Si j'avais su, je ne serais pas venue.

amandinebournouville

Chapitre 2

     

      Il était 19h10, comme d’habitude j’étais en retard. Je n’arrivais pas à me décider entre l’écharpe jaune moutarde et la grise, après avoir changé de manteau trois fois pour finalement me décider sur celui que j’avais choisi en premier lieu.

    Clément m’attendait dans le salon, il avait allumé la télévision. Cela faisait trois fois que je lui disais que oui oui j’étais prête alors que je savais très bien que non. Surtout qu’il faudrait que je passe au petit coin avant de partir.

   J’étais dans la chambre, je ne pouvais pas le voir, mais je savais qu’il était assis sur l’accoudoir du canapé, son manteau sur le dos et qu’il regardait l’équipe 21. Je savais aussi qu’il savait que je n’étais pas prête et que j’irai aux toilettes avant de partir. Comme je le connaissais très bien, il me connaissait aussi bien. A cette pensée, j’eus une étrange sensation. Je trouvais ça drôle et en même temps triste. Je venais de prendre conscience que j’avais déja vécu cette scène un millier de fois.

Un millier de fois ? Non. Une centaine de fois. Bien que, en fait, si. Un millier de fois. Je me disais qu’étant donné que nous vivions ensemble depuis cinq ans et qu’il nous restait au moins cinquante ans à vivre ensemble alors je revivrai cette scène plus de dix mille fois dans ma vie. Dix mille fois?

« Je t’attends dans la voiture ! J’ai mis le chien dans la cours et je lui ai donné à manger. T’es longue! »

Ses mots me sortirent de ma réflexion mathématicienne.

« Oui, j’arrive! Je suis prête ! »

                                                   ◊

« Ca va ? T’as l’air pensive? »

« Ah bon! Ben comme d’habitude. Pourquoi ça n’irait pas ? »

« Je ne sais pas. Comme ça. » Sur ce il changea la station radio car c’était les pubs.

   J’étais pensive, et pas comme d’habitude. Je me sentais bizarre. C’était comme si tout mon dynamisme et mon optimisme habituels avaient été balayés par la réflexion stupide que j’avais eu un quart d’heure plus tôt. Ca me paraissait tellement disproportionné.

J’avais peur. J’étais soudain angoissée. L’avenir me semblait sombre et dépourvu d’intérêt.

Maintenant je sais que ce n’était pas ça. Je sentais ce qui allait se passer. C’était comme si j’avais un sixième sens qui me permettait de sentir le danger imminent, le prédateur.

L’ironie, c’est qu’à ce moment-là je ne le savais pas. Car si j’avais su, je lui aurais dit de faire demi-tour, je lui aurais dit de prendre une autre route et rien de tout cela ne serait arrivé.

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