Solitaires Ch 6

rainette

Luca Valentini mène une existence bien réglée avec sa fille, mais la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Vous trouverez le début de ce Roman ici http://welovewords.com/documents/solitaires


CH 6


Isaline rentra des cours raccompagnée par Stéphane. On était mercredi et c'était le deuxième jour que Johnny travaillait mais n'avait pas assuré ses trajets au lycée. Elle ne savait pas ce qu'elle devait en conclure, mais elle se languissait de le retrouver. Le faisait-il exprès ? Probablement. C'était peut-être mieux ainsi, mais pourtant, il allait falloir qu'ils se voient, qu'ils parlent, qu'ils s'approchent. Elle en frémissait d'avance, elle était certaine qu'elle ne tiendrait pas cinq minutes sans se jeter dans ses bras. Elle se sentait très seule depuis samedi, comme avec un gros secret trop lourd à porter, elle ne savait vers qui se tourner, elle n'osait pas en parler à ses amis. Annabelle était toujours malade, et elle ne voulait pas aborder ce sujet au téléphone. Elle avait bien pensé à aller faire un peu de sport, pour être près de l'appartement de Johnny, mais elle songea que c'était puéril et probablement voué à l'échec. De plus, elle n'avait pas envie qu'il la voit en tenue de sport et encore moins couverte de sueur avec des auréoles sous les bras et les cheveux collés au front. Elle n'avait aucun moyen d'aller à la rencontre du jeune homme sans qu'il ne soit d'accord. Il y avait un système de surveillance dans le hall et les extérieurs de la maison, il pouvait donc savoir où elle se trouvait. Malgré le désir qui la rongeait de le revoir, elle ne se donnerait pas en spectacle à le guetter comme une adolescente. C'est un homme, pensa-t-elle, il n'a pas besoin d'une groupie lobotomisée, il s'attendait à autre chose venant d'elle. Avec peine, elle se dit qu'il avait une bonne raison, et qu'il cherchait une occasion qui ne paraisse pas suspecte.... du moins elle s'accrochait à cela.

Elle pris un thé en lisant les nouvelles sur internet, et en gardant un œil sur Facebook. Annabelle semblait aller mieux et annonçait son retour à grands renforts de qualificatifs élogieux envers son courage. Isaline était contente ! Elles allaient pouvoir discuter, elle en avait besoin. Elle n'était qu'attente et impatience, son cœur brûlait, ses pensées étaient prises en otage, elle sentait une sorte de fourmillement en son ventre en permanence. Elle n'avait pas été ainsi depuis l'attente des résultats du baccalauréat. Ne voyant aucune façon d'atténuer ses sensations envahissantes, elle se décida à travailler ses cours. Elle se dirigea vers son bureau et s'installa avec les livres et les notes nécessaires à son dossier. Elle plaça les écouteurs sur son téléphone, lança une playlist de quarante-cinq minutes pour ne pas être tentée de lever le nez de son occupation et soupira une dernière fois avant de commencer à relire ses notes.


Johnny avait vu la voiture se garer devant le perron et Isaline en descendre avec élégance, depuis l'écran du PC de sécurité. Il l'avait suivie autant qu'il avait pu, ce qui réveilla le désir qu'il avait refoulé ces derniers jours. Il avait tout fait pour ne pas se retrouver en sa présence, au début pour leur laisser le temps de mesurer la teneur de leur sentiments, et par la suite parce-qu'il ne savait pas comment gérer la situation. Il avait lui aussi, préféré se plonger dans le travail. Il avait fait toutes les enquêtes de routine, vérifié le matériel, préparé le service pour l'anniversaire d'Isaline samedi, tout ce qui pouvait l'occuper sans risque de croiser la jeune fille et de la mettre en difficulté. Ou plus justement , les mettre en difficulté, car il voyait bien qu'elle était nerveuse, qu'elle ne quittait la porte du couloir qui menait à son appartement des yeux tout le temps ou elle montait les escaliers. Qu'allaient-ils faire ? Comment concilier leurs rôles respectifs et leurs sentiments ? Il ne parvenait pas à prendre de décision, et pourtant il allait bien falloir faire quelque-chose. Johnny ne vit plus personne dans le hall et changea de caméra pour passer la propriété en revue, puis se plaça en arrière sur sa chaise, fixant le plafond en murmurant « Help me ». Il était dans un néant décisionnel qui le déconcertait. Lui, si sûr de lui, si prompt, si précis, il devenait incapable de prendre un chemin particulier.

