Socrate & Platon
souffle
"Une brève biographie de la plupart des dieux donne à penser qu'ils ne sont sûrement pas d'origine divine. Ils ont tendance à faire exactement ce qu'on ferait tous si on en avait les moyens, notamment en matière de nymphes, de pluies d'or et d'ennemis anéantis."
Terry Pratchett
Attablés autour d'une bouteille de vin corinthien, non loin du temple d'Apollon, à Delphes, deux athéniens taillaient tranquillement une bavette en regardant le soleil se lever sur la mère Égée.
Ces deux fêtards, bien connus du Athènes by night, avaient passé la nuit à discuter de tout et de rien, jouant avec tout un tas de théories plus farfelues les unes que les autres. La conversation avait commencé il y a bien... houlà, au moins quatre ou cinq bouteilles... Et les deux hommes avaient pu suivre la course de la lune dans le ciel - de sa naissance à sa mort.
Mais avec le petit matin vint la langue pâteuse et l'esprit légèrement embrouillé - nos deux compères optèrent donc pour une petite virée dans les bras de Morphée. Ces deux là se connaissaient bien, un regard éthylique échangé suffit pour qu'ils comprennent que la nuit était fini et qu'ils en resteraient là.
Ils firent quelques pas dans le jour naissant, tentant - tant bien que mal - de trouver leur équilibre. L'un d'eux, d'ailleurs, n'y parvint qu'à grande peine, et il se serait sans doute affalé sur les pavés si son compagnon n'avait pas eu le réflexe de lui offrir une épaule compatissante.
Tout en maintenant Platon debout, Socrate songea - comme toutes les dix minutes en ce moment - à la raison qui les avait conduit à Delphes. Enfin si on pouvait appeler ça une raison...
Tout avait commencé par un matin comme les autres, ressemblant particulièrement à celui-ci, à Athènes. Platon ne tenait carrément plus debout et Socrate se souvint vaguement qu'il n'était pas vraiment dans un meilleur état. Mais Platon avait encore la force de parlé, ou plutôt de beugler... Toute la nuit, ils avaient discuté de ce qu'ils pourraient bien faire de leur vie. A part le vin - merci Dionysos - il n'y avait pas grand-chose pour les intéresser. Eux deux de toute façon, à part causer des nuits entières tout en rendant hommage au petit gros qui faisait pareil là haut...Et bien, autant dire qu'ils se la coulaient douce. Oh, bien sûr, ils avaient suivit les cours gamins avec le précepteur pour Platon, et plus ou moins à la va-comme-j’te-pousse pour Socrate; mais ça n'avait jamais débouché sur quoi que ce soit.
Platon l'avait radieuse lui, plutôt du genre beau gosse, avec un père plein aux as, un statut social à Athènes et tout le bazar qui va avec... autant dire qu'il n'avait pas eu une vie trop difficile. Socrate c'était plutôt l'inverse, avec un père sculpteur et une mère sage-femme, il ne faisait pas vraiment parti du gratin athénien. Et pour compléter le tableau, son physique n'était pas des plus avenants... il se faisait traiter de Pan par les gamins quand il était gosse - et quelques fois aussi maintenant, bien qu'il ai atteint la vingt-cinquième année d'une vie de glandeur...
Toujours est-il que ce matin là, donc, Platon lui avait dit que pour savoir ce qu'il ferait plus tard, il n'y avait qu'une chose à faire, aller voir la pythie à Delphes et lui poser la question. Elle, elle saurait. Et en plus un pote à lui lui a dit qu'il y avait d'chouette nana là bas... Enthousiasmé par cette idée - enfin surtout à cause des filles - Socrate adhéra à cette décision et une semaine plus tard, nos compères se retrouvèrent sur les routes de Grèce en direction de Delphes.
Et ben des minettes ils n'en avaient vu aucune depuis qu'ils étaient arrivés voici trois jours - à part un groupe de vestales, bien sûr, mais ça on a que le droit de regarder... Trois jours d'attente! Trois jours d'attente et un rendez vous dans l'après-midi au temple d'Apollon...
Ca de toute façon, il lui avait dit à ce crétin de fils de bourge qu’il ne fallait pas venir pendant les vacances d'été, que c'était toujours l'affluence pour passer prendre des nouvelles de l'année prochaine à Delphes. Mais bon, une fois arrivés, de toutes façons, ils y avaient trouvé tant de petits bars sympathiques qu'ils n'avaient pas vraiment vu le temps passer.
Interrogé au sujet de cette concentration de débits de boisson et d'hôtels dans la petite ville de Delphes, un autochtone leur avait répondu que c'était une toute nouvelle invention de l'agora locale, le tourisme ils appelaient ça... n'importe quoi, si vous voulez mon avis, n'empêche que ça semblait fonctionner vu le monde qui s'y trouvait à toute heure du jour ou de la nuit.
Ainsi, tandis qu'il suivait le chemin anarchique de ses pensées, Socrate parvint finalement à traîner Platon jusque sur une esplanade herbeuse non loin du temple d'Apollon.
Le temps permettait largement de dormir dehors et de nombreuses personnes étaient tranquillement affalées à même le sol.
