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SeinSein : - 1. Chacune des mamelles de la femme. - 2. Coeur, pensée. - 3. Le sein de Dieu : le paradis. 4 - En allemand : être, existence, ce qui est réellement. La première chose à laquelle je m'étais attaché lorsque je l'avais pour la première fois rencontrée, ce fut son visage. Un visage affable qui m'affecta d'un sentiment plus doux que de coutume. Mais je fus incapable de le sexualiser - tel que je m'en souviens le visage était anguleux, rigide, volontaire. Etait-ce mon incapacité à y entrevoir de la féminité qui désexualisa mon attitude ou l'indifférence générale qui régnait au sein de notre petit groupe dans ce restaurant ? je ne puis le dire. Probablement un mélange de causes paradoxales qui de toute manière ne m'ont pas semblé suffisamment importantes pour que je les remarque. Avant tout je vis un être humain, un être quelconque comme on peut en voir dans la rue, et plus quelconque encore puisque son corps n'intégra pas à ce moment mes souvenirs. La soirée débutait et nous eûmes l'occasion de discuter un peu, mais elle resta presque plus formelle et plus distante que moi puisqu'elle ne me posa que deux ou trois questions banales... Un peu plus tard dans la soirée nous eûmes à nouveau une discussion qui cette fois ressemblait à deux chiens qui déterminent leur territoire. Elle me confia ses goûts littéraires et, à mon tour, je lui confiai les miens; nos sensibilités nous menaient vers des chemins opposés. Cependant, durant cette discussion, je pris conscience de son corps et de la féminité quasi-magique qui entachait chacun de ses mouvements; et cette fois en un regard, je fus totalement fasciné, en un regard je sus que je tombais éperdument amoureux; l'alchimie des passions remontait en moi dans une complexion qui dépassait mon humeur du moment. La transmutation sensuelle fut si prompte que je fus incapable d'adopter une autre attitude que celle que je possédais déjà. Incapable de me trahir, je restai distant et discret sur mon nouveau désir. Mais cette discrétion n'était pas au goût de la femme. Ouvertement elle m'invita à prendre un verre chez elle. Mi-joyeux, mi-honteux de dévoiler ainsi à toute la tablée la naissance de nos deux affections, mes joues s'empourprèrent et je me sentis obligé de me séparer au plus vite des convives. Arrivé chez elle, une frénésie guillerette m'obligeait à trembler sans que je ne puisse me calmer : mon corps échauffé par l'incongruité de nos deux désirs primesautiers contrastait avec ma raison restée froide et calculatrice. Elle déposa deux verres vides sur une table basse et m'invita à m'asseoir sur un canapé. J'exécutai et elle s'installa en face de moi. Le silence tyrannisait nos âmes. Nous nous observions dans le fond des yeux, n'osant ni ouvrir la bouche ni tomber sur les verres vides. La peur de contrarier ne serait-ce qu'un temps l'inéluctable destin de nos deux corps nous plongeait dans un face à face comique mais néanmoins douloureux. Ayant fait le premier pas, la femme attendait certainement de moi un geste éloquent mais je ne savais comment rompre le théâtre figé où nous nous étions enfermés. Devais-je me lever et m'approcher d'elle ? Devais-je lui demander de venir s'asseoir à côté de moi ? Mais alors, comment justifier cet acte ou cette parole sinon par un changement radical de mon attitude atone ? Oublier les verres vides, le battement exagéré de mon coeur et surtout ma conscience du vide qu'affirmait orgueilleusement le silence ? Cela était trop difficile. Si mon tremblement était irrépressible, pour rien au monde je n'aurais fait un mouvement. Tout en ce lieu était susceptible d'une interprétation éhontée et même notre commune aphasie avait une signification lascive. Cependant le silence était roi, il régnait dans sa lubricité et avait valeur d'être. Et la rupture que nous attendions de cet être, ce déchirement de l'être, nécessitait plus que le désir d'une rupture car si nos deux âmes se confortaient dans l'immobilisme, ce n'était que par peur de voir la rupture dépasser le seuil fragile où nous voulions qu'elle s'arrête. Du plein s'échappait du vide. C'est alors qu'elle découvrit un sein. Elle déboutonna son chemisier de sa main droite et de sa gauche le repoussa suffisamment pour ne laisser