Soulmates - APPARENCES (T.1) - Chapitre 1 - Retrouvailles

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Chapitre 1 "Retrouvailles" du roman Apparences, premier tome de la saga Soulmates, disponible sur Amazon en format broché et Kindle.

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RETROUVAILLES




— Et surtout, n'oublie pas de m'appeler demain quand tu es dans le train ! s'écria ma mère au téléphone.

Sa voix qui était de nature apaisante tirait méchamment sur les aigus. Ma mère ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour moi, c'était plus fort qu'elle.

Je raccrochais avec hâte, trop pressé de retrouver mes amis et ce, au plus vite – Si on oubliait bien sûr que j'avais deux heures de train devant moi. Ceci dit, avec toute cette technologie, il était devenu difficile de s'ennuyer dans les transports. Mais je trouvais quand même le moyen de m'occuper différemment. En effet, depuis tout gamin, je pouvais assez facilement me replonger dans mes souvenirs, même les plus lointains. Je revoyais les choses différemment, les analysais et j'arrivais même à découvrir des petits signes, gestes, ou regards que j'avais omis de voir sur le moment. L'inconvénient de replonger dans ses souvenirs, était que je ne pouvais rien y changer.

Certes, ce petit don avait ses côtés pratiques – surtout lors des examens ou lorsque l'on voulait entendre raison sur un événement passé. Mise à part ce petit brin de folie qui m'amusait plutôt pas mal, je n'avais jamais rien vécu d'exceptionnel ou de transcendant. Je vivais ma routine de lycéen en terminale scientifique – un vrai monsieur tout-le-monde. Seule ma vie de famille était différente car je ne connaissais pas mon père et que ma mère vivait avec une autre femme, qui elle, avait une fille, que je considérais comme ma petite sœur.


Une fois assis dans le train, je fixais avidement les gens sur le quai et repensais aux moments passés avec mes amis d'enfance – Ceux que j'allais voir tout à l'heure. Étrangement, je ne savais pas tellement à quoi m'attendre alors que je les connaissais par cœur et que j'allais à coup sûr passer une excellente soirée – J'étais juste déçu de les voir si peu de temps. Peut-être était-ce l'effet de surprise ? En effet, je n'avais parlé de ma venue à personne sauf à l'organisateur de la soirée. Je lançais ma playlist préférée et m'enfonçais dans le siège, tandis que le train s'éloignait progressivement de la gare.

Le trajet Paris-Nantes me parut interminable, je regardais les paysages défiler à toute vitesse, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit.


Je sortis du train et pris le bus pour aller chez mon ami.
Je connaissais le trajet sur le bout des doigts, Nantes étant la ville où j'avais vécu un bon bout de temps avant de déménager en région parisienne cet été. En arrivant chez John, la rue était sinistre, pas même un chat minaudait dans le coin. Il devait être vingt heures et malgré la luminosité de cette belle et chaude nuit d'été, j'eus du mal à reconnaître sa maison tellement la rue s'assombrissait au fil de mes pas. Et pourtant, la pauvre petite allée n'avait pas bien changé en deux mois – ce qui est aussi relativement court comme délais. Je frappais si fort à la porte que ma main me fit mal – je souris, la joie remplaçant la douleur. J'étais tout excité à l'idée de revoir mes amis. Ils m'avaient manqué en deux mois ! J'attendis de longues secondes. Le silence au seuil de la maison me semblait étrangement bruyant. J'entendis seulement la brise chaude passer à une vitesse folle dans les
arbustes de la cour. Rien de bien rassurant, à vrai dire.
Je jetais de petits coups d'œil derrière moi, quand la porte s'ouvrit à la volée. Je fis semblant de ne pas être surpris, alors que j'avais frôlé l'attaque cardiaque.

— Te voilà enfin ! s'écria John, le sourire aux lèvres.

