Soupe de mots (digression en chantier)

boul2neige

Je vis dans l’urgence. Mes pas sont partout, ils résonnent sans cesse dans les rues de Paris. Ils tabassent le trottoir, écrasent le pavé, m’emmènent sculpter mon temps, comme outil le présent, comme désir l’avenir.

Un homme pressé sans le teint de soleil, blafard de travail et de volonté. La pâleur légèrement morbide de celui qui ne cédera pas ses rêves pour une sûreté moribonde.

Un homme pressé par l’angoisse de ne pas être plein. Je suis torturé par la faille, ce que j’aurais raté, ce qui ferait de moi un être bancal.

La seule citation que je n’ai jamais retenue, signée Hugo, disait : « le poète est un monde enfermé dans un homme ». Alors je dois être un monde de poètes. Mon corps se partage tellement de personnes ayant chacun leur monde profond prêt à imploser, à me dépasser, à m’engloutir pour dominer, être le suprême pour devenir l’unique. Je n’ai jamais pu les effacer, ne sachant pas lequel je suis, je ne peux que les réguler, les apaiser grâce à des ficelles glanées par l’expérience des années de terrain.

Alors je cours, plus encore, ignorant les souffles aux cœurs, pour ne pas avoir peur ni le temps de penser ou encore de panser la rancœur des chacuns qui m’empêche d’avancer.

il fait froid depuis longtemps. Et faim aussi. A tel point que j'en mange des pierres pour me caler. J'avale des soupes de mots pour me calmer, je les mâche, les fais glisser entre mes dents pour en apprécier la saveur, en retirer tout le jus. Ils me réchauffent le coeur que j'ai au ventre et surtout, ils me débordent. Parfois.

Alors je les laisses danser dans l'air au tempo de ces pas qui s'entremêlent aux autres et m'emmènent vers une hypothétique raison qui cassera les interrogations.

Et quand j’éteins la lumière, une seule question demeure.

Ceux qui comptent sur moi, ont-ils raison ?

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