Stéphane entra dans la pièce et fut surpris de l'attitude de son supérieur qu'il taquina. Johnny se redressa et déclara qu'il allait faire son compte-rendu à leur patron. Il envoya un SMS à Luca qui confirma sa disponibilité et il le rejoignit en quelques minutes.

Quoi de neuf aujourd'hui Johnny ? demanda Luca

Ici, rien de particulier. J'ai établi le service pour la soirée, dit-il, je mettrais Malik dans la salle de réception, Vincent à l'entrée et je ferais les extérieurs.

Contact ?

Oui on prendra les oreillettes Monsieur

Je pense que l'extérieur sera peu utilisé, il ne fait pas encore assez beau, vous irez voir aussi la réception.

Bien-sûr Monsieur.

Et veillez sur Isaline.

Comptez sur moi .

Qu'elle ne fasse rien d'idiot ou d'inconsidéré... elle va peut-être boire un peu plus que d'ordinaire, et bien que je sois certain qu'elle ne sera pas ivre, je préfère que vous fassiez attention qu'elle ne se blesse pas ou je ne sais quoi d'autre.

Oui Monsieur, dit Johnny, mal à l'aise.

Parfait ! fit Luca, satisfait. Autre chose ?

J'ai fini l'enquête de routine sur Madame Duronsier.

Ah... oui c'est vrai. Il y a quelque-chose à relever ?

Non, elle est plutôt sur une rubrique économique locale, elle rencontre beaucoup de dirigeants de PMI et PME, beaucoup de contacts. Elle est très appréciée dans le circuit. Elle semble avoir les dents assez longues, donc il vaut mieux rester sur vos gardes.

Ambitieuse comment ? Quel serait son but ? Racheter son journal ? Chantage ? Célébrité ?

Notoriété certainement. Pour le reste je ne sais pas. Mais elle a eu quelques liaisons avec des entrepreneurs de la région. Elle vient d'un milieu très modeste, elle pourrait être motivée par une ascension sociale tout simplement. Elle n'a rien au niveau justice, ni diffamation, ni délit, aucune plainte contre ses écrits, quelques contraventions...

Je vois.

Ce sera tout pour aujourd'hui Monsieur.

Bien. A demain

OK

Ah ! Repris Luca, je voudrais que vous accompagniez Isaline au lycée ces prochains jours, j'ai vu que vous ne vous en êtes pas du tout chargé cette semaine.

Johnny se raidit imperceptiblement.

En effet Monsieur, je ne pensais pas que cela vous ennuyait.

Ce n'est pas le cas, mais il est rare que vous ne fassiez aucun trajet dans une semaine, et j'aurais besoin de votre impression. Vous êtes plus particulièrement attaché à ma sécurité et celle de ma fille, vous êtes plus à même de me répondre.

C'est à dire ? questionna Johnny qui sentait son malaise grandir.

Et bien je la trouve très nerveuse depuis quelques jours. Bien-sûr il y a sa soirée, mais je trouve que c'est bien trop pour une soirée entre amis. Elle est tendue, inquiète, presque sur ses gardes. Elle est moins enjouée, elle parle peu, je suis un peu inquiet. Vous la connaissez depuis longtemps et la voyez régulièrement avec ses amis, vous pourriez remarquer quelque-chose.

Je tâcherais de l'observer Monsieur, c'est promis.

Je n'en attendais pas moins de vous Johnny ! Lança Luca, satisfait. Merci.

Ce sera tout Monsieur ?

Oui je crois. Bonne soirée.

Merci, Bonne soirée.

Johnny regagna le PC en vitesse. Son cerveau fonctionnait très rapidement. Il se pouvait qu'Isaline ait des soucis, mais il pressentait que les inquiétudes qui la rendaient nerveuse n'étaient pas autre chose que leur baiser échanger et l'incertitude dans laquelle ils se trouvaient. Il regagna son appartement et s'assit à son bureau, le regard fixe. Il réfléchit encore quelques instants puis secoua la tête. Il allait être seul avec dans la voiture, fallait-il lui parler ? Il ne pouvait se permettre de la déposer en retard. Mais il ne pouvait la laisser ainsi. Si son père avait remarqué autant de changements, c'est qu'elle était très affectée par la situation. Davantage qu'il ne le pensait. Elle était encore jeune, et à sa connaissance, à part quelques flirts, elle n'avait pas eu beaucoup de liaisons, et en aucun cas quelque chose de compliqué comme maintenant.

