SIDOINE

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Condamné…

 
15 juillet 1962. Cinq heures du matin, Prison de la Santé à Paris. L'habituel remous de circonstance n'a réveillé aucun détenu.
Dehors, dans l'assistance, le directeur de l'établissement. Deux magistrats. L'abbé Michel. Le Docteur Lantier. Le bourreau et ses comparses : Bob Vogel et Jacques Tourneur. Un condamné va être exécuté ce matin. Dans peu de temps. Maintenant. Déjà trop tard.
Le refus de la grâce présidentielle est tombé dans la nuit. La guillotine a été transportée dans l'enceinte isolée de la prison. Seuls les piafs se lamentent. Une odeur forte d'eau de Cologne. Le surveillant de l'ultime relève a veillé les dernières heures du condamné dans une pièce voisine. L'ouverture grillagée grince péniblement. Pleine lumière depuis trois jours.
Bob Vogel et Jacques Tourneur réveillent doucettement Sidoine Chichowski. Terrible assassin. Monstre sanguinaire. Un gosse d'une quarantaine d'années. A peine ensommeillé malgré les heures de veille. Sa chevelure brune ébouriffée gêne son regard clair. Lagons des îles de Corail. Edenté à force d'avoir broyé des fruits à coque chez son amie Marta d'El Boulaïda. Marta est grosse. Gentille mais grasse comme une truie. Elle l'aimait bien. Elle regrette. Elle mange voracement la friture d'oignons et les restes de potages.
Affreux Sidoine. Sa silhouette immature le rend irréprochable. Apathique. Presque séduisant. Presque innocent. A mort.
Chichowski ne dort plus depuis fort longtemps. Un an. Dix ans. Noctambule. Assis au bord de sa literie, il attend. Les cils croûteux. La bouche fermée. De légères convulsions. Trois officiers de police attendent au bout du couloir. Aux aguets. Chichowski pourrait se rebeller. Il a déjà tenté d'étrangler. D'égorger. De mutiler quelques taulards d'ici. Voisins de cantine. De promenade. De chambrée.
L'uniforme des brigadiers brille sous l'éclairage vif du couloir. Dégraissé l'avant-veille pour l'occasion. Toile rigide des armées.
D'innombrables lettres manuscrites s'entassent dans un coin minuscule du cachot. Uniques effets personnels autorisés dans la cellule de Chichowski. Plus de crayons depuis l'annonce de la peine capitale. Vêtu du blue-jean d'amérique offert par Clarisse, sa bien-aimée, usé à la corde et malpropre, et d'une blouse noire oubliée par un co-détenu libéré. Sidoine est prêt. Disposé à mourir. Il s'asperge d'une ultime giclée d'Eau de Cologne. Sa dernière volonté.

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