Solipsisme.

Hervé Lénervé

Théorie philosophique d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité que lui-même.

Avez-vous déjà remarqués combien peuvent être complaisants avec notre image, nos miroirs familiers et apprivoisés ? On se connait assez, à présent, pour que je vous livre, ici, quel pans de mon intimité.

Tous les matins, je regardais mon reflet dans le miroir de ma salle de bain. Je trouvais mon corps ferme et musclé, grâce certainement à mon entraînement quotidien d'une fois par an. Disons-le, sans la pusillanimité des fausse-coquettes, j'aimais l'apparence que je croyais avoir, j'aimais mon corps, bref, en gros je m'aimais bien et cela me procurait une certaine assurance dans les échanges sociaux. Je me sentais fort, grand et beau, bon grand et beau étaient un peu surfait, admettons, mais je me voyais ainsi. Pourtant,  il suffit d'une seule photo prise par un ami alors que réunis chez un autre pote dans et dont le grand jardin jouxtait une petite rivière que nous nous apprêtions à traverser à la nage et à poil, aussi. Nous bi-traversâmes par un aller-retour la Seine, puis sur la berge, la photo fatidique fut prise. Il suffit donc, d'une seule photo pour que je me voie avec la distance d'un autre et celui qui me plaisait encore, il y avait eu si peu, s'envola. L'objectivité de son propre reflet ne peut exister aux travers la subjectivité de ses propres yeux. Comment être impartial quand on est juge et assassin, institutrice et maîtresse, conflit d'intérêts. Et toujours en rengaine, cette putain d'envie de plaire et de séduire ! D'être beau, d'être grand, d'être fort et accessoirement riche, célèbre et intelligent.

Le fait est, que depuis cet instant, je ne m'aime plus. Cette photo m'a détruit et quand on perd le respect de son aspect, on perd de son assurance, on perd l'estime de soi. On perd tout !  J'ai perdu ma femme, mes amis, même mes bêtes s'en sont parties vers d'autres modèles de Dieux plus louables. Ma voiture aussi est partie, mais comme elle m'a été volée contre son gré, cela ne compte pas.

Je suis donc à présent seul. Je réponds encore un peu aux messages de copains virtuels sur ce site, qui n'existent peut-être même pas, sinon par la volonté spécieuse de paradigmes informatiques. Mais après tout, qui peut certifier de la véracité des choses, des êtres et avoir qui peuplent son intérieur. Mon esprit ne serait-il pas capable de prêter vie à des représentations qui n'existent pas ? Finalement, pendant que nous discutons sereinement entre nous, en substance, nous n'existons pas. Ni vous, ni toi, ni Je, ni Eux, personne n'existe ! Nous sommes donc seuls à jamais, condamnés à errer dans un Monde qui n'est que la création hallucinatoire de notre esprit fallacieux. La vie n'a jamais existé sur Terre et même ailleurs plus loin, si loin que notre esprit ne peut en mesurer l'incommensurabilité, mais on s'en fout, car les galaxies, le cosmos n'existent pas davantage.

Voilà, c'est dit, rien n'existe sinon le néant, concept difficilement appréhendable par la pensée qui met de la vie partout où elle n'y est pas, même si on ne lui a rien demandée, d'ailleurs.

Nous sommes le Néant, mais n'avons pas les bons outils pour le concevoir. Nous sommes le Grand Néant qui se méprise lui-même d'être le vide absolu, une aberration de la pensée. J'ai donc perdu l'estime de moi et par conséquent, j'ai réduit le grand tout à plus rien du tout, en fait, je l'avoue, ça m'arrangeait un peu de déterrer ce vieux concept philosophique, car si plus rien n'existe, pourquoi je m'emmerderais avec une malheureuse photo désavantageuse. Je ne vais pas faire un procès d'objectivité à un objectif de smartphone.

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