Il ressentit une sorte de soulagement. Il allait pouvoir lui parler et la rassurer. Elle avait besoin d'être rassurée, et il n'avait envie que de cela, la rassurer, la prendre dans ses bras et l'apaiser. Il ne savait pas comment les choses allaient évoluer, mais il savait qu'il devait lui dévoiler ses sentiments afin qu'elle ne se sente pas rejetée. Voilà ce qu'il devait faire, la rassurer. Il pouvait le faire pendant le trajet, mais très vite il se dit que ce ne serait pas des conditions idéales, il devait se concentrer sur la route, il ne pourrait la regarder, ça n'irait pas. A la propriété, son père serait peut-être à la fenêtre ou dans le hall. Il ne restait plus qu'à trouver un instant à l'arrivée, ce serait court, mais il n'y avait pas d'autre moment. Johnny était prêt, il avait l'impression de prendre son destin en main, comme quand il avait signé pour venir travailler chez Valentini, et comme quand il avait suivi le vieux Bill un soir de débauche, il y a si longtemps.


Le lendemain matin, Isaline était en retard. Elle avait encore eu du mal à trouver le sommeil et se lever fut un calvaire. Elle terminait de s'habiller quand elle entendit son père la presser :

Isaline, dépêche toi, la voiture t'attend, et ton prof aussi !

Oui, oui, je n'ai plus qu'à mettre mes chaussures et je suis prête !

Ça fait encore au moins 10mn à t'attendre encore ça, Princesse !

Macho va ! sourit-elle.

Elle attacha la bride de sa deuxième chaussure, attrapa son trench coat bleu pâle, son sac de cours et son sac à main. Elle sorti en claquant la porte de sa chambre et se retrouva dans le couloir face à Luca, qu'elle faillit percuter.

Un câlin ? ironisa-t-il

Et pourquoi pas, au point où j'en suis !

Luca la serra un instant contre lui, puis l'embrassa sur le front avant de la traîner avec lui dans les escaliers. Ils descendirent dans le hall ensemble, Luca lui ouvrit la porte d'entrée avec un clin d'œil.

Je te laisse, je vais au PC. A ce soir.

A ce soir papa.

Isaline couru jusqu'à la voiture et fit un dernier signe à son père avant d'entrer dans le véhicule sans modération. Dès qu'elle eût claqué la porte, elle sut. Elle tourna lentement la tête vers le rétroviseur intérieur, elle croisa ce regard qu'elle ne cessait d'attendre. Son cœur explosa littéralement dans sa poitrine, elle lui sourit, sans dire un mot et elle vit avec soulagement qu'il lui souriait aussi. Elle attacha sa ceinture et jeta un œil vers la porte d'entrée ou Luca semblait ne jamais vouloir la quitter des yeux. Johnny pris la route de Marseille jusqu'au Lycée ou Isaline suivait ses cours de BTS. Ils n'échangèrent aucune parole, ils étaient chacun dans leur bulle, mais ils se sentaient proches. Isaline n'était pas mal à l'aise, elle sentait la présence de Johnny la détendre, l'envelopper. C'était peu mais c'était la première fois depuis le samedi précédent qu'elle était aussi près de lui. Le trajet lui sembla bien trop court, elle aurait voulu rester encore, mais ils arrivaient au lycée et elle n'était pas vraiment en avance.

Elle détacha sa ceinture à regret et entendit Johnny descendre de voiture. Elle attendit, le cœur battant, qu'il vienne ouvrir sa portière. Elle le vit près d'elle, comme dans un de ses innombrables rêves, et il lui tendit la main pour l'aider à sortir du véhicule. Elle posa sa main fine dans celle de Johnny et ressentit une chaleur douce l'envahir, elle trembla et se redressa, face à lui. Il la regardait comme ce soir là, dans le hall, avec une intensité qui la troublait au plus profond d'elle. Elle ouvrit la bouche mais ne pu dire aucun mot. Il lui prit son autre main et les serra un peu plus fort.