Il s'approcha et me pris dans ses bras. En l'espace de deux mois seulement, je trouvais qu'il avait encore pris du muscle, même si j'étais déjà largement dépassé – John était toujours le tombeur blond aux yeux bleus que je connaissais si bien. Son étreinte se fit insistante, j'eus du mal à me
défaire des bras de John.

— Eh ! Devinez qui est là ! enchaîna-t-il très enthousiaste.


Il ferma la porte en regardant furtivement dehors et passa sa main dans mon dos pour me faire entrer.

Le salon de John sortait vraiment de l'ordinaire : on se serait cru dans un studio hollywoodien qui tournait un film sur la Renaissance. Un style très ancien animait la pièce et l'éclairage laissait à désirer : quelques bougies par-ci par-là ainsi que de faibles lumières tamisées. De vieux cadres représentant la mer ornaient le mur couleur jaune ocre. Les vieux canapés en cuir n'avaient pas changé de place depuis que je côtoyais John – c'est-à-dire, depuis l'âge de neuf ans. Aujourd'hui, j'en avais presque dix-huit. La maison se voulait tout de même cosy et accueillante – ou alors j'étais tout bonnement habitué à sa décoration atypique. Au fur et à mesure que j'avançais, une odeur insupportable d'encens se faisait sentir. Alors que nous étions en plein été, il faisait étonnamment froid dans sa maison.

Ma bande d'amis était au complet. Jérémy Cleys était installé confortablement dans un canapé, avec ses longs cheveux bruns bien attachés en queue-de-cheval et sa carrure toujours aussi maigrichonne, j'adorais me moquer de son style rockeur pseudo rebelle. A côté de lui, il y avait Sheryfa Tegels, qui était blonde cette fois-ci – car elle changeait très fréquemment de coupe de cheveux, avec un style excentrique qu'elle cultivait farouchement. Amaury Lohen quant à lui ressemblait à un militaire avec sa forte carrure et son crâne rasé – Je l'appelais désormais « crâne d'œuf » depuis qu'il avait décidé du jour au lendemain de se raser la tête. Il y avait ensuite Joe Maddan, le beau gosse de la bande avec ses cheveux châtains clairs en bataille, ses allures de surfeur, sa peau mate et ses yeux bleus translucides. Sans oublier, la sublime Candice Nolasco, d'une beauté exceptionnelle, voire irréelle. Elle cultivait le mystère autour d'elle de manière tellement captivante, qu'elle en devenait parfois effrayante.


Nous allions tous sur nos dix-huit ans sauf Amaury et
Candice qui étaient âgés de vingt et un ans et John de vingt ans. Nous nous étions tous rencontrés sur les bancs de l'école primaire, sauf pour Amaury et Candice que nous avions rencontré au lycée. Malgré nos différences, nous étions inséparables et faisons les quatre cents coups ensemble.


Tous mes amis étaient assis dans le salon en train de discuter à voix basse – ce que je trouvais surprenant connaissant le boucan habituel qu'ils faisaient à eux seuls. Leurs doux rires rendaient l'ambiance chaleureuse. Tous occupaient ces vieux canapés, très confortables malgré leur apparence. Ils se retournèrent vers moi, d'abord surpris et d'un seul mouvement rapide, leurs bras s'enroulèrent autour de moi, m'empêchant de respirer normalement. Le brouhaha des uns et des autres était incohérent, mais la joie s'exprimait sur leurs visages. Ils se disputaient gentiment pour s'asseoir à mes côtés. Un sentiment de nostalgie s'empara de moi, laissant mes amis raconter à ma place nos souvenirs les plus fous quand je vivais encore à Nantes. Je ne les avais pas revus depuis mon déménagement près de Paris.

— John ! Tu ne nous avais pas dit que Mathias venait, s'écria Candice, surexcitée.

Elle se tourna vers moi et me donna une tape sur l'épaule avant d'ajouter :

— Nan mais j'y crois pas ! Quel cachottier celui-là !