Socrate tira Platon jusqu'à un coin un peu à l'écart où ils ne seraient pas dérangés par le réveil, trop matinal à leur goût, des autres pèlerins venus consulter la pythie. Quand il s'installa sur le sol, sa tunique roulée en boule sous sa nuque, Socrate pu observer les femmes commençant à vaquer à leurs occupations. Il s'endormit en songeant à ce qui se passerait si elles décidaient un jour de se rebeller et de briser les chaînes que leur avaient forgé les hommes.
Il en fit des cauchemars.
***
Attablés autour d'une bouteille d'Ambroisie, déjà bien beurrés par une nuit dès plus festive - même pour le mont Olympe - Zeus, Dionysos, Héra et Apollon terminaient une petite belote matinale. La partie n'était pas vraiment intéressante, chacun des joueurs se servant, qui de son omniscience, qui de son ubiquité, pour tricher sans vergogne. Chacun donc, connaissait le jeu des autres, voir même le résultat de la partie en cours... rien de bien affriolant en sommes et chacun tentait de tromper autant que possible son ennui.
La pièce dans laquelle ils se trouvaient aurait fait baver d'envie les plus puissants athéniens par son faste et sa débauche de richesse. Des tentures précieuses coulaient en cascade de chaque colonnade, le marbre blanc veiné de rose était omniprésent. Sur la table basse autour de laquelle la partie se déroulait, était posée une coupe de fruits en or représentant la corne d'abondance.
Dionysos saisi une olive dans la coupe; exaspéré par l'attitude d'Héra qui n'essayait même plus de se cacher pour lorgner sur le jeu de son mari, il finit par jeter ses cartes sur la table.
"Moi j'm'arrête là... j'vais pas continuer à jouer avec une bande de tricheurs, s'exclama-t-il tout en portant l'olive à sa bouche et en la mâchouillant avec énergie.
- Il n'y a pas deux minutes, tu as glissé un verre drogué à Apollon pour le forcer à te montrer sa main... tu ne vas quand même pas faire un scandale parce que je me suis déconcentrée du jeu une seconde pour contempler mon mari. Je n'y suis pour rien s'il laisse ses cartes sous mes yeux, lui répondit la matriarche des dieux.
- T'as r'gardé mon jeu ? murmura Apollon.
- C’est pas parce qu’il les laisse sous tes yeux qu’t’es obligée d’les r’garder ses cartes ! C’est quand même un monde ça ! s’offusqua Dyonisos.
- Ne me parles pas sur ce ton petit foutriquet ! Tu oublies à qui tu t’adresse ! Je suis la mère des Dieux, et la tienne par la même occasion, tu vas me montrer le respect dû a mon rang si tu ne veux pas t’en mordre les doigts ! répliqua Héra.
- Bon Héra, reprit Dionysos en voyant la colère empourprer le visage de la déesse, on va pas en faire une montagne, t'sais bien qu'j'suis pas un tricheur, j'sais bien qu't'en ai pas une non plus, on va pas s'prendre la tête pour si peu! ajouta-t-il, ponctuant sa tirade par un magnifique craché de noyau directement dans le cendrier.
- Tu crois ça! lui lança-t-elle.
- Burps, commenta Zeus.
- Il va falloir réparer l'affront mon jeune ami, dit elle au pauvre Dionysos, une lueur de sadisme pur au font des yeux.
- T'as r'gardé mon jeu, s'entêta Apollon.
- Mais quel affront Ô Mère des Dieux? lui demanda Dionysos dans son plus beau registre de voix doucereuse.
- Celui de douter de ma bonne foi, espèce d'alcoolique, lui répondit elle en toute mauvaise foi.
- T'as r'gardé mon jeu... alors ça j'y crois pas qu't'ais r'gardé mon jeu...
- Et bien prévient moi quand tu auras trouvé le prix de ton pardon, j'ai pas qu'ça à faire, on a prévu une p'tite virée au golf avec Hadès... il s'y connaît en trou, Hadès..."
Sur ces mots, Dionysos se leva et quitta le petit salon privé de Zeus dans le palais des dieux olympiens, direction le royaume des Enfers.
"Mais t'es sûr qu'il a r'gardé mon jeu?" s'enquit Apollon une fois que Dionysos s'en fut allé.
Le regard noir que lui lança la matriarche lui suffit et il n'insista pas. La mère des dieux lâcha un soupir de dégoût avant de quitter à son tour la pièce.
"On s'en r'jette un p'tit", demanda Zeus quelques instants plus tard, l'oeil implorant.
***
"... va pas s'laisser emmerder par la mère des Dieux quand même... c'est pas permis ça, elle d'vient gâteuse avec l'âge ou quoi? Si on peut même plus profiter d'là bêtise des gens, où va l'monde? J'vous l'demande oui, où va l'monde?!" marmonnait Dionysos, à personne en particulier, tout en empruntant l'ascenseur du fond - direction les rives du Styx.