Mademoiselle, votre maison, c'est mon lieu de travail, c'est compliqué.

Je sais, dit-elle timidement.

Votre père est inquiet car vous êtes nerveuse en ce moment.

Oh ! fit-elle surprise, je … je ne savais pas....

Je m'en doute. S'il vous plaît, faites-moi confiance, je trouverais un moyen d'être un peu avec vous, mais essayez de vous apaiser.

D'accord dit-elle abasourdie, totalement sous le charme.

Je ne vous ai pas... l'autre soir... sans raison... Johnny bafouillait, et elle trouva cela tellement attendrissant pour un crack de la sécurité.

J'en suis sûre, lui dit-elle d'une voix timide.

Croyez-moi, je ne...

Il fut interrompu par des appels bruyants et fournis de l'autre côté de la rue. Les amis d'Isaline lui criaient de se dépêcher, la sonnerie des cours avait retentit. Isaline retira précipitamment ses mains de celles de Johnny et recula d'un pas, sidérée.


Johnny l'avait vue arriver, dans son trench bleu, les cheveux enserrés dans un chignon aux mèches folles, qui courrait avec ses chaussures aux talons vertigineux, elle était sublime. Il ne dit rien mais elle mit moins de trois secondes pour chercher son regard dans le rétroviseur. Il se sentit soudainement mieux. Elle lui sourit et il lui retourna son sourire, ravi. Le trajet le galvanisa, ce silence complice lui permettait appréhender la situation. Elle était bien, et lui aussi, cela le rendait optimiste pour la suite. Il n'était vraisemblablement un caprice pour elle, et cela lui permettait d'être encore plus sûr de ce qu'il devait faire. Lorsqu'il se gara devant le lycée, il se dépêcha de descendre car il savait qu'il lui arrivait de descendre seule et de courir en lui criant un « merci Johnny », et si elle était fâchée de son silence, elle pourrait bien le faire aujourd'hui. Mais elle ne bougea pas. Il ouvrit la portière et aperçu ses longues jambes gainées de bas gris clairs et il pensa qu'il aurait aimé les caresser. Il prit sa main avec un plaisir indicible et l'aida sans peine à s'extraire de la banquette arrière. Il retint son souffle en la sentant si près, il aurait tellement voulu l'embrasser là, maintenant, la caresser et lui défaire ce chignon qui la rendait si sexy. Il dû prendre le temps de se contrôler avant de dire ce qu'il voulait lui dire. Il lui saisit les mains et les serra pour lui transmettre sa sincérité et il commença à lui expliquer combien cela était compliqué maintenant entre eux. Isaline buvait ses paroles, rivée à son regard et il devait se concentrer pour rester clair. Elle était incroyablement attirante, et il tentait désespérément de lui dire qu'elle devait juste attendre et qu'il trouverait une façon d'avoir du temps à passer ensemble. Il avait du mal à dire à haute voix qu'ils s'étaient embrasser, comme si tout cela était un acte totalement prohibé. Il voulu rajouter quelque-chose sur ses sentiments mais il fut interrompu par les cris des amis de la jeune fille. Elle s'écarta brutalement et resta interdite. Il comprit qu'elle avait aussi peur que lui de ce qui pourrait advenir de leur histoire qui n'avait même pas encore vraiment commencée.

Faites leur signe, dit-il doucement. Faites leur signe et souriez.

Elle obéit.

Parfait. Maintenant, je vais prendre vos affaires et vous les donner, expliqua-t-il en s'exécutant. Allez les rejoindre. Je viens vous chercher ce soir.

Le sourire qu'elle lui offrit acheva de le convaincre, il ne pouvait plus en douter, il était totalement conquis par la jeune fille. Il la regarda s'éloigner vers ses amis et, par acquis de conscience, essaya de voir si quelque-chose était anormal dans son comportement. Mais Isaline courrait encore et arriva en riant auprès de la joyeuse bande et sautilla comme une enfant. Le groupe franchit la grille au pas de course, elle se retourna rapidement et lui fit un signe de la main, sans lever le bras. Il répondit de même. Il sourit car il utilisait ce genre de salut avec ses coéquipiers lorsqu'ils assuraient la surveillance de Luca ou sa fille dans des endroits remplit de monde. Il reprit la voiture et retourna à la propriété Valentini souriant comme un enfant qui vient d'ouvrir son cadeau d'anniversaire. Il ne savait comment les choses allaient évoluer, mais il savait qu'il ne laisserait pas la douce Isaline en chemin.