Je l'observais attentivement et remarquais qu'elle avait changé. Je ne savais comment l'expliquer, mais dans sa façon d'être et même physiquement, les courbes de son
visage la rendaient encore plus parfaite. Ses longs cheveux noirs reflétaient la lumière – Pire qu'une publicité mensongère pour shampoing.

— Et quoi, tu vas m'en vouloir, c'est ça ? demanda John en riant aux éclats.

— Et comment, s'empressa d'ajouter celle-ci.

John lui lança un regard amusé et froid en même temps. Je remarquais qu'il avait aussi changé. Sa peau était encore plus pâle que d'habitude et ses cheveux étaient blonds platine désormais. Je fis mine de ne rien remarquer et allais me servir à boire.

— Plus de deux mois sans te voir, c'était vraiment long ! s'écria Candice, les yeux pétillants, visiblement émue par ma visite surprise.

Sa longue chevelure noire descendait sur ses épaules, caressant ses joues au passage. Sous ses airs stricts, elle restait très sensible et attachante. Elle se contenta de ramener une longue mèche de cheveux pour cacher ses larmes. Sa frange était désordonnée mais son sourire resplendissant – comme toujours. Elle me prit dans ses bras en me serrant très fort et dans un souffle elle me dit que je lui manquais affreusement. Sous les rires bruyants des convives, sa douce voix me resta en travers de l'oreille et je n'entendais plus qu'elle. Ses lèvres fraîches frôlèrent ma joue, laissant au passage un frisson qui me parcouru tout entier. Son corps était pratiquement glacé, ce qui me figea sur place.

Gênée de son geste, elle se retira, me laissant bouche bée. J'en avais oublié de reprendre ma respiration. Cela la fit rire, un son mélodieux qui m'avait manqué aussi. Amaury passa son bras sur mon épaule, me ramenant à la réalité.

— Bon, raconte-nous ton déménagement ! Tu as des voisins sympas ? Ou plutôt... Des voisines chaleureuses ?

Il rigola fortement, couvrant les mauvaises remarques de sa question un peu ridicule. Je m'empressais d'ajouter :

— Jamais un quartier ne sera aussi chaleureux que celui-là mon vieux, dis-je en montrant la rue par la fenêtre. J'en profitais pour lui faire une petite tape amicale sur la cuisse. Il rit de plus belle puis reprit son sérieux avec un regard plutôt songeur, comme s'il s'imaginait déménager lui aussi.


L'ambiance était apaisante, joviale et les heures passèrent très vite. Tout le monde parlait, cancanait et je distinguais les expressions de leurs visages : tous étaient ravis de me retrouver et la joie animait leurs voix. Les verres de certains de mes amis se vidaient allègrement, rendant les conversations de plus en plus approximatives au cours de la soirée.

Mes amis me posaient des questions dans tous les sens – il m'était difficile de prononcer une phrase sans être coupé par une autre question. Voyant que l'excitation se calmait, je décidais de m'isoler au fond du salon avec Sheryfa – elle ne me semblait pas au cœur de la petite fête. Elle fut surprise de me voir la rejoindre. Ses yeux chagrinant trahissaient son sourire. Elle avait la peau légèrement bronzée, son teint faisait ressortir le blond platine de ses cheveux. Ses yeux noisette fixaient le vide. Elle se mordillait continuellement les lèvres et ne parlait pas – Sheryfa qui était pourtant de nature bavarde. Son silence me laissait perplexe. Je tentais :

— Que se passe-t-il ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette...

J'espérais une réponse courte et honnête de sa part.

— Non, ça va, me répétait-elle sans cesse.

J'abandonnais. Je n'aimais pas voir mes amis dans un état pareil. Mais je laissais tomber l'affaire – elle était décidée à ne rien me dire.

Amaury était le moins curieux de tous – il ne m'avait posé qu'une question et ne semblait pas très intéressé par nos conversations. Il regardait fixement la fenêtre sombre de l'entrée – enchaînant les verres de whisky coca. Je n'essayais pas de comprendre et repris ma discussion avec
Jérémy et Joe. Mon côté observateur me faisait parfois
défaut. J'avais tendance à analyser tout autour de moi plutôt que de profiter du moment présent. Je finissais mon verre cul sec et décidais de lâcher prise.

