SOUS LA MORT

moboci

Exploration de la mort.

SOUS LA MORT (extrait)

Je suis mort, car un américo-saoudien, intégriste, à moitié juif, à moitié taliban , à moitié bouddhiste, à moitié catholique, à moitié athée, pro arme, sioniste, antisémite et membre du Ku Klux Klan, pris de folie, suant de ses cheveux gominés avec de la gélatine de porc, s'est fait exploser dans l'intercité de 23h55, en provenance de Paris. Je n'ai pas eu le temps de sentir la douloureuse pénétration, d'une barre d'aluminium chauffée à blanc, me traversant le torse... Je ne sens plus mon corps.

La première journée d'un mort est phénoménale, d'abord, il y a un grand silence, un silence indicible, on va essayer de l'expliquer, heu ! Comment dire ? C'est comme si vous étiez au fond d'une piscine de goudron d'un noir profond et encore chaud, dans cette piscine, il n'y a pas de fond, vous essayer de remonter à la surface, mais vous avez l'impression que la surface est à des milliards d'années lumière, ce qui paraît étrange vu que la lumière ne traverse pas cette sombre masse de goudron et puis doucement, il y a un son déformé qui augmente de plus en plus, on perçoit des échos et des bribes de mots, des sauveteurs débordés trébuchants sur des fragments de corps gluants... Également des cris, des hurlements, des pleurs, des sirènes assourdissantes, et une chanson joyeuse de Claude François, surgissant, grésillante d'un ipod : « si j'avais un marteau »

Parmi, les morts se mouvant dans cet espace mortel et qui regardent leurs cadavres, au-dessus du wagon détruit, il y a un enfant d'environ, 3 ans, qui descend vers son petit corps qui semble endormi, qu'il vient juste de retrouver, il réussit à rentrer dans son corps, tout à coup, il respire, tout à coup, il s'aperçoit que toute sa famille est un amas de bouillie informe, tout à coup, sa mère et son père, bouillie hurlante, regardent l' enfant, en essayant de lui crier, de rester vivant : "Issa, mon fils, non, reste parmi les vivants" mais l'enfant puisque vivant, ne les voit pas, et les morts ça ne crient que des silences et tout à coup, un sauveteur crie : je l'ai perdu, je l'ai perdu... A l'idée, d'être malheureux, seul et orphelin, Issa quitte son corps et rejoint les morts désincarnés, il passe devant moi, souriant, un ange sans ailes... Je verse une larme ou peut-être un torrent de larmes pour honorer sa candeur et son innocence. Je regarde son petit corps tout froid, sur son visage paisible, un léger sourire, on dirait qu'il rêve.