Les cours lui parurent durer dix heures chacun tellement elle ne parvenait à y trouver un intérêt quelconque. Isaline dû patenter jusqu'à la pause déjeuner pour parler tranquillement à Annabelle. La sonnerie indiquant la pause déjeuner retentit et elle glissa à son amie :

Il faut absolument que je te parle en tête à tête.

Ah oui ? Je t'écoute.

Pas ici, j'en ai pour un moment, viens déjeuner avec moi.

Mais on devait essayer ce nouveau resto tous ensemble ce midi...

Anna, c'est VRAIMENT ENORME !

Annabelle s'arrêta dans son geste et scruta son amie avec étonnement. Elle savait que si Isaline disait cela, c'est qu'elle avait quelque-chose d'assez exceptionnel à lui dire.

- OK, je prends dit-elle, puis au reste du groupe qui s'approchait , allez-y sans nous, j'ai repéré une petite robe sublime la semaine dernière mais ce fichu virus m'a empêchée d'aller l'essayer et je me demande si je ne vais pas l'acheter pour la soirée de samedi. J'embarque Isaline pour son goût très sûr et accessoirement son véto, après tout, ce sera sa soirée d'anniversaire !

Annabelle était toujours un peu théâtrale, elle fit son show et personne ne douta de sa version des faits. Les deux amies s'en allèrent donc faire la pause déjeuner dans un petit snack, un peu en dehors de la zone fréquentée par les lycéens.

Alors, qu'est-ce qui t'arrive ? Demanda Annabelle en attaquant une salade de chèvres chauds particulièrement appétissante.

C'est un peu long, tu peux écouter sans m'interrompre ? Demanda Isaline.

Heu.... je vais essayer, mais là c'est de plus en plus curieux ce que tu me dis, tu me connais, je vais avoir du mal à résister.... répondit Annabelle et prenant un air contrit.

Lili rit et fit semblant d'être très sévère.

C'est important Anna, je ne sais pas si j'irais jusqu'au bout sinon. Je ne veux rien oublier, je crains de fausser les éléments dans le cas contraire.

Tu m'as tuée, c'est bon, vas-y, je t'écoute. Qu'est-ce qui a bien pu t'arriver ?

Isaline commença à évoquer les signes précurseurs, les regards croisés, les effleurements fortuits. Elle ne donna pas de nom pour ménager le suspense, mais surtout pour garder l'attention de son amie. Elle évoqua la montée lente et intense de ses sentiments et de ses questionnements, comment elle était à la fois sûre et inquiète quand à la réciprocité de ses sentiments. Enfin, Isaline raconta leur étreinte dans le hall, le baiser les regards, la douceur de leurs regards, l'attente et le clin d'œil sans mentionner le lieu exact. Pour le coup, Annabelle restait silencieuse, bouche bée, elle ne touchait plus du tout à son assiette. Elle connaissait Isaline depuis assez longtemps pour faire la différence entre ce récit et les autres qu'elle lui avait fait dans le passé.

Et c'était quand ? S'informa son amie.

Samedi.

Et depuis ?

Ben rien. Enfin si, ce matin il m'a assuré qu'on trouverait un moment pour se voir. Mais c'est compliqué, il était tellement beau, si tu savais, il a tant de force et de douceur en lui, c'est tellement touchant, tellement enivrant...

Attends, attends ma belle ! Pourquoi est-ce qu'il ne t'a pas donné de nouvelles en 5 jours ? Où étais-tu samedi alors ? Et qui est cet adonis, je le connais ?

C'est là le plus énorme.

Ce matin, tu lui as parlé ce matin ? Mais quand ? À 7h00 ? C'est pas humain ça !

Je n'ai pas dit à 7h00 sourit Isaline.

Je sais, alors quand ?

Ce matin, avant les cours.