Candice profita d'un court moment de silence pour en placer une – ce qui était difficile dans ce groupe plus que bavard :

— Sérieusement, tu as rencontré des gens ? Je veux dire... Ce n'est pas évident d'emménager si loin !

Elle se coupa elle-même en se rendant compte que tout le monde l'écoutait. Elle baissa les yeux et tenta de faire diversion en demandant qui voulait à boire. Ayant remarqué son malaise, je n'hésitais pas à répondre illico :

— Eh bien, pour l'instant je n'ai rencontré personne, j'ai passé mon temps avec ma sœur et mes mères. Quelques voisins nous ont souhaité la bienvenue et...

Étrangement, les mots me manquaient – étais-je gêné ?
Impossible, j'avais toujours été à l'aise avec eux. Leurs regards me fixaient tous, peut-être me laissais-je trop impressionner. Sûrement était-ce le fait que je parle de mes mères au pluriel... J'avais perdu l'habitude de dire que j'avais deux mères. Pourtant mes amis le savaient depuis qu'ils me connaissaient. Je tentais de reprendre ma phrase avec un sourire malgré tout :

— J'ai une superbe et grande maison avec une forêt à côté. J'attends la rentrée pour voir de nouvelles têtes…

Je ne pus finir ma phrase. Candice alla s'asseoir à côté de moi, posant sa tête contre mon torse.

— Je suis fatiguée, tu me prêtes ton épaule ? demanda-t-elle avec son sourire irrésistible. Je passais un bras autour d'elle et le contact de mes doigts sur sa peau sembla la satisfaire. Elle leva les yeux vers moi en me disant :

— Tu as de la fièvre ou quoi ? Tu es brûlant !

Sa main froide jouait avec mes doigts. Je ne pouvais m'empêcher de rire suite à sa remarque puis de relever :

— C'est sûrement de ta faute ! Chuchotais-je.

Consciente que je la taquinais, elle me chatouilla, laissant échapper un rire. J'avais un sourire niais ce qui l'énerva gentiment. Elle resserra son étreinte – j'étais sur le point d'étouffer. Les minutes passèrent, l'un collé à l'autre, jouant avec nos mains. Aussi étrange que cela pouvait paraître, je me sentais vraiment bien à ses côtés. L'énigmatique
froideur de son corps m'inquiétait, mais je n'en fis rien. Je passais ma main dans ses cheveux noirs nuit : Ils étaient aussi doux que de la soie, impeccablement lissés. Personne ne semblait remarquer que nous étions enlacés tous les deux depuis un bon moment. Le corps de Candice se tiédît, mais il était toujours trop froid à mon goût. Je tentais de la
réchauffer, mais en vain. Notre proximité était tout à fait agréable. Candice semblait s'assoupir, ses paupières hésitaient à se fermer.

— Tu sembles perdu, souffla-t-elle, songeuse.

Surpris, je ne relevais pas. Je regardais Sheryfa et Jérémy, qui étaient très proches eux aussi – Ils se jetaient des regards très prometteurs et se souriaient sans cesse. Un lien fort les unissait, c'était plus que de l'amitié, j'en étais sûr. L'ambiance devenait plus agréable et détendue, j'observais Joe qui parlait avec John, nous regardant moi et Candice du coin de l'œil.


La réflexion de Candice me trottinait toujours dans la tête, je lui demandais ce qui l'avait amené à me dire ça. Elle hésita un instant avant de me répondre.