Les portes en bronze gravées de crânes et d'os entremêlés - on a quand même sa fierté - s'ouvrirent, laissant pénétrer dans l'étroit habitacle l'air vicié qui empuantissait le Royaume des Morts. Sous les yeux du petit gros aux joues rouges et au nez carmin, s'étendait une lande désolée sur laquelle s'étirait, en une longue file d'attente, les âmes venant frapper au guichet de leur dernier séjour. Un peu plus loin, le fleuve du Royaume des Morts s'écoulait paresseusement tel un serpent ondulant sur la plaine dévastée.
"Bon... ben direction l'entrée des artistes, j'suis attendu bordel! lança Dionysos, continuant son dialogue avec lui même, tout en prenant la direction des rives torturées du Styx.
- M'sieur, m'sieur, arrêtez-vous m'sieur! dit une voix féminine essoufflée derrière lui. En se retournant, Dionysos découvrit une mignonne petite secrétaire. Une frimousse - à faire verdir de jalousie Aphrodite - affublée de petite lunette à monture en écaille, le gratifiait de son plus joli sourire.
- Si vous voulez bien me suivre monsieur, reprit-elle, monsieur Hadès vous attends dans ses appartements privés."
***
Ô non, Héra n'allait pas laisser ce petit tire au flanc de Dionysos s'en tirer à si bon compte, ça faisait déjà un petit moment que cet imbécile n'en faisait qu'à ça tête. Il était temps que quelqu'un de responsable dans la hiérarchie olympienne se décide à le remettre à sa place. C'est pas un p'tit malin d'alcoolique qui allait foutre le souk dans la mécanique bien rodée de l'administration olympienne - sur laquelle régnait Héra, d'une main de fer dissimulée dans un gant en... herm... en fer.
Tout en réfléchissant aux divers stratagèmes qu'elle pourrait employer pour rabattre le claquet du petit foutriquet, Héra se mit en quête de sa secrétaire particulière pour prendre les nouvelles du royaume des mortels. Enfin se mit en quête... faut pas pousser non plus, sa secrétaire bossait - comme tous les jours, toutes les nuits, depuis bientôt une éternité - dans son vaste bureau / salle d'attente attenant au bureau / salle de réception d'Héra.
Ah... les joies de la direction d'entreprise... les pauvres mortels ne connaîtraient pas ça avant des milliers d'années, et pas sous son contrôle en tout cas... les cons... Ses pieds nus s'enfonçaient dans la moquette pourpre épaisse comme une savane tandis qu'elle traversait sa salle de travail high-tech en direction de l'antichambre où trônait Sylvie, la fameuse secrétaire.
"Alors Sylvie, quelles sont les nouvelles dites moi? lança Héra sans autres préambules.
- La décennie s'annonce tranquille, O mère des Dieux... Le panthéon est stable pour au moins une ou deux fraction d'éternité, pas de révolution prévue avant au moins un siècle, seules quelques guerres sont à craindre en fin de décade, mais rien de bien alarmant...
- Bien, bien... rien d'autre de prévu?
- Rien d'intéressant non... les services d'Apollon travaillent activement aux prévisions de la Pythie, et nous sommes tous réquisitionnés... l'affluence est exceptionnel en cette période estivale... nous sommes surchargés de travaille madame...
- Et bien ne restez pas là à rien faire mon petit, rejoignez tout de suite les services d'Apollon pour mettre la main à la pâte!"
Sur cette saillie aigrie, notre distinguée Matriarche des dieux olympiens, décida de s'offrir un brun de détente, rien de mieux qu'une petite discussion à la cafèt' *- avec Shiva ou pourquoi pas Buddha - histoire de trouver un châtiment intéressant à faire subir à ce rustaud de Dionysos... ben oui, qu'est-ce que vous voulez, faut bien trouver de quoi s'occuper aussi...
* Chez les dieux, le temps n'a pas vraiment d'importance, et chacun s'occupe du bout d'histoire humaine qui le concerne; ce qui ne les empêchent pas de se retrouver régulièrement à la cafétéria - voir tout le temps pour les chanceux omniprésents ou omniscients - histoire de taper le carton et de discuter un peu de leurs diverses locataires, Humains ou Autres, tous plus turbulent les uns que les autres.
***
Le monde des dieux n'est pas exactement comme la plupart des gens l’imaginent. (Surtout à notre époque où beaucoup de gens se mettent à croire dur comme fer qu'il ne faut plus l'imaginer du tout.) Disons que pour ceux qui ont encore la "foi", c'est un monde qui reste très éthéré et d'une perfection ennuyeuse à mourir. Mais toutes ces images ne sont que de vagues idées préconçues sur le monde des dieux et sur leur rôle... parce qu'ils ont un rôle - pour ceux du fond qui ont l'air d'en douter...
Leur rôle aux dieux? Je ne vous ressortirai pas le couplet désormais éculé que vous avez sûrement déjà entendu au moins une fois dans votre vie... disons simplement qu'j'suis pas venu sonner à votre porte avec une tête de déterrer et le manuel liturgique d'une quelconque "religion" entre les mains... Et ce même si ce que j'ai dit juste avant pourrait vous en faire douter!
Pour être clair, disons que le royaume des dieux ressemble à une de nos administrations labyrinthiques qui semblent accompagner tout bon système bordèlique qui se respecte.