Annabelle fronça les sourcils et regarda son amie incrédule. Isaline, le cœur battant, murmura :

C'est Johnny Cooper, Anna....

Annabelle arrondit sa bouche sans sortir un son, regarda autour d'elle, puis se penchant vers sa camarade, dit, détachant chacun de ses mots :

Ton garde du corps ?

Oui, répondit Isaline en baissant la voix et les yeux.

Il y eu un silence de quelques minutes pendant lesquelles, fait rare, Anna ne dit rien.

Ah ben ça ! finit-elle par articuler. La petite Isaline, si douce et si discrète a emballé le beau Johnny !!!! j'en reviens pas !

Anna ! se fâcha Isaline

Excuse-moi, Lili, mais non d'une cacahuète, tu te rends compte du canon que c'est, c'est le fantasme de la moitié, que dis-je, quatre-vingt-dix pour cent des nanas du lycée qui l'ont aperçu un jour devant la grille !

Tu crois ?

Mais évidemment !!!! ouvre les yeux, c'est un HOMME, pas un freluquet, il est beau, musclé, élégant, il a la classe, un sourire à damer les pucelles du monde entier, et toi tu l'as choppé !!

J'espère que j'ai fait un peu plus que ça, marmonna Isaline.

Ouais.... déjà tu l'as attrapé répondit-elle avec un clin d'œil.

Anna, toi aussi tu fantasmes sur Johnny ?

Moui..J'aurais pas dit non... mais je préfère ton père !

Anna !! tu es impossible ! Tu ne devrais pas dire des choses pareilles !

OK, OK, rit-elle, mais il est très séduisant ton paternel.... écoute, je comprends mieux maintenant, mais pourquoi, alors que vous vivez quasiment sous le même toit, il ne t'a pas donné de nouvelles ?

C'est compliqué, il est employé chez nous, mon père ne sait rien encore, on n'est jamais seuls.

Ton père.... il le prendra comment selon toi ?

Je l'ignore. J'imagine qu'il s'y fera s'il sent la force de nos sentiments, mais ça risque de ne pas se faire sans heurts.

Mais comment tu peux être sûre de la force de vos sentiments après seulement un baiser ?

Et ce matin !

Non mais attends, il ne faut pas croire tout ce que disent les hommes. Il a peut-être dit ça pour t'endormir, te faire encore languir avant de te repousser.

Oh, non, non, je suis sûre que non, je le sens, il est sincère.

Pourquoi traîne-t-il autant, alors ? Il avait le temps en quatre jours de trouver une astuce, ne serait-ce qu'en venant te chercher. Il vient presque tout le temps, et là, hop, trois jours sans rien. Il fuit !

Il a peut-être peur de déborder de son rôle.

Mais il DOIT déborder de son rôle, de toute façon, c'est déjà fait. Il te laisse quatre jours sans aucun signe et tu acceptes ça ? Mais c'est un très mauvais départ, ça. Après ce sera quoi ? des soirées au club de strip-tease pendant que tu cuisineras le repas ?

Annabelle, comme tu y vas ! Tu exagères.

Oui j'exagère, mais tu ne peux pas rester comme ça ma chérie, regarde toi. Tu es stressée, tu n'arrives plus à penser à autre chose, c'est affreux pour toi. Il doit réagir, il doit te dire si ça continue ou non, sinon tu va nous faire un malaise.

Peut-être, je ne sais pas, mais c'est clairement difficile à vivre en ce moment.

Tu dois le forcer à sortir de sa cachette, provoque le !

Mais comment ?

Rend le jaloux !

Quoi ?

Fais-lui croire que tu en pinces pour quelqu'un d'autre, ou même sort avec un joli p'tit gars d'ici.

Tu plaisantes ?

Mais pas du tout. S'il tient à toi, il viendra te récupérer illico.

Ou il m'en voudra à mort !

Personne ne peut t'en vouloir à ce point, à toi, ma belle, personne.

Anna leva son verre d'eau comme si elle trinquait et but une gorgée d'un air entendu. Isaline était perplexe, la conversation avait pris une tournure inattendue. Elle ne se sentait pas beaucoup mieux d'avoir parlé et elle se demandait dans quelle mesure Annabelle pouvait avoir raison. Elle finit son assiette sans parler, puis, n'y tenant plus, elle relança la conversation.