Je suis mort, on m'attend, au cimetière. Aurais-je le temps de récupérer mon corps ? Je ne veux pas mourir, Je suis mort, Ce n'est pas juste, j'ai encore tant de choses à faire sur la terre. Il y a là, toute ma famille, j'entends encore des bribes de mots et de larmes, qui me parviennent par toujours cet insupportable écho. L'imam, lui-même, est pris d'une grande émotion. Je lui hurle aux oreilles : "pas encore, ouvre le cercueil, je suis encore vivant, en tous cas, je veux vivre" mais c'est juste, si il est dérangé par une plume d'un oiseau blanc, qui se colle sur son front en sueur, peut-être une plume d'un banal pigeon, qu'il retire d'un geste de sa main. Mais merde, impossible de soulever cette tonne de terre, pour ouvrir mon cercueil, pour respirer dans mon corps, pour essayer de revivre... Mais, mais, il n'y a que ma famille ! Pas d'amis(es) ! Zut ! Merde ! Chiote ! mais où sont ils passés ? Pour liker mes textes et mes conneries, sur facebook, ils sont toujours là, mais pour la cérémonie de ma mort ! Personne ! Enfin, je vois la grande porte au bout du tunnel, celui qui vient de me tuer flotte à côté de moi, on se regarde, physiquement, c'est un beau spécimen d'humain mais je vois sa laideur intérieure, sa beauté détruite, il fait pitié... D'autres morts nous accompagnent, ils jettent tous des crachats sur le misérable tueur. L'un d'eux cherche une corde pour le pendre, il trouve un câblé électrique arraché du wagon du train, mais il ne peut pas le saisir, car de tentatives en tentatives, sa main traverse le câble, en vain. Décidément, la peine de mort, même ici est absurde, même ici l'humain reste le même, avec ses peurs, ses folies, ses pulsions, il se croit exceptionnellement unique et précieux, sans failles, juge et bourreau, comment peut-on tuer un mort ? Même quand il était vivant, il était déjà un cadavre glacial ? Il portait en lui, le refus d'aimer. Le pardon, est un ennemi. Il est caché en nous, invisible dans une infime partie de notre adn, on le redoute, on lui barre la route, on ne veut surtout pas le rencontrer dans notre vie, sinon, que ferais t-on de son poids qui nous hante ? il ne faut surtout pas qu'il surgisse, qu'il revendique de nous ouvrir à l'amour, on doit le faire taire à tous prix... Mais qu'il ferme sa gueule, ce connard de pardon ! Laisse nous désirer nos satisfactions morbides, elles font tellement de bien. C'est notre façon d'affirmer que l'amour pour notre prochain a un prix obligatoire , celui de la vengeance . On peut le croiser au comptoir d'un café du commerce, il s'agite bruyamment pour s'imposer mais là, au bord du zinc, il y a souvent ceux qui cherchent à tordre le cou, au pardon, dans des révoltes alcooliques à faire pleurer des curés : « Moi, Monsieur, je ressortirais la guillotine dans les cours des prisons» Quel plaisir d'entendre nos muettes pensées interdites par des pull-overs rouges et des chants grégoriens, qui atténuent le chant de la rivière de la Vologne jusqu'au silence. Mais éloignons nous des montagnes des Vosges qui se partagent en écho, les flaques rouges autour du panier du guillotiné et les chants liturgiques qui nous assourdissent. L'homme s'effondre en cris de rage sur ce qui semble être sa femme : « je veux le pendre, lui peler sa peau, et doucement, le voir souffrir jusqu'à oublier qu'un jour, il avait existé » elle n'arrête pas de dire à son mari : « D'accord, d'accord, mais fais attention, tu vas salir ma robe, bon chérie, faut aller voir le contrôleur, pour lui dire que la climatisation ne fonctionne pas, on crève de chaleur dans ce wagon, la prochaine fois, on prendra l'avion » Son mari, fondant en sang et en larmes mélangées, lui répond : « Mais ma chérie, réveilles toi, ta robe est imbibée de sang et brûlée, et je ne parle pas de ton visage » Sa femme : « Justement, il faut que j'aille me faire une beauté » et dans un courant de flamme, elle se lève et s'éloigne puis elle s'approche d'un sauveteur stupéfait par l'horreur du décor digne d'un film de fin du monde et d'un réalisateur fou, en lui disant : « jeune homme, où se trouve le wagon restaurant et les toilettes ? » La femme ajoute : « mais il est sourd, ou quoi, il n'entend rien » puis elle s'en va dépitée. La folie s'empare du sauveteur, de ses deux mains, il se bouche les oreilles, il murmure des mots inconnus, des bruits de gorge, puis il s'esclaffe de rire et s'évanouit, deux de ses collègues, viennent à son secours, le soulèvent puis l'enfournent dans une ambulance.

Je souris car devant moi, il y a Issa accueilli par ses parents, aux corps épuisés d'avoir tant hurler, il rit, caressé par un halo de joie bienfaisante. Nous sommes tous devant la grande porte, tous les passagers du wagon, on fait la queue, la grande porte est toujours fermé, mon tueur est toujours à côté de moi, je me retourne vers lui et je lui pose des questions qui me tiraillent : " c'était quoi ton projet ? Tu avais une terre, un peuple à libérer, une injustice à défendre ? Tu vois, le résultat ? Tu ne ressembles plus à rien". Un cri m'interpelle : "arrêter de lui parler !" Mon tueur, me répond :"ben, je voulais vous tuer car votre bonheur me dégoûte, il sent cette puanteur qui annonce la fin du monde" Je rétorque : "tu ne peux pas dire ça, on est innocent, moi et les passagers du wagon et puis je suis certain que parmi eux, il y avait des gens qui n'étaient pas si heureux que tu penses le croire" Issa vient à mon aide, il regarde avec peine, le tueur, et lui dit d'une voix douce : "houlala, toi, tu es trop malade, ton système amoureux est paralysé, il faut soigner tes yeux, mon papa est médecin, il a plein de remède pour éliminer les vers de tes yeux, comme ça, tu verras bien clair, et on pourra jouer à compter les étoiles, je t'apprendrai à les aimer". Le tueur hausse les épaules. Je soupire :"tu sais, monsieur le dégoûté, il n'y a rien pour toi après la porte" Un cri dans la foule :" il n'y a rien pour personne après la porte, c'est juste une salle d'attente, en attendant le prochain big bang." Nous voilà, tous désœuvrée, un brouhaha augmente nos angoisses : "on va peut-être nous demander de nous déshabiller pour passer à la douche", "non, il y a quelque chose après", "Maman, je veux rentrer à la maison", "P..... ! J'ai envie de pisser", " dis, chérie, as tu bien fermer le gaz, avant de quitter la maison ?", "voilà, madame, la climatisation est rétablie"...

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