que le sein droit apparaître. Blanc, neigeux, d'une existence inhumaine; le sein avait une perfection choquante : trop lisse, trop rond, trop blanc, trop beau, une matière trop parfaite pour dériver de règles esthétiques - ce sein transcendait les règles, il les créait, en était le parangon, l'objet en soi. Cette perfection me frappa l'esprit en l'étourdissant : la trop ronde rondeur s'harmonisait trop parfaitement avec le trop blanc volume. Tout en ce sein respirait la plénitude d'une architecture divine. Et cette cathédrale qui s'élevait de la poitrine de la femme m'inspira l'idée d'universalité, échauffant mon esprit et refroidissant mon corps. C'est toute l'esthétique et par suite l'éthique qui se voyaient bouleversées. Je savais, un sentiment plus profond que l'évidence, que la sublimité du sein ne correspondait pas à la sublimité classique. Pour celle-ci, le sein était tout détraqué. Mais pour l'âme, mon dieu, quel sentiment ! Quelle beauté ! Le sein avait dans sa beauté particulière plus de beauté que le beau ! Comment se pouvait-il qu'un tel miracle de la nature fut possédé par cette femme ? Mais surtout, comment une telle perfection avait pu traverser l'histoire sans laisser de trace ? Se pouvait-il que Dieu ait reconsidéré son œuvre ? En observant ce sein, je voyais s'écrouler une à une les sciences : des mathématiques à la géométrie, de la philosophie à la poésie, de la peinture à la musique et même de la morale à la théologie, tout perdait en signification. Que devenaient le cercle et le triangle de l'antiquité philosophique devant pareille rondeur ? Des baragouinages de collégiens ! A une vitesse fulgurante, toutes mes certitudes et mes doutes s'abîmèrent dans l'inexistence, des pans de réalités sombrèrent dans l'oubli pendant que je prenais conscience de nouveaux horizons. Néanmoins mon esprit fut bien incapable de tout retenir. Ma soirée était trop riche en émotions pour que je puisse supporter la force du désir, l'ataraxie et les intellections. Je sombrai bientôt dans un état hypnotique : la plénitude du sein était trop pleine et la viduité s'empara de moi. La femme garda elle aussi le silence. Immobile, le regard également fixe et vide, elle se laissait envahir par l'aura de son sein et savait que nous ne devions pas la souiller par de vaines paroles. C'est ainsi que dans cette ambiance mamelesque divinement parfumée par le plus harmonique des organes, nous passâmes la nuit...(...) Le jour se levait, éclairant la pièce de lueurs orangées qui embellissaient plus encore le sein. Pourtant ma contemplation devenait difficile, le sommeil me piquait les yeux et fanait mes paupières. Je fis alors le premier mouvement depuis des heures, m'approchant de la femme pour me reposer les yeux. J'espérais que de plus près la fatigue serait un peu moins douloureuse. Mais je m’aperçus d'un détail qui dans le jeu de la lumière ne m'avait pas frappé. De loin, avec l'ombre, je n'avais pas remarqué que le sein, sur toute sa périphérie était un peu détaché de la poitrine. Etonné j'interrogeai la femme du regard mais elle dormait. J'avais été si obnubilé pendant mes heures de contemplation béate que je ne m'étais pas occupé de savoir ce qu'elle faisait, assise ainsi devant moi et immobile. Ce ne fut pas pour me déplaire. Le manque de sommeil et la trop longue vision délicieuse m'avait un peu perverti. Lentement j'approchai ma main du sein. J'avais envie de toucher la perfection et mon geste babélique me donna une érection. Oh, Dieu des Dieux, je garderais toujours ce souvenir : quel plaisir lorsque ma main entra en contact avec le sein ! La peau était si douce, si douce que c'était le sein qui me caressait ! Je n'osais augmenter la pression de ma main de peur que la femme ne s'éveillât mais j'étais certain que la chair était aussi magnifique que la forme et la peau. Pour procurer autant d'extase, le sein ne pouvait que satisfaire les cinq sens. Le regret me contrista; moins stupide, je ne serais pas rester des heures à l'observer et profitant de l'éveil du désir chez la femme j'aurais passé ma nuit à le palper, à le sucer, à le sentir, à l'écouter chanter. Je jetai encore un regard à la femme, elle dormait toujours. Mes yeux me brûlaient et j'eus envie de sombrer dans les ténèbres en gardant le contact de ma