Solitude

sylvenn

Noires Heures - Essais

Lentement, au fil des années, tu t'es infiltrée partout dans ma vie.
Au début je n'avais même pas connaissance de ton existence.
Dans la cour de récré au milieu des coups de poings et de blues, déjà tu étais là.
Mais je ne te voyais pas encore. Tu t'insinuais dans les silences, dans ces moments hors du temps. Trop discrète.
Par manque d'amour, je me suis créé une vie fantasmée à travers cette fille qui ne me connaissait même pas.
Jalouse, tu m'as soudain saisi par le cœur. J'ai compris alors à quel point tu tenais à moi.
Mais comme toutes les autres, je pensais que tu me quitterais un jour.
A l'adolescence, notre couple a vacillé à cause de tout le temps que je passais avec mes amis.
La situation entre nous a empiré jusqu'à ce break de deux ans, où j'en aimais une autre.
Pourtant lorsque cette aventure purement sexuelle s'est terminée, tu m'attendais encore.
C'est là que j'ai compris comme notre union était indéfectible.
***
Depuis 10 années maintenant, je te vois à travers chaque nouvelle relation.
Je t'ai vu à travers les autres étudiants de l'école de commerce ; ces brutes sans subtilité, persuadées d'être l'élite de la nation.
Je t'ai vu à travers mes nouveaux amis ; si bienveillants et pourtant si incapables de me comprendre comme tu me comprenais.
A travers les gens dans les rues courant seulement pour mieux s'essouffler, à travers les débats télévisés incisant la peur et la haine dans les esprits faibles, à travers les psychologues, les psychanalystes, les médiums, les spécialistes et toutes leurs certitudes académiques si déconnectées du réel… je n'ai plus vu que toi.
Je voyais comme aucun d'eux ne me comprenait comme toi tu me comprenais.
A travers les femmes et leur beauté inaccessible, à travers les hommes et leur virilité hypocrite, les parents et la famille dont le sang est notre seul point commun, les groupes Facebook convulsant de paroles vides d'espoir, de sens et d'Amour, les associations et leurs projets gonflant les égos pour oublier la vanité de la vie, les collègues comme autant de hamsters en cage… je n'ai plus vu que toi.
Je voyais comme leurs âmes étaient toujours trop éloignées de la mienne.
Alors que toi, tu n'étais plus seulement partout autour de moi. En me contemplant dans le miroir, je constatai que tu avais pénétré mes veines, ma chair, mon visage, mon âme. Tu étais désormais une partie de moi.
***
Aujourd'hui que tu es partout, je ne vois plus que toi.
Dans ces conversations quotidiennes sans intérêt, qui ne sont qu'un copier-coller de la veille pour l'éternité.
Dans ces conversations philosophiques, qui se terminent toujours avec un sentiment d'avoir avancé alors qu'en réalité chacun ressort avec dix questions supplémentaires, encore plus perdu qu'il ne l'était au départ.
Dans ces questionnements existentiels dont on n'a jamais su accepter qu'aucune réponse ne pourrait jamais faire taire leurs cris en nous.
Dans ces échanges de regards complices, naissance d'une belle histoire mais début d'un décompte jusqu'à une rupture mortelle.
Dans ces flots de population impersonnelle se rendant d'un point A à un point Z, indifférents à la vie qui auparavant était en chacune de leurs gouttes ; comblant le vide par les achats compulsifs, transformant jusqu'à l'humain en un bien de consommation.
Dans ces voyages que je fais, tuant à petit feu l'espoir vain que je puisse enfin voir dans d'autres cultures, d'autres paysages, autre chose que TOI.
Mais je dois t'avouer aujourd'hui que c'est seulement quand nous nous retrouvons seuls, toi et moi, au beau milieu de la Nature, que je retrouve ta vraie beauté silencieuse.
Toi, ma solitude.

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