Anna, j'avais besoin de te parler parce-que je me sens perdue, seule et tellement impatiente. Je suis heureuse et à la fois triste. J'ai besoin de toi c'est lourd à porter.

Annabelle la regarda et quitta son rôle habituel pour lui tendre la main et lui dit d'un ton calme :

Ne t'inquiète pas, je suis là. Seulement je crois qu'il ne faut pas que tu laisses un homme quel qu'il soit, te laisser languir ainsi. Il est peut-être honnête, ou peut-être pas, tu es peut-être juste une passade, tu n'en sais rien. Mais je t'assure que s'il est sincère, je te soutiendrais de toutes mes forces. C'est un dieu ambulant , il est sexy à souhait, tu as un goût certain, tu devras sûrement te battre contre quelques harpies pour le garder, et je t'aiderais, c'est juré. Dans le cas contraire, s'il se moque de toi, il aura à faire à moi !

Isaline sourit, elle reconnaissait bien là son amie qui poursuivit :

En attendant, reste sur tes gardes, vu comment tu es accroc, il pourrait te briser en quelques mots, et ça je n'y tiens pas.

Elles quittèrent rapidement l'endroit de leur déjeuner et regagnèrent le lycée au pas de course.

Et cette robe demanda Clarisse, l'autre « modeuse » du petit groupe.

Aucun intérêt finalement, répondit Annabelle.

Ah, et tu vas t'habiller comment samedi dans ce cas ?

J'ai ma petite idée, t'inquiète !

Je te crois !

Ils regagnèrent leurs salles respectives pour le reste de la journée. Isaline se sentait un peu moins tendue. Que ce soient les paroles de Johnny ce matin ou le fait de se confier à Anna, elle était plus sereine. Une question se posa tout de même en elle, fallait-il rendre Johnny jaloux ? Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle devait penser de ce conseil.


Johnny passa la journée sans heurts. Il avait minutieusement préparé la soirée de samedi. Il avait choisi de faire équipe avec Malik car était avec lui qu'il avait le plus de connivence professionnelle. Ils avaient mis au point les derniers détails. Luca était parti tout l'après-midi avec Stéphane et il était seul au PC. Il veillait l'heure pour aller chercher Isaline. Il voulait arriver en avance pour être sûr que rien d'autre ne la préoccupait. Et si cette tension n'était due vraiment qu'à leur baiser, il devait trouver un moyen pour essayer de savoir s'ils étaient sur la même longueur d'onde, et s'ils devaient se lancer dans une liaison qui promettait son lot d'obstacles et de problèmes. Il attrapa les prévisions de planning et regarda ses prochains jours de congés. Il poussa un soupir, il n'avait aucune possibilité avant le vendredi suivant car il avait repoussé ses repos de quelques jours pour arranger Stéphane. Elle ne tiendrait jamais encore une semaine. Il regarda alors les horaires qu'elle avait transmit et remarqua qu'elle finissait plus tôt le mardi suivant. Il fit alors quelque-chose qu'il n'avait jamais fait, il ajouta à côté de l'horaire «  15H00 », au stylo, « ou 17H00, à confirmer ». Ainsi, ils pourraient bénéficier de deux heures si elle le souhaitait. Satisfait, il reposa les documents, puis les reprit, en proie à des remords, avant de les ranger à nouveau. Ce n'était pas un gros mensonge, et il faisait rien de dangereux puisqu'il serait à ses côtés. Il se replaça devant les écrans, et attendit l'heure d'aller chercher la jeune fille au lycée.