Cette administration gère - entre autre - le développement des sociétés humaines, consigne leurs choix et essaye de se débrouiller pour que la réalité ne dévie jamais des rails qui lui sont tracés. Des rails dont le parcours est dicté par des notes de services venues d'on ne sait où... sans doute de ce que l'être humain appelle Destin... allez savoir...
Dans l'immeuble des dieux, on peut croiser, aussi bien le Mammouth des tous premiers âges révéré par les premiers êtres humains qui avaient calqué leur comportement sur celui de ces mammifères nomades; que Jésus, son cercle d'apôtres et autres saints - les humains qui ont réussis à obtenir une promotion - mais aussi l'égocentrique qui se fait appeler Dieu et qui est à l'origine de ces avancements pas toujours justifié, sans oublier son pote de jeu, Lucifer.
N'oublions pas l'un de ces dieux. Après tout nous le connaissons bien, nous, aujourd'hui... il se fait tout simplement nommer Capital... et il a un boulot monstre, croyez moi.
Il a lui aussi ses apôtres, le Cac40 ou encore la Start-Up; mais aussi son prophète, elle se fait appeler Média, la déesse aux cent bouches; et bien sûr tous ses saints, tous les hommes qui sur terre lui sont d'une grande aide. Je ne citerai que Bill Gates... (n.d.a: désolé Bill mais tu mérites.) Tous ces humains qui, à leur mort, viendront grossir les rangs de ses subalternes.
Et quel être humain, vivant dans cette fraction là de l'éternité, ne rêve pas de participer aux grandes messes organisées par Média... tout le monde veut son prime, son instant de gloire au service de ce nouveau dieu. Un dieu qui se dissimule aux yeux de ses adorateurs en affirmant tout simplement que les dieux n'existent pas... mais s'il existe lui... pourquoi pas les autres?
Comme nous avons pu le voir, le temps ne veut pas dire grande chose au royaume des dieux, c'est pourquoi ils ont tous tant de travail tout en donnant l'impression, de l'extérieur, de n'avoir jamais rien à faire... C'est aussi parce que la notion de temps leur passe largement par dessus la tête - ou tout ce qu'il vous semblera bon d'imaginer à la place d'une tête - qu'ils existent tous simultanément et ne cesseront jamais d'exister, jouant et rejouant le bout de vrai temps qui leur ai imparti.
Mais là où le problème se corse, c'est quand on prend également en compte le fait que dans l'immeuble des dieux il y a un étage pour tous - et je dis bien tous - les possibles imaginables... et il y en a aussi quelques uns pour les possibles inimaginables.
Autant dire, à ce stade, que cette administration est tellement énorme, tellement anarchique que personne n'a pu savoir à ce jour s'il existe, tout là haut, dans le penthouse de l'immeuble des dieux, quelqu'un à qui cette entreprise innommable appartiendrai. Quelqu'un qui distribuerai des notes de services à tour de bras...
Chacun essaye tant bien que mal de faire tenir son morceau de réalité avec - il faut bien le dire - quelques bouts de ficelle et un peu de chatterton; certains ont même assez de talent pour leur donner un certain goût d'immuabilité; mais jamais, O grand jamais, la Réalité, si elle existe, n'est immuable...
Toujours est-il que les dieux - en bons cheminots - tente de garder leur réalité sur ses rails... et jusqu'à présent - si l'on peut parler d'un "jusqu'à présent" au royaume des dieux - aucune réalité n'a déraillé, aucunes réalités ne se sont percutées; et dans l'ensemble, les innombrables travailleurs de cet improbable immeuble touche du bois*...
*Pardon Jésus, mais j'ai pas pu m'en empêcher...
***
Quand elle poussa la porte de la cafétéria, Héra fut d'abord frappée - comme à chaque fois - par le bruit et l'agitation qui y régnait. Pour un peu on se serait cru à Wall Street, un jeudi matin du mois d'Octobre de l'année humaine occidentale 1929.
L'histoire de ce fameux jeudi a fait le tour de la cafétéria une bonne cinquantaines de fois...
Les dieux sont très portés sur les ragots, ça leur permet de tuer un peu le temps qu'ils n'ont pas. Et l'un des dieux sur lequel les autres préfèrent raconter des trucs pas toujours reluisant - la grande star du concours "la concierge en parle" - c'est le Dieu Capital. Il faut préciser qu'il n'est pas vraiment apprécié par les autres qui trouvent qu'il a trop tendance à essayer d'évincer tout le monde. Héra, tout comme les autres, s'en donne donc à coeur joie quand le grand manitou friqué a le dos tourné.
"Si seulement notre immeuble était comme l'une des liturgies inventées par Capital, songeait Héra, tout en s'approchant du bar histoire de commander un p'tit café, il y a bien longtemps que le public aurait voté pour le sortir du loft... mais bon Capital est là, et il a plutôt une place de choix... alors... alors faut faire avec et puis c'est tout..."
Mais ce qui énerve par dessus tout notre matriarche des dieux olympiens, c'est bien que ce salop de Capital ait un droit de regard sur les réalités qu'il ne dirige pas directement... et tout ça sous prétexte que les humains ont été capitaliste avant de se rendre compte que le polythéisme c'était ringard et que le monothéisme ça faisait vieux jeux, que Lui seul suffisait... Alors môssieur Capital se permet des libertés avec les réalités des autres... môssieur Capital se permet de donner des conseils... Là où Dionysos n'est qu'une souris avec laquelle Héra a bien envie de s'amuser un peu, Capital, lui, aurait plutôt tendance à être le chat d'un peu tout le monde...