— Je ne sais pas... Ces choses-là se ressentent. Surtout que je te connais depuis longtemps et comme…

Mon amie ne put finir sa phrase. Un cri strident provenant de la rue traversa la pièce. Mes membres se mirent à trembler de toute leur force, me laissant sans voix. Tous les visages de mes amis pâlirent, virant au blanc. Leurs traits se raidirent, prenant un air alertant. Jérémy, Joe et Sheryfa me lancèrent des regards apeurés, ils étaient aussi paniqués que moi. Les trois autres se figèrent, avec des expressions indéchiffrables. Candice leva la tête tel un robot. Elle semblait se concentrer sur quelque chose de précis dont j'en ignorais l'existence même. Elle se tourna vers John et Amaury, sans aucune expression sur le visage. Un sentiment d'angoisse m'envahit et je tentais de me lever pour aller voir ce qu'il se passait dehors. D'un mouvement presque invisible à mes yeux, Candice me retint par le bras, m'empêchant de traverser le salon – qui était devenu trop obscur à mon goût. D'une voix mielleuse, Amaury me dit calmement :

— Ne bouge pas. Tout va bien.

Malgré l'importance des mots qu'il employait, son ton me calma et j'allais me rasseoir. Il invita Candice à le rejoindre. Celle-ci se leva sans hésiter, enjambant la table basse d'une souplesse exquise. Je pris sa main pour qu'elle reste, ce qui me glaça aussi sec. Elle me lança un sourire incertain et mon amie enchaîna une phrase inaudible à John – Amaury acquiesça. Étais-je devenu sourd aussi ?


J'avais beau les connaître par cœur, je ne les avais jamais vus dans un tel état. Qu'est-ce ça pouvait bien être ? Pourquoi ne pas courir voir ce qu'il y avait dehors ? Trop de questions se bousculaient dans ma tête et je tentais d'effacer ce cri qui me transperçait par sa cruauté. Un hurlement horrifique, semblable à aucun autre. Pourquoi même accorder une importance à ce cri ? Nous étions entre nous et aller voir ce qui se passait dehors était loin d'être une priorité. Ce n'était visiblement plus le cas.

Amaury appela John à les rejoindre, celui-ci nous dit :

— Nous allons voir ce qu'il se passe à l'extérieur, tandis que vous autres, restez avec Mathias.

Je tentais de le couper mais sa main se posa sur ma bouche. Furibond, je soupirais et m'installais plus confortablement dans le fauteuil. Je regardais mon portable : deux heures du matin. Je ne ressentais plus aucune fatigue car leurs comportements m'agaçaient. Joe alla s'asseoir à côté de moi et tenta de me réconforter tandis que les trois autres partaient dans le noir – je n'entendis même pas la porte se claquer.
Je ne pouvais pas retenir ma frustration plus longtemps :

— C'est quoi ça ? Pourquoi eux et pas nous ?

— Ne t'énerves pas, c'est toujours comme ça depuis que tu es parti, ces trois font toujours tout ensemble ! J'admets que c'est relou.

Jérémy se joignit à nous laissant Sheryfa seule dans son coin – elle bouda derechef. Il essaya de s'exprimer, visiblement sous le choc :

— Qu'est-ce que c'était ce cri ? C'était tellement... flippant !

Jérémy tremblait, terrorisé par sa propre remarque.
Je devais calmer la situation :

— Bon ok, j'avoue que c'était chelou. On se calme, tout va bien, la vie continue. Ok les gars ?

Ils me regardèrent, dubitatifs. J'étais aussi convainquant qu'un raton laveur. La température de la pièce devint
critique, je tremblais... de froid.

Alors que nous réfléchissions à la situation, une petite voix se fit entendre. Elle était hésitante et triste : c'était Sheryfa dans le fond du salon.

— Vous n'auriez pas un pull ou deux, s'il vous plaît ?

Jérémy réagit au quart de tour, alla chercher sa veste et lui proposa de s'asseoir à côté de lui.

La meilleure solution était de chercher des couvertures. Je me levais d'un seul mouvement, prêt pour monter à l'étage.

— Je viens avec toi ! m'annonça Joe de vive voix.

