Solitude à Pernesiau

Le temps immobile a suspendu son vol à la tire, son vol à l'étalage de nos jeunesses. Une branche oscille au gré du vent pour rappeler qu'il n'est pas tout à fait mort, car le mouvement c'est le temps. Le mouvement, c'est encore la vie qui palpite sous la roche. Le feu qui couve un œuf sous la cendre. Autrement plus rien ne bouge. Les oiseaux ont tu leurs trilles. Le soleil plombe la campagne. Les enfants ont tu leurs rires et ils pourraient me vouvoyer les garnements, s'ils n'étaient pas tous partis vers nos grandes villes.

Dring ! Dring ! Dring !

(Je sais, les téléphones ne dringuent plus, ils jouent la musique de Black Sabbath à présent, mais je continue à les faire dringuer, car je ne suis pas fan des bluettes.)

-         Allo ! Ah, c'est toi mon chéri… non ! Je ne m'ennuie pas… j'étais en train de compter les pierres du mur à Colin, tu sais, le voisin… et maintenant, je vais aller faire ma vaisselle, ça m'occupera l'esprit… Oui ! J'ai un peu mangé… quoi ? Ah, je ne sais plus. Attend, je vais regarder dans la poubelle… des pâtes avec du poulet, je crois… enfin, oui, ouf ! Tout est là, c'est pas perdu… Pardon ? Ce que je vais faire ce soir ? Là, tu me poses une colle, je ne me projette plus avec un tel recul. Je ne sais même pas ce que je vais faire quand tu auras raccroché… Non ! Non ! Ne t'inquiètes pas, mon chéri, je vais très bien. Je ne manque de rien, au contraire, j'en ai même trop plein du rien… Ah bon, tu me trouves un peu déprimée ? Il ne faut pas, mon chérie ! Je pète la grande forme, je t'assure, j'ai des projets plein la tête, tu sais ? Non, tu ne sais pas ! Dommage, j'aurais bien aimé que tu saches pour me les rappeler… Oui ! Alors, les enfants, comment vont-ils ? Bien sûr, je sais que tu es homo, je disais ça, juste comme ça, pour dire quelque chose, quoi ! Et Maurice, comment va-t-il, lui ? Oui… évidemment… je sais que vous n'êtes plus ensemble, mais cela ne l'empêche pas d'aller bien, si ça se trouve ? Ah, il est parti vivre au Tibet, dans une secte de Yaks de Mongolie ! Il avait peut-être de la famille, là-bas ? Non ! Une peine de cœur ! Ah bon… je ne sais pas si les cardiologues sont très pointus au Tibet, chez les Tibétains ? Enfin, quoi qu'il en soit, il parait que l'air y est très sain et recommandé pour les asthmatiques… Ah, il ne l'était pas… dommage… remarque, il est jeune, avec un peu de volonté, il peut, le devenir, encore… Tu l'as complètement oublié ! Oui, tu as bien fait ! Que faire d'un gus qui n'a même pas l'ambition de devenir asthmatique ? Oui, mon chéri ! Je comprends… tu es pressé… écoute,  merci d'être passé me rendre visite ! Cela m'a fait un bien fou de te savoir toujours vivant. Oui ! Moi aussi, je t'embrasse ! Allez, bisous, bisous et embrasse Maurice pour moi, aussi !

Soliloque : Bon, où j'en étais, moi, avec tout ça ? J'm'en rappelle plus… Tiens, je vais aller me pendre une petite année au grand noyer, ça me détendra un peu avant la sieste !