Et, il faut bien le reconnaître, c'est un cheminot dangereux, toujours près à tenter de nouvelles expériences avec son bout de réalité ce qui effraie au plus au point les autres locataires de l'immeuble - enfin si l'on peut qualifier les dieux du panthéon le plus fous qui soit de "locataires".
En naviguant entre les tables encombrées de la cafétéria, Héra se permis quelques signes de tête a ses amis des autres étages, mais sans vraiment y croire, elle n'est pas vraiment porté sur la sociabilité notre chère déesse. Quand elle parvint enfin à atteindre le bar - en se glissant entre Anubis et Thor qui discutaient à bâtons rompus sur les valeurs comparés de la bière et du vin - se fut pour s'apercevoir qu'elle ne savait toujours pas auprès de qui prendre conseil... Elle avait bien vu Buddha, mais il était entrain de faire un poker avec Mahomet et Jésus... et même sans être un prophète, il était facile de se rendre compte que c'était pas vraiment le moment de les déranger, surtout vu ce qu'il y avait comme enchère* sur la table...
"... sert? lui demanda le barman
- Heu... excusez moi j'étais ailleurs... lui répondit Héra
- Je vous demandais: Qu'est-ce que j'vous sert? reprit-il.
- Hum... juste un café merci...
- Un café, ça marche!" lança-t-il, avant de se retourner et de s'affairer comme seuls savent le faire les barmen.
Tandis qu'il s'occupait de sa commande, Héra eu tout le loisir de l'observer... c'était un humain, plutôt petit et typé indien... encore un de ces parvenus qui ont réussis à rejoindre l'immeuble à leur mort, le pire avec celui là, c'est que c'est même pas parce qu'il croyait en un dieu quelconque qu'il a pu venir ici, mais juste parce que les hommes ont cru en lui. Son nom, qui échappait pour le moment à la matriarche, n'était associé à aucun étage... et c'est pour ça qu'il s'était retrouvé gérant de la cafétéria en arrivant dans l'immeuble. En tout cas, il a un vrai talent c't'homme là, il arrive à gérer même un Mars complètement beurré et prêt à en découdre, juste en le regardant avec ses yeux vides de vache sacré et son sourire naïf...
Héra ne s'était pas vraiment renseigné sur la vie de cette homme là, mais il lui semblait se souvenir qu'il avait fait de grande chose juste en arrêtant de manger... allez comprendre... De toute façon, elle ne le sent pas celui-là, trop gentil, ça cache quelque chose.
* N.d.a: Et bien non, je ne vous dirais pas en quoi consistait exactement ces enchères... parce que croyez moi, vous voulez pas le savoir...
***
Dionysos avait réussis à oublier son altercation avec cette sal... herm... avec la matriarche des Dieux olympiens, cette chère Héra, durant sa partie de golf avec Hadès. Ils s'étaient fait un dix huit trous pépère qui leur avaient tenu l'après midi. Y avait eu de grand moment, surtout quand ce con d'Hadès avait envoyé sa balle en plein milieu du Styx et qu'il avait fait son caca nerveux jusqu'à ce que le Passeur, pataugeant dans les miasmes karmiques, aillent la lui chercher. Dionysos n'était pas prêt d'oublier l'effet donné par un suaire qu'on a remonté jusqu'au dessus des genoux...
Toujours est-il que maintenant, tandis qu'il se dirige vers les appartements privés de Zeus, il ne peut s'empêcher de se remémorer sa bêtise matinale... Ce qu'on peut dire comme conneries après une nuit passée à jouer aux cartes tout en s'enfilant des jaunes... c'est quand même phénoménal...
Je vous épargnerai ici la longue litanie des divers noms d'oiseaux et autres créatures - mythiques ou non - dont s'affubla notre dieu de la vinasse et des partouzes. Mais disons, pour être bref, que quiconque aurait eu accès à ses pensées à cet instant aurait sans doute fini mormon dans l'heure suivante... ou alors sociopathe... allez savoir... De toute façon, pour ce que ça change...
Mais je m'égard, Dionysos, donc, traînait les pieds en retournant chez le couple divin. Ce n’était pas l'envie qui lui manquait de se tirer ailleurs... mais où allez hein? A un autre étage peut être? Faut pas rêver... Vous savez ce qu'on fait aux petits dieux qui s'amusent à essayer de changer d'étage? Vous ne le savez pas hein? Et ben, Dionysos non plus, et il n'avait aucune envie - mais alors aucune - de le découvrir.
Alors que notre dieu de la binouze se lamentait sur son sort, il ne vit pas venir Apollon qui s'avançait à sa rencontre. C'est d'ailleurs pour ça qu'il ne pu pas l'éviter...
"Hey! Salut Diony! Ca va? T'as la pêche? C'était bien t'as partie de pétanque avec Hadès? lui demanda-t-il d'une traite.