En allumant la lumière des escaliers, le miroir du couloir en face de nous nous fit sursauter. Il me pinça la hanche en me traitant de poule mouillée. Nous montâmes à l'étage prudemment : les marches étaient très étroites. Je manquais à plusieurs reprises de tomber. Plus nous montions, plus la température était fraîche – ce qui était surprenant en été.
Les lieux étaient étonnement sales et semblaient presque à l'abandon. La chambre de John était très isolée : ce qui nous fit rire quand nous repensions aux activités nocturnes que John pratiquait fréquemment dedans – et qu'il n'oubliait jamais de nous raconter en détails !

En poussant sa porte, je fus étonné de l'état absolument désastreux de sa chambre. Les vêtements étaient tous par terre, le lit était renversé avec des lattes cassées en deux, l'armoire était grande ouverte, gisante sur le sol, les livres étaient déchirés et les fenêtres étaient même condamnées avec de grossières planches de bois. Joe me retint :

— Ce n'est pas la chambre de John ! s'écria-t-il.

— Il faut croire que si...

Il était vrai que cela ne ressemblât en rien au John que nous connaissions : toujours propre, très soigneux et maniaque du rangement...

Joe repris, l'air dépité :

— Je ne sais pas quoi penser... Enfin ! Il s'est passé quelque chose de violent ici !

— Peut-être une de ses nombreuses copines qui s'est rebellée parce qu'elle a découvert qu'il la trompait !

Ma remarque nous fit rire mais ce n'était pas vraiment le moment. Joe se baissa pour ramasser un caleçon, il poussa un cri de dégoût et rejeta celui-ci dans le vide. Un bruit de casse nous fit sursauter. Je vis une petite lumière jaunâtre sortir à toute vitesse de l'armoire puis se diriger vers les fenêtres en se faufilant entre les planches de bois.

— Qu'est-ce que…euh… Mathias, c'était quoi ça ?

— Je n'en sais rien moi... On aurait dit une luciole...

— Euh… T'es un peu déchiré toi !

— Tu t'es pas vu, mec !

Je riais nerveusement. Joe commençait à s'impatienter et il perdait son sang-froid. En effet, trop de choses inexplicables s'étaient déroulées. Notre état d'ébriété ne nous rendait pas vraiment service non plus.

— On prend une couette et on s'en va, me chuchota Joe.

Il se tenait à moi comme une sangsue. Je voulais me
moquer de son comportement mais actuellement, je n'étais pas mieux que lui.


Je tentais de me diriger vers son lit, en évitant les nombreux objets au sol. La grosse couette étant encombrante, je ne voyais plus où je posais les pieds. Je marchais sur un objet mou qui retint mon attention. Je ne pus m'empêcher de lancer cette peluche en forme de poisson sur Joe. Celui-ci sursauta et se retourna lentement en me lançant un regard de stupeur, il était furax. Mais ses traits le trompaient, je voyais dans son regard l'envie de me faire la peau. Je ris, ce qui l'amena à me sauter dessus et me tabasser avec une vieille peluche en forme de poulpe. Je tombais par terre sous son poids. Assis sur moi, il prit toutes les peluches et les vêtements qui lui passaient sous la main et me les écrasa au visage – Même les caleçons ! Nos rires comblaient le silence de l'étage. J'entrais dans son jeu et le renversais à nouveau. Nous roulions dans la couette, en passant quelques obstacles dans la chambre. Age mental ? Cinq ans et encore. Nous évacuâmes l'angoisse ainsi. Certes, c'était vraiment une attitude puérile mais c'était mieux que de se faire peur.


Quel plaisir de retrouver LE Joe qui me manquait depuis des mois ! Après de longues discussions sur les échecs amoureux de Joe et les miens, je m'installais dans la couette, prêt à somnoler un peu. J'avais complètement oublié Jérémy et Sheryfa en bas... Et puis zut ! La fatigue prit le dessus et Joe s'endormit le premier. La couette était confortable et la respiration profonde et régulière de Joe ne m'aidait pas à rester éveillé. Je le regardais dormir – son visage était celui d'une personne heureuse et paisible. Je me laissais emporter par le sommeil à mon tour.

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