main sur le sein. Je fermai les yeux et la joie du désir surajouté au plaisir de l'ensommeillement me fit frémir. Doucement je plongeai dans l'autre monde... (...) En me réveillant de nouveau, la femme dormait toujours et ma main n'avait pas bougé, si bien que la position peu agréable que j'avais dû prendre pour conserver le contact m'avait engourdi le bras. Délicatement, je dégageai ma main du sein puis frottai vigoureusement mon bras. J'étais un peu déçu car j'avais dû perdre beaucoup de sensations pendant mon sommeil. Je regardai le sein, quelques perles de sueurs l'habillait joliment et le mamelon était en érection. Cela me compensa de la déception de l'engourdissement, j'étais heureux de savoir que mon bonheur n'était pas unilatéral. Cependant, en observant le sein de près, je constatai encore l'étrange façon dont il était soudé à la poitrine. Sur toute la périphérie, la chair était comme décollée. Un peu dégoûté mais curieux, je glissai mes doigts dans le petit espace et je tirai un peu pour mieux pouvoir regarder; mais un bruit de dilacération des chairs me fit lâcher prise. J'étais terriblement troublé. Je rejetai l'idée que le sein pût être faux puisqu'il avait réagi au contact de ma main. Pourquoi alors faisait-il si peu corps à la poitrine ? Et que signifiait ce bruit de dilacération ? La soif de me rassurer ainsi que de savoir me poussa à récidiver : je glissai à nouveau mes doigts dans l'interstice, cette fois un peu humide, et je tirai plus fort. Il y eut un bruit affreux, exactement celui des chairs qui se déchirent, et le sein se détacha aussi facilement que le fruit d'un arbre, restant dans ma main. Si le bruit des chairs déchirées m'apeura, ce ne fut rien comparé à ce que je pus voir. Dans une main je tenais le sein et à la place du bel organe un entremêlement de vaisseaux sanguins, de sang coagulé et de chairs pourries me glaça l'âme. Je fus tellement choqué et effrayé que je poussai un cri étouffé. Heureusement pour moi, la femme ne se réveilla pas; elle se contenta de tourner la tête en poussant un soupir de mécontentement - comment sinon lui aurais-je expliqué que je lui avais maladroitement arraché un sein ?... Je tentais de replacer l'objet à sa place naturelle mais évidemment il ne tenait plus. Il se collait au pus un instant puis tombait sur le canapé. Je transpirai énormément - par peur comme par gène - et plusieurs fois le sein me glissa des mains comme un savon. Mes nerfs tendus à craquer me crispaient le visage et j'avais des difficultés à respirer. Je dus fermer les yeux un instant et me vider de la vision cauchemardesque pour pouvoir me calmer et réfléchir. Comment se pouvait-il que ce sein admirable fut si pourri à l'intérieur ? La femme était-elle malade ? lépreuse - je frissonnai à cette idée - ? Venait-elle de subir une opération chirurgicale ?... Quoi qu'il en soit je ne pouvais, même avec la meilleure volonté du monde, remettre le sein en place et faire comme si de rien n'était. J'étais désespéré et effrayé à l'idée que la femme ne se réveillât. Aucun choix ne me conduisait à une libération ou un soulagement... Pourtant il y avait une solution idéale à mon problème mais j'avais du mal à y penser sainement. Lourd fardeau moral... Néanmoins je ne cessais de me rassurer : la femme ne connaissait que mon prénom et nous n'avions pas d'amis communs; un sein qui s'arrache aussi facilement n'est pas un sein, c'est autre chose; comment un véritable être humain peut posséder un sein à la fois si admirable de beauté et si pourri ? Je n'ai jamais été élevé dans le vice ou l'immoralité. Mais jamais je n'ai été préparé à assumer l'horreur de ce qui s'est passé cette nuit là. Aussi ma fuite me sembla naturelle, et me paraît encore naturelle - bien que la curiosité me pousse aujourd'hui à retrouver cette femme et à lui poser quelques franches questions. En cette fin de matinée qui concluait ma rencontre avec le sublime et le l'horreur, avec l'ataraxie et la dégoûtation, j'avais posé le sein sur la table basse, juste entre les deux verres vides, et j'étais sorti discrètement mais avec empressement pour ne plus jamais entendre parler ni de la femme ni du sein. Aujourd'hui je sais, sans définir pourquoi, avoir touché le sein de Dieu.
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