- Du golf Popo, du golf... ça fait cinquante fois - au bas mot - que j't'le répète... du golf... lui répondit Dionysos, tout en essayant désespérément de trouver une excuse pour le larguer au plus vite...
- Ah ouais ouais... c'est vrai... du golf, reprit à Apollon, sur le ton de celui qui vient de découvrir l'un des grands secrets de l'univers.
- Bon mais... qu'est ce tu m'veux? J'suis attendu tu sais...
- Attends, attends, j'voulais t'raconter une blague que Zeus m'a faite ce matin. Elle est géniale tu vas voir, accroche toi à ton tonneau, ça décoiffe, dit-il tout en se replaçant une mèche rebelle derrière l'oreille.
Alors, c'est deux fous qui marchent sur une voie ferrée t'vois. Et pis alors, y a un des fous qu'dit à l'aut': Putain... il est long c'chemin d'fer... Et pis alors l'autre il lui répond: Ouais... et puis la... Heu attends... j'me suis gourré y dit pas ça l'premier... L'premier y dit: Putain... il est long c't'escalier! et alors l'autre y répond...
- Oui ben j'ai pas la journée", le coupa Dionysos tout en accélérant le pas pour semer un Apollon rester sur place, perplexe, entrain d'essayer de retrouver le fameux trait d'humour de Zeus. Marcher et réfléchir, voilà deux actions que le pauvre Apollon était bien incapable de faire en même temps...
***
C'est assise dans la gigantesque salle du trône du mont Olympe - enfin de l'étage du mont Olympe - qu'Héra avait décidé, royale, de donner audience au pauvre Dionysos. Elle trônait, majestueuse, auprès de son époux qui ronflait bruyamment affalé sur l'accoudoir, un filet de bave du tout dernier chic lui coulant le long de la joue jusqu'à former une tache sur le velours pourpre des coussins. Pourpre, mais plus vraiment très propre...
Elle n'avait toujours pas d'idée pour punir l'alcoolique, mais elle viendrait bien dans le feu de l'action, elle ne se faisait pas de souci, après tout, ce n'est pas donné à tout le monde d'être la reine des dieux, même si ce n'est que sur un étage...
Quand enfin Dionysos se présenta devant elle, avec l'air penaud d'un chien qui vient de souiller le canapé de son maître et qui sait qu'il va avoir droit au journal plié, Héra ne pu retenir un rictus de pure cruauté qui vint éclairé son visage à la manière d'yeux verts brillant dans l'ombre au plus profond d'une forêt genre jungle impénétrable. Dionysos se composa d'ailleurs immédiatement un regard de petite bête à fourrure affolée; ça ne fait jamais de mal de faire croire aux tout puissant qu'on les craint.
"Bien le bonjour Ô matriarche des dieux, commença-t-il, partit pour une longue diatribe sur l'inutilité de la haine comparativement à l'amitié et à la fiesta.
- Je t'arrête tout de suite Dionysos, tu sais bien que la lèche ça marche pas avec moi! le coupa-t-elle en élargissant son sourire carnassier.
Je ne veux pas d'excuse, je ne veux pas d'explication, je ne veux pas m'entendre dire que pour une broutille pareil ça ne vaut pas le coup d'en faire tout un plat... En ce moment, je m'emmerde, et crois moi c'est pas mon crétin d'époux qui pourrait me soulager... J'ai bien envie de t'en faire baver un maximum, juste pour le plaisir de te voir pédaler dans la semoule!
- Heu... oui oui, bien sur Ô mère des dieux, avança Dionysos sur un ton le plus respectueux possible.
- Je vais te donner une quête à réaliser, et si tu y parviens, je t'accorderai mon divin pardon... mais tant que tu ne l'auras pas accomplis, je te confisque ta carte d'abonnement à la cafèt', ça t'apprendras!
- Ouargh! Non, pas le passe pour la cafèt', tu peux pas m'faire ça, t'sais bien qu'c'est ma vie à moi ça la cafèt'... Comment je vais tenir ma réputation d'glandeur si j'peux plus y mettre les pieds!? s'enquit Dionysos, stressé comme jamais.
- Ah... tu as une réputation de glandeur à assurer hein? Et bien voilà ta quête espèce de petit dieu de pacotille. Prouve moi que le glandage peut être un art de vivre et je t'accorderai mon divin pardon. Echoue et tu finiras au sous-sol à nettoyer la chaudière avec tous les autres crétins qui savent pas tenir leur langue! répliqua une Héra toute fière d'elle d'avoir enfin trouvé une punition à la mesure de l'impertinent.
- Heu... laisse moi réfléchir une petite minute, répondit-il, en imaginant déjà comment il pourrait se servir d'Apollon pour se sortir de la merde... Une lueur très loin d'être anodine passa dans le fond de ses yeux.
Bon ben j'vais pas m'éterniser hein? J'vais t'laisser Héra... j'ai une quête qui m'attends", ricana-t-il sans réelle conviction avant de sortir en catimini de la salle du trône. Enfin, en catimini, s'il n'avait pas, par inadvertance, renversé une amphore qui vint se briser dans un magnifique fracas sur le marbre du sol.