Lorsqu'il se gara de l'autre côté de la rue, il sentit l'impatience le gagner. Il était un peu plus loin qu'habituellement, pour qu'elle ne vit pas la voiture immédiatement. Il fit quelques repérages visuels et sortit de la voiture pour aller se placer à quelques mètre de l'entrée du lycée. Il attendit, observant les personnes qui passaient ou celles qui s'arrêtaient. La sonnerie se fit entendre et bientôt, une foule de jeunes gens envahit le parvis de l'établissement. Johnny peinait à observer les personnes qui sortaient et dû changer d'angle de vue. Et puis il la repéra. Elle se détachait par son port de tête et sa démarche élégante. Elle riait avec les autres et participait à la conversation. Annabelle Marinier s'agitait et riait fort, comme à son habitude. Johnny ne vit aucun changement sensible dans leurs attitudes. Le groupe s'arrêta sur un côté de la masse d'adolescents et de jeunes adultes accumulés devant les grilles et les arrêts de bus. Ils commencèrent à s'embrasser, se saluer et se séparer un à un. Il ne restait avec Isaline que trois de ses amis quand il remarqua un jeune homme brun aux cheveux bouclés et à la carrure large courir en sa direction. Instinctivement, Johnny posa sa main sur son holster pour vérifier la place de son arme et avança rapidement vers la jeune fille. L'homme qui courrait se mit à faire des sauts de cabri et s'arrêta devant les quatre amis restants en criant « Isaline, Isaline ! ». Johnny calma sa marche immédiatement et se plaça en observation. Le jeune dit quelques mots à Isaline en tournant sur lui-même et la fille de son patron se mit à taper des mains et à sauter de joie. « Matthieu, je suis ravie que tu viennes » cria-t-elle. Le dit Matthieu la prit dans ses bras et l'entraîna dans une danse inédite qui la fit rire encore. Johnny regarda la scène, l'air impassible, mais il n'était pas du tout calme. Il ne trouvait pas très amusant de voir cet énergumène secouer Isaline comme cela, il ne pouvait pas la surveiller correctement. Matthieu serra Isaline et lui déposa un un baiser dans le cou. Johnny senti son sang s'échauffer et il s'entendit marmonner « Take off your hands away, dummy !1». Il dû prendre sur lui et reconnaître qu'il était quelque peu jaloux. « Me voilà bien ! » se dit-il.

Enfin, les amis se séparèrent et il vit qu'Isaline cherchait la voiture des yeux. Il s'avança vers elle, avec une impression étrange, comme s'il accomplissait un acte extraordinaire. Il était certain qu'il n'aurait pas besoin de l'appeler. Il avança encore, il était à moins de cinq mètre quand elle tourna la tête vers lui. Elle fit un dernier signe à Annabelle qui s'immobilisa pour la regarder. Johnny s'arrêta et lui sourit. Elle lui offrit un visage radieux qui le bouleversa. Elle s'approcha et ils ne lâchèrent pas du regard.

Bonsoir Mademoiselle.

Bonsoir répondit-elle.

Se sachant observé par Annabelle, Johnny choisi faire demi-tour pour lui tourner le dos et se placer aux côté d'Isaline. Il plaça sa main sur l'épaule de la jeune fille pour la guider jusqu'au moment de rejoindre l'autre trottoir, puis la lâcha à regret. Il lui ouvrit la portière et prit le volant. Une fois de plus il songea à dire quelque chose mais les conditions dans la voiture lui parurent encore inadéquates et il préféra se taire.


Ils arrivèrent à la propriété sans échanger d'autres paroles. Isaline n'en était pas plus gênée que le matin, elle se demandait encore si rendre Johnny jaloux était vraiment utile. Elle avait trouvé ça si doux de le voir s'avancer vers elle dans la foule. Elle avait senti son regard posé sur elle, elle avait senti la retenue dont il avait fait preuve. Elle aussi, elle aurait eu envie de se jeter dans ses bras, mais elle savait qu'Annabelle, et d'autres peut-être, la regardait, c'est la raison pour laquelle elle lui avait fait signe, au cas où Johnny ne l'aurait pas vue. Et puis, son père et elle faisait parfois la une de journaux, il ne faudrait pas qu'elle y figure pendue aux lèvres de son garde du corps ! Le rejoindre, sentir sa main sur son épaule la guider avec une pression légèrement plus ferme que d'habitude, le voir la regarder s'installer dans la voiture, les coups d'œil dans le rétroviseur, tout cela avait été une bulle de douceur après ces jours d'attente perpétuelle.

Elle descendit de la voiture, sans attendre Johnny, pour faire comme les autres jours.

A demain Johnny ? demanda-t-elle.

Oui, à demain Mademoiselle Isaline.

Ils reprirent chacun leur chemin, un sourire flottant sur leurs lèvres, comme un air de musique qui persiste dans la tête sans qu'on ne le veuille vraiment.

1Ôtes tes pattes de là, imbécile !


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