose le montrer.

Aurélie est une fille tirant sur la trentaine également que je qualifierai de vulgaire. Elle est grande gueule, blonde, n'hésite pas à faire des blagues bien grivoises et a des bras tellement imposants qu'on dirait mes cuisses. Je crois que c'est la seule personne que j'ai vu tirer les palettes à main nue quand elles n'étaient pas trop remplies au lieu d'utiliser un tire-palettes.

J'attrape un tire-palettes et décide de sortir les palettes de la réserve pour les mettre devant le rayon correspondant. C'est un outil assez pratique mais je reconnais qu'il est difficile à appréhender et qu'il est facile de se tromper en manœuvrant avec. Nous vidons ensuite un maximum de palettes pour mettre la came en face des rayons correspondants, ce que l'équipe appelle le dépotage, puis nous procédons à de la mise en rayon. J'aperçois Elodie arriver.

Je la rejoins en la saluant et me dirige avec elle vers la fromagerie pendant qu'elle m'explique rapidement ce que nous allons faire. Tout d'abord, elle me tend un rouleau rempli d'autocollants "50%" et me fait signe d'aller du côté du rayon boucherie libre-service pour vérifier les dates des produits. Si le produit est périmé dans deux jours ou moins, je lui mets cet autocollant. Elle me laisse en autonomie pendant qu'elle part faire de même pour sa fromagerie et je l'y rejoins après avoir terminé. Elle m'explique que pour la fromagerie, je ne dois pas brader les produits qui se périmeront le jour même mais tout simplement les jeter, sinon c'est la même.

Le boucher reçoit ensuite la livraison de son rayon libre-service et je suis informé que c'est à nous de remplir ce dernier, sans doute est-il trop occupé de son côté. Nous allons particulièrement vite à deux et cela se déroule sans encombre, nous procédons de plus aux rotations et au facing expliqués la veille. 

Il est maintenant 7h30 et je la rejoins devant le rayon fromagerie pour un briefing de ce qui s'y vend. Je lui précise qu'il me faudrait un carnet pour noter précisément tout ça, mais elle refuse en disant que je n'en aurais pas besoin, puis elle prend chacun des trente fromages du rayon et m'explique comment ils se vendent. Je suis complètement submergé par le flot d'informations, je retiens quelques noms mais la majorité de ce qu'elle me dit est oublié dans la minute.

Maintenant, place à la découpe. Elle me montre rapidement plusieurs papiers remplis de fautes d'orthographe dans ce qu'elle appelle le labo, une pièce climatisée avec une machine à découper le fromage, un établi et une étrange machine faisant office de balance. Elle m'explique que tout ce que j'ai besoin de savoir est dessus, puis me montre la chambre froide. S'il fait environ 10 degrés dans le labo, la chambre froide est entre 0,5 et 1 degré et je dois reconnaître que par ces canicules, je suis enchanté de travailler ici, même si je lui en veux un peu de ne pas m'avoir précisé qu'il serait préférable de m'habiller un peu plus chaudement aujourd'hui. 

Pendant deux heures, elle m'enverra chercher différents fromages dans la chambre froide pour ensuite me montrer comment les découper et les présenter proprement avant de me les faire mettre sous atmosphère. 

La mise sous atmosphère m'apparaît comme une véritable affaire de dextérité. Je dois poser le fromage sur la balance qui me sort une étiquette collante, attraper du film plastique puis le faire passer au dessus de la barquette, le caler en dessous, lever la barquette puis tirer le film plastique en même temps afin de le ramener en dessous, le sectionner au passage sur une barre métallique chaude prévue à cet effet, puis le serrer pour obtenir un film lisse et sans pli. J'échoue plusieurs fois et la majorité de mes fromages sont dans un emballage assez hideux que j'essaie de masquer comme je peux en déposant une étiquette sur les côtés les moins présentables.

Une fois terminé, tout est mis sur un grand chariot à étages que j'emmène vers le rayon afin de procéder à de la mise en rayon. Il est maintenant temps de nettoyer le labo de fond en comble en nettoyant tous les instruments, désinfectant toutes les surfaces et en frottant le sol. 

Vient ensuite une pause assez surprenante, je suis Elodie dans la boucherie pour y prendre un café sur le plan de travail en compagnie du boucher. Nous traversons ensuite cette dernière pour sortir par le local poubelles qui fait office d'entrepôt pour les déchets alimentaires (comprendre les résidus de viande) et qui, au vu de la canicule et du fait qu'il ne soit pas climatisé, empeste franchement la pourriture et le sang. 

Je garde ça pour moi et décide de rejoindre le reste de l'équipe pour procéder à de la mise en rayon pendant qu'Elodie est appelée en caisse. Je passe le reste de la matinée à ranger des packs d'eau, des bières, des bouteilles et des cubis de vins ainsi que divers sodas et jus de fruits dans les rayons correspondants.

Vers la fin de matinée, je suis appelé en caisse et rencontre un nouveau type de client. Une petite vieille me précise qu'elle a acheté des pêches blanches puis, une fois encaissée, part examiner son ticket avant de revenir m'insulter de voleur en clamant que ce sont des nectarines. Personnellement, je n'ai jamais vu de nectarines poilues, mais je peux comprendre que pour une différence de 70 centimes au kilos on ait assez peu d'estime de soi pour essayer d'arnaquer le magasin. Je soupire en l'envoyant se faire rembourser à la caisse de Françoise et ferme ma caisse, ma journée étant terminée.

Je rentre complètement exténué, si lever un pack d'eau m'apparaissait comme un léger effort jusqu'à présent, ne faire que ça pendant deux heures m'a fait comprendre que si ce que je faisais actuellement n'était pas intellectuellement hardu, c'était tout de même relativement physique.

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