Siggy, Flash et Combo

simon

Parler de Siggy , Flash et Combo c'est parler de vous, de moi, de nous terribles vivants.

Elle s'appelait Siggy. Elle avait deux types de sourires. Le premier était un sourire séducteur. Celui qui affiche une bonne humeur vide et figée. C'était le sourire de la prostituée sociale, ou de l'actrice botoxée. D'ailleurs cela tombait bien car elle était prostituée justement. Elle devait user de ce sourire pour le travail, pour se défendre, pour survivre. Le second était celui d'une joie triste et cristalline. Un sourire doux, fragile, mélancolique. Un sourire puissant d'émotions, qu'on ne pouvait pas contrôler ni prévoir, mais que toujours on rêvait de revoir. Sauf elle. Oui, ce second sourire lui était parfois insupportable. Il lui rappelait que la vie valait la peine d'être vécu. Ce qui était horrible. Sa vie à elle qui voudrait prendre la peine de la vivre ? C'est encore plus dur de tenir dans l'obscurité quand on aperçoit au loin une lumière inatteignable. Une lumière de joie, condensée dans un sourire tendre. Cette lumière qui vient parfois nous caresser le visage et nous réchauffer le cœur avant de nous abandonner à nouveau, peut être pour toujours.


La contraction du petit muscle à la plissure de l'œil est involontaire. Seul un sourire heureux peut la déclencher.


Enfin pas seulement. Flash aussi le pouvait. Flash révélait l'avenir. Un avenir parmi des milliers d'autres, construit à partir de souvenirs et de l'imaginaire et orchestré par un petit cocktail de composés psychotropes. Flash donnait un plaisir artificiel. Une vraie saleté. On trouvait Flash sous forme de pilule ou de poudre. Le génie de la chimie lui donnait la couleur de votre choix. C'était toujours violet pour Siggy. Sa couleur préférée. C'était tout récent, cela arrivait de l'est. Chaque trip sous Flash était un nouveau voyage à travers un avenir potentiel, parfois banal et morne, mais toujours avec cette sensation de contrôle, d'emprise sur l'avenir et le temps. C'était comme écrire l'histoire de sa vie, mais en mille fois mieux. Siggy le faisait déjà avant, à chaque instant et façon naturelle. Se plonger dans un avenir imaginaire comme une enfant qui rêve, tout le monde le faisait. Mais Flash le faisait mieux. Flash avait conquis son triste corps en quelques jours. Cette drogue avait un pouvoir addictif ignoble. C'était son démon intérieur. Il faisait naître sur son visage un nouveau type de sourire.


Le regard est un échange direct, pénétrant, insaisissable.


Combo disait que pour comprendre les gens il fallait réussir à déchiffrer leur regard. Combo était tout pour Siggy. Lui n'avait qu'un sourire, et qu'une parole. Son sourire était jovial, lumineux, contagieux. Combo s'étonnait toujours devant l'immense diversité des regards. Parfois un regard lui était presque insoutenable tellement il exprimait de choses. Combo était comme un frère. Il l'avait sauvé plus d'une fois de la rue.


Lui aussi se défonçait la tête au Flash.


Le regard figé d'une photo peut parfois vous chuchoter certains secrets si vous y faites attention confiait il parfois. Souvent Combo comparait le regard au toucher. L'un comme l'autre était une forme de partage de l'intimité. Seulement le toucher était propre au corps alors que le regard était propre à l'âme. « Le regard est le toucher de l'âme. » disait il fièrement. C'était le cœur de toute sa philosophie. Siggy trouvait cette idée stupide. Pour elle le regard avait aussi un petit quelque chose de physique, de bestial qui échappait totalement à l'âme. Elle n'aimait pas emprisonner les choses dans des cages. Elle aimait la liberté sauvage et l'incertitude du lendemain. Mais Combo s'en foutait. Combo était son ami malgré tout. Combo était son compagnon de route. Aujourd'hui, Combo est mort. Overdose de Flash, d'alcool et de désespoir.


Quand l'amour meurt dehors, meurt-il aussi dedans ?


La solitude, ce n'est pas être seul. La solitude c'est ne plus être accompagné. Siggy n'a pas d'histoire. Elle n'a pas vraiment de vie à raconter. Siggy ne marche pas pour un but. Elle survie simplement. Pour parler de Siggy, il faut simplement évoquer trois choses : ce qu'elle est, ce qu'elle cache et ce qu'elle regarde. Siggy est un sourire, ou plutôt deux. Elle cache Flash, son démon, sa drogue, son poison intérieur. Et elle regarde Combo, son ami, son amour. Combo est l'autre. Celui qui nous assure qu'on existe vraiment, que l'on est pas simplement une ombre, une conscience perdue au milieu d'un monde imaginaire. Ce n'est qu'à travers l'autre que l'on existe. Ce n'est que quand l'autre nous reconnaît en tant que semblable que l'on se sent enfin pleinement en vie. La solitude est elle alors signe de mort ? Si c'est le cas, peut on dire que quand Combo est mort, Siggy aussi est morte ? D'une certaine manière oui.


Siggy aime bien faire les choses à sa manière.


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