Sortir, pas danser.
bigtof
21 février 2004
Elle se prépare depuis seulement six minutes. Dont quatre pour la douche. Il n’a plus le temps de mettre de la musique.
Elle est toujours très rapide. Se faire belle ne lui est pas difficile aussi en profite-t-elle pour traîner le moins longtemps possible dans la salle de bain. Pas de perfectionnisme, pas de manière dans le maquillage. Juste une touche rapide. Dire qu’elle a le geste sûr ne serait pourtant pas vrai. Impatient, oui, et pas parfait.
Il s’épargne tout commentaire. Elle sait qu’elle pourrait encore accentuer sa beauté en prenant le temps. Elle lui jette le regard bon-j’espère-que-tu-es-content-parce-que-je-n’irai-pas-plus-loin avec les lèvres serrées. Ses yeux s’amusent de lui pourtant. Un instant, elle se laisse aller au plaisir de plaire. Se reprend. Le jeu pourrait les entraîner plus loin qu’elle n’a envie.
Elle est encore nue. Deux robes sont jetées sur la commode blanche à l’entrée.
Des tons de pourpres pour la première, avec des reflets dorés. Il la lui a offerte il y a déjà deux ou trois ans. C’est un moule pour le corps, une merveille. Le tissu, drapé sur les épaules est tendu sous ses seins pour mettre en valeur la poitrine. L’arrondi poursuit derrière sur un dos nu profond pour achever la démonstration. Il sait qu’elle va mettre celle-ci : leur dernière dispute est encore récente.
Elle saisit l’instrument de sa torture et la passe rapidement. Chausse ses escarpins noirs. Se détourne pour regarder le miroir. Le tissu tombe sans entrave sur ses hanches. Oui, il a bien saisi le message. Elle ne portera rien d’autre ce soir.
Il descend et commence à fermer la maison. Il y a des soirées plus longues que d’autres, mais il sait que celle-ci sera interminable.
Seuls, ils ne sortiraient certainement pas, mais leurs amis sont adorables et malgré leur humeur, ils ont peu envie de les décevoir. Moins encore de se justifier. La vie est aujourd’hui faite de concessions. Et puis les appeler pour s’excuser les obligeraient à se regarder en face. Faire un constat qu’ils ne veulent pas faire.
Ils ont rendez-vous dans un restaurant latino. Un lieu bruyant où l’on peut danser salsas, mambos et cha-cha-cha.
Ils aiment danser la salsa.
Pendant une année, même, ils ont pris des cours pour se faire plaisir. La chaude danse était le prétexte à passer le mardi soir seuls, tous les deux, ayant confié les enfants aux grands-parents.
Leurs amis savent qu’ils aiment danser. Ils ignorent qu’ils n’en ont pas envie.
Un à un, il ferme les volets de la maison. Le silence de la campagne répond au silence à l’intérieur. Il entend ses pas qui résonnent sur les tomettes maintenant, alors qu’elle descend l’escalier.
Les cheveux remontés et attachés derrière en un chignon négligé découvrent son cou. Ses seins sont trop fiers pour se laisser aller à se trémousser. Ses yeux passent sur lui comme elle se dirige vers la porte, saisit son manteau, sort. Vingt-deux ans bientôt qu’ils sont ensemble, et il sent la fin proche. Il éteint.
Elle l’attend devant la voiture, enfermée dans son manteau.
Il ne lui ouvre pas la portière.