Héra le regarda s'éloigner, triomphante. Elle pensait s'être débarrassée de Dionysos pour, au moins, une petite fraction d'éternité. Et puis qu'elle bonne idée de lui avoir confisquer son abonnement à la cafèt', elle pourrait y aller tranquille sans risquer de le croiser à tout bout de champ!
***
C'est essoufflé par un sprint vraiment inhabituel pour lui, que Dionysos réussit à rattraper Apollon. Enfin rattraper... le mot est un peu fort, puisque que ce dernier n'avait pas bougé depuis qu'il essayait, vainement, de se rappeler la fameuse vanne des deux fous sur leur voie ferrée. Quoi que vainement, peut être pas tant que ça puisque Apollon, comptant sur ses doigts, semblait sur le point de retrouver la chute qui lui échappait.
"Ah... Tu tombes bien Diony! J'crois qu'j'me rappelle enfin la blague de Zeus, t'vas voir, elle est vraiment gratinée! lança-t-il à Dionysos, du plus loin qu'il le vu.
- Ouais, ouais, lui répondit ce dernier en finissant de s'approcher, mais plus tard Popo, pour le moment, j'ai un truc à te demander.
- Heu... oui, qu'est-ce qu'il y a?
- On est en pleine période de prévision pythiesque en ce moment non? Bon, alors voilà le truc, je sais pas trop comment m'y prendre mais j'aimerais bien modifier une ou deux prévisions... lui dit-il tout en passant un bras réconfortant autour de son épaule.
- Hey! Ca va pas non! Tu peux pas faire ça Diony, tu peux pas modifier des prévisions, t'imagines même pas les conséquences que ça pourrait avoir... même moi j'ai du mal d'ailleurs, c'est te dire... lui répondit l'ingénue tout en se dégageant de l'étreinte un peu trop pressante de son pote.
- Ouais, Popo, en même temps, que tu es du mal, c'est pas vraiment une nouvelle tu sais...
- Hein!? Qu'est ce que tu insi... insa... insis... Qu'est ce tu veux dire par là?
- Mais rien Popo, t'sais bien qu'j't'adore... reprit Dionysos en sentant que la conversation risquait encore de se perdre dans le manque de méandres du "cerveau" d'Apollon.
Bon voilà c'que j'te propose, on va aller ensemble jeter un coup d'oeil aux prévisions qui doivent être délivrées aujourd'hui à Delphes, dans ton temple, tu te souviens hein? Et puis si on en trouve une modifiable, on s'en occupera tout les deux et tu vas voir, tout va bien se passer.
- J’ne suis pas sûr qu'on ait l'droit d'faire ça Diony, j'crois même qu'j'suis sûr qu’on n’a pas le droit... Qu'est-ce qui va se passer si jamais Héra apprend qu'on a joué avec les prédiction d'l'autre shootée aux fumerolles hein? Ou pire encore, si c'est Capital qui s'en aperçoit... j'veux pas recevoir de note de service tu comprends... En plus il parait qu'en ce moment y a une réduction d'personnel qui s'prépare... j'veux pas m'retrouver à la chaudière à nettoyer les réalités qu'ont dérapé... en plus j'supporte pas la poussière... et j'suis sûr qu'y a des p'tites bêtes oubliées vachement dangereuse et tout..."
Le temps qu'Apollon est débité son laïus de gentil petit fonctionnaire, Dionysos avait réussis à le traîner - sans vraiment qu'il s'en rende compte - jusque dans son petit bureau. Et tandis qu'un Apollon terrifié commençait à s'attaquer les doigts maintenant qu'il n'avait plus aucun ongle à ronger, Dionysos commença à fouiller dans son organiseur pour trouver les fameuses prévisions. Après une dizaine de minutes de recherche infructueuse, il finit par mettre la main sur les prévisions du jour. Un ramassis d'idiotie si vous voulez son avis, une multitude de phrase sibylline du genre: "Récolte abondante si vous faites un don au temple d'Apollon" et autres sornettes permettant à la pythie et à ses collègues de vivre une vie de pacha sur le dos des pauvres paysans venus la consulter. "Connais toi toi-même"? Mon cul oui...
Mais au milieu de tout se ramassis d'arnaque à la crédulité humaine, Dionysos réussis à dénicher quelque chose d'un peu plus intéressant. Deux crétins attendaient de consulter la pythie pour lui demander, tenez vous bien, ce qu'il devait faire de leur vie. La réponse prévue était sculpteur pour l'un - comme son pôpa - et pour l'autre rien du tout vu qu'il pouvait se la couler douce en vivant sur l'argent de sa famille. Autant dire, rien de vraiment affriolant...
Alors, tandis qu'Apollon était à la limite de l'évanouissement devant l'énormité de ce que s'apprêtait à faire Dionysos, ce dernier attrapa un tube de tipex et effaça sans remord l'avenir de sculpteur prévu pour le pauvre chtite n'être humain. A la place il griffonna rapidement quelques mots que Apollon ne réussit pas à lire, bien qu'il ait tout fait pour regarder par dessus son épaule.
***
"Alors? demanda Socrate.
