Souffle automnal

nat28

Projet Bradbury - Semaine 38

     Une légère brise souffle et me caresse doucement. Je tremble. Je n'ai pas froid, ni peur d'ailleurs. Je sens juste que le moment est proche : mon tour est venu. Pour la plupart de mes amies, c'est déjà arrivé. Le rouge leur est monté aux joues, elles ont hésité un instant, puis se sont lancées. C'est intimidant. Une sorte de saut dans le vide, dans l'inconnu... Une grande aventure, aussi. Je suis à la fois impatiente et intimidée. C'est si spécial... et sans retour.

     C'est inéluctable. Petite, je n'y pensais pas. Je grandissais, entourée de mes amies, dansant dans le vent, ne me souciant pas du lendemain. Et pourquoi se préoccuper de l'avenir quand le présent est si simple et si joyeux ? Les oiseaux chantaient, le soleil brillait, tout était facile. J'étais si jeune, mon futur était si abstrait pour moi... Vivre l'instant, voilà ce qu'était ma philosophie. J'étais heureuse. Je le suis toujours. Même si une certaine appréhension m'envahit peu à peu.

     La vie devrait être une suite d'instants gais et légers. Sans conséquences, sans remords, sans peurs. A quoi servent-ils, tous ces sentiments négatifs , après tout, chaque minute suit la précédente et précède la suivante. Peser chaque décision, réfléchir en permanence, est-ce si important ? Est-ce que cela compte vraiment ? Avons-nous vraiment le contrôle de notre existence, après tout ?

     Je dois accepter le fait que je ne maîtrise pas tout. Peut-être même que je ne maîtrise rien, après tout. Lâcher prise, littéralement.

     J'ai changé, c'est indéniable. Ma peau n'est plus la même, des plis sont apparus, je me dessèche. Flâner m'ennuie, parfois. Je vieillis. Je dois aller de l'avant, comme mes amies, quitter le nid. Le premier pas est difficile à faire. Mais ensuite... Tout ira bien, j'en suis sûre.    

     Je prends mon courage à deux mains et je m'élance. Je me détache de mon passé, et je fais le grand saut. Je me laisse emporter, flottant lentement dans l'air, poussée de droite à gauche par le souffle automnal qui a déjà emporté toutes mes amies. La chute est lente, douce, brève et interminable à la fois. Je savoure chaque seconde de ce voyage que je ne maîtrise pas, de cette descente vers le sol, cet inconnu, de cette expérience unique et inédite.

     Toute ma vie, j'ai été au sommet, régnant sur le jardin depuis ma haute branche, fière et verte au milieu du ciel. Le printemps m'avait vu naître, l'été m'avait fait souffrir, et l'automne avait ôté la chlorophylle de mes veines. Cette horrible couleur jaune ! Pourquoi fallait-il en passer par là avant d'arborer ce rouge flamboyant qui m'habille désormais ? Une époque, certes très courte, mais si désagréable...

     Me voilà libre, désormais, pour quelques délicieuses secondes. Que se passera-t-il lorsque je toucherai le sol ? Je n'en sais rien. Et je n'en ai pas grand chose à faire, en fait. Je verrai bien. Il faut parfois se laisser surprendre. Surtout lorsqu'on n'a pas le choix.

     Une feuille d'arbre est faite pour s'épanouir, puis pour tomber. Je n'ai pas choisi ce destin, il s'est imposé à moi. Alors je le reçois et je l'accepte. Et puis mes amies m'attendent, en bas ! Quoi de plus merveilleux que d'être ensemble ?      

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