- Ben tu ne vas pas m’croire mon vieux... Elle m'a dit un truc bizarre la pythie... Elle m'a dit que t'étais le plus intelligent des hommes parce que t’savais que t'savais rien... Tu parles d'une prédiction... c'est pas avec ce genre de délire qu’on va s’trouver un job à Athènes... lui répondit Platon, une expression de pure perplexité lui barrant le visage.
- Remarque, ça nous avance peut être pas à grand chose, mais c'est plutôt flatteur... J’serais le plus intelligent des hommes, c'est la classe quand même!
- Ouais, mais c'est juste parce que tu sais qu'tu sais rien... t'y comprends quelque chose toi? Parce que tu sais qu'tu sais rien... Ca nous fait une belle jambe tient au milieu d'tout ces parvenus athéniens qui eux savent pertinemment qu'ils savent plein de truc, beaucoup plus que moi en tout cas... Je ne sais pas trop ce qu'il a voulu dire Apollon, mais j'ai l'impression qu'ils ne s'ennuient pas là haut!
- Bah chaispas non plus Platon, enfin… en tout cas j’correspond à la description, un truc de sûr c’est que j’chaispas grand-chose…
- Avec Dionysos, c'est sûr qu'ils doivent pas rater une occasion de faire la chouille là haut, pas étonnant qu’on s’retrouve avec des prédictions alambiquées après – la chouille, alambiquée, elle est bonne celle là! Bon ben écoute, pour cette histoire de prophétie, il te reste plus qu'une chose à faire, alors... Aller leur prouver à tout ces parvenus - comme tu dis - que c'est effectivement toi l'plus intelligent... Bon j'te l'accorde, c'est pas gagné, mais imagine un peu qu't'y arrive...
- J'me retrouverai vite fait avec toute une tripoté d'ennemi aux fesses si tu veux mon avis. Déjà et d'une, ils ont sûrement pas envie qu'on leur dise qu'ils sont moins intelligent que le fils d'un sculpteur... et encore moins que l'explication en soit le simple aveux de son ignorance... je vois pas trop où ça pourrait me mener...
- Hum... laisse moi y réfléchir, mais j'crois qu'j'ai une idée... Ils aiment tellement tchatcher et s'enorgueillir les uns les autres de leur intelligence, j'suis sûr qu'en les blablatant un peu tu pourrais arriver à les faire se contredire tout seul, sans être obligé de leur dire directement qu'c'est des crétins... Moi j'trouve que c'est plutôt un bon concept... Et puis ben j'pourrais t'accompagner et prendre des notes, et on pourrait monter ça un peu comme des pièces de théâtre tu vois... J'suis sûr que des dialogues mis en scène où on voit les grands d'Athènes se ridiculiser tout seul pourrait avoir un grand succès auprès de la plèbe, ça les changera d'ces tragédies ennuyeuses à mourir qu'on nous ressasse depuis une éternité.
- Ouais, t'as peut être raison, je sais pas trop... En tout cas, ce n’est pas le blablatage qui va me nourrir mon vieux...
- Mais si ne t’en fais pas... tu ne comprends pas? Si tu ridiculises Untel, Unautretel en sera vachement content et il te payera à bouffer juste pour que tu continues, et inversement, et ainsi de suite et vice et versa... Tu vois où je veux en venir? En jouant sur les rivalités des grosses légumes tu dois pouvoir t'en sortir à la tchatche toute ta vie... ça doit être ça qu'elle voulait dire la pythie, tu dois pouvoir vivre ta vie en tchatchant... après tout c'est ce que tu sais le mieux faire!
- Ah ça t'as raison, mon vieux... Bon, on ne va pas y passer une éternité... On rentre à Athènes et on essaye, on cherche un gazier que ton père peu pas encadrer, on lui fait dire qu'c'est un crétin fini, et on monte une pièce, on verra bien si ça marche ou pas... Comme ça, au pire, ton père s'ra content et il arrêtera de t'engueuler pour que tu changes de fréquentation... termina Socrate, ponctuant sa tirade d'un clin d'oeil complice à son vieil ami.
- Ouais! Mais pour commencer, je te propose une bonne petite cuite dans un de ces sympathique petit rade, enchaîna Platon en tendant le bras vers Delphes qui était en train de se dorer au soleil, n'ayant rien d'autre à faire que de plumer les touristes, ce qu'ils arrivaient très bien à faire tout seul pourtant...
***
"Donc tu vois, c'est deux fous qui marche sur une voie ferré, et y en a un qui dit à l'autre: Putain c'qu'il est long c't'escalier! Et l'autre, il lui répond: Ouais... et la rampe... elle est basse!" s'esclaffa Apollon.
Dionysos faillit s'étrangler avec son verre de vin.
"Franchement, elle est nulle ta blague Popo, tu m'as fait chier pendant j'sais pas combien d'temps pour me sortir ça... J'me demande si un jour t'arriveras à comprendre ce que c'est l'humour mon pauvre vieux...
- Ouais, mais attend, c'est pas fini, 'spèce de rabat joie, y a une variante... C'est deux fous qui marche sur une voie ferré, tu vois, et puis y en a un qui dit à l'autre: Putain, c'qu'il est long c't'escalier! Et alors l'autre il répond: Ouais... mais t'en fait pas, j'vois l'ascenseur qu'arrive!"