Souvenirs...

Dominique Capo

Première Partie :

C'est étrange comme la vie peux parfois vous mener dans des directions auxquelles vous n'auriez jamais songé par vous-même. Est-ce le Destin, le hasard, Dieu, qui vous guide sur tel ou tel sentier capable de bouleverser votre existence pour longtemps ? Moi-même, je n'aurai imaginé devenir écrivain si un jour de ma préadolescence, un fait anodin à première vue, ne l'avait modifiée profondément.

Car, comment aurais-je pu deviner qu'en lisant mon premier livre dont vous êtes le héros, celui-ci me mènerait au monde des jeux de rôles ; que les jeux de rôles me pousseraient à écrire des scénarios, puis de petites nouvelles. Et que, finalement, l'écriture de nouvelles, de poèmes, de textes, me conduirait à rédiger mes premiers romans ; jusqu'à ce que cet exercice devienne ma principale activité. Qu'elle devienne bien plus qu'une passion : un besoin vital, viscéral aussi essentiel que la nécessité que le besoin que nous avons de manger, de dormir, de boire.

Pourtant, paradoxalement, c'est à l'aube de ce que j'appelle « mes Années Noires » que cet événement s'est produit. A l'époque en effet, je découvrais à peine à quel point la cruauté de mes camarades envers moi pouvait atteindre des sommets. A quel point chaque jour pouvait s'avérer être un Enfer pour quelqu'un comme moi ; autant différent par mon aspect – ma tâche de naissance sur un bon tiers de la partie gauche de mon visage accompagnée de ma légère hémiplégie du coté droit de mon corps – que par ma timidité ou mon repli systématique.

Je me souviens encore qu'au début, ce n'était qu'un seul de mes camarades de classe dont j'étais la « tête de turc ». Mais, au fur et à mesure des mois et des années de collège, beaucoup d'autres se sont joint à lui. Puis, finalement, c'est de l'ensemble de mes camarades de classe dont j'ai été le « souffre-douleur ».

Je me rappelle de ces regards qu'ils me lançaient à chaque fois qu'ils avaient l'occasion de me croiser dans les couloirs du collège. Je me remémore leurs grimaces, leurs rires, leurs mots remplis de moqueries ou de dédain. Comme si j'étais une créature difforme, sans âme, qu'ils avaient le droit de malmener à leur gré, de bousculer continuellement. Je revois lorsqu'ils s'essuyaient les mains qui m'avaient malencontreusement frôlé, de peur que je sois le porteur d'une maladie incurable susceptible de les salir. Et puis, leurs termes, « mongol », « tombéééééééé » ou « capot de voiture » lié à mon nom de famille qu'ils répétaient sans cesse quand j'avais le malheur de les approcher. Ou, en classe, isolé dans mon coin afin de ne pas subir leur vindicte, lorsqu'ils s'en prenaient à mon matériel de cours qu'ils se lançaient les uns aux autres comme un ballon de basket-ball dès que le professeur avait le dos tourné. Je me remémore en particulier un jour où ils s'étaient amusé avec la trousse dans laquelle je rangeais mes stylos. Puisque nous étions au printemps, la fenêtre de classe était largement ouverte. Ils ont fini par la jeter au travers de celle-ci et elle a atterri dans la cour. L'ensemble de mes camarades de classe se sont dès lors esclaffé tandis que mon visage prenait un teint cendreux.

Je passerai rapidement sur mon isolement au moment des repas alors qu'autour de moi rires et discussions enflammées se propageaient. Je n'insisterai pas sur le nombre de fois où, revenant de la cantine, certains attendaient – une fois encore – que le professeur soit concentré sur le tableau, afin de me jeter des morceaux de camembert à la figure. Je ferai l'impasse sur les récréations, au cours desquelles ils me faisaient des croche-pieds. Je perdais alors l'équilibre et je m'écroulais lamentablement devant eux sous leurs quolibets. Ou encore, lorsqu'ils m'interdisaient de se joindre à leur groupe, sous peine de me faire insulter ou d'être physiquement harcelé.

Évidemment, aucun d'eux ne venait m'aider lorsque j'étais incapable d'accomplir des tâches que mon hémiplégie du coté droit m'empêchait de mener à bien. Au contraire, me voir peiner, en proie à la souffrance qui résultait de cet effort physique allant au-delà de mes capacités était pour eux source de moqueries et de gloussements.

Chaque jour, ils inventaient de nouveaux moyens, pour s'en prendre à moi. Je ne me souviens pas d'un jour où ils m'aient laissé en paix.

Durant toute cette période – qui a duré de la cinquième à la terminale -, je n'ai pas expliqué à mes parents le harcèlement moral et physique dont j'ai été la proie. Il faut dire que le couple que composait mon père et ma mère a commencé à se fissurer : mon père s'occupait d'Associations de Parents d'élèves au niveau local, départemental, puis régional. Ma mère s'investissait dans un club hippique local, au grand dam de mon père qui n'appréciait pas ses velléités d'indépendance ; j'y reviendrai. Cela est devenu une course infernale entre les deux, une surenchère permanente ; ce serait à celui qui aurait le dessus sur l'autre. En tout état de cause, le couple que formait mon père et ma mère a finalement explosé en 1988, puisque mes parents se sont séparé durant mon année de Seconde. Mais les dégâts causés par cette dislocation s'est étendu jusqu'en 1989, au début de ma terminale. C'est un autre aspect de ma vie d'adolescent que je relaterai plus loin.

Mes soucis de santé liés à mon hémiplégie du coté droit ont été réguliers tout le long de ces années. J'ai plusieurs fois manqué des mois entiers au collège à la suite de crises de convulsions particulièrement éprouvantes. Elles m'ont obligé à des séjours hospitaliers de quelques semaines, car à chaque fois, le coté droit de mon corps était entièrement paralysé, et je ne pouvais plus du tout l'utiliser. Et ce n'est qu'en étant sous surveillance médicale que je récupérais peu à peu la motricité de ma jambe et de mon bras droit.

De fait, mes parents, et ma mère davantage que mon père ont été plus préoccupés par mon état de santé et les nombreux différends qui les opposaient, que par les malveillances dont j'ai été victime. Je n'ai pas voulu leur faire partager les supplices que mes camarades m'infligeaient. Conscient que la situation entre mes deux parents se dégradait de jour en jour, et que ses conséquences débordait progressivement sur l'ensemble de la famille – grands-parents des deux cotés -, je n'ai pas souhaité ajouter de l'inquiétude à leurs souffrances personnelles.

Et encore, heureusement que j'ai eu un ou deux amis épisodiques au cours du début de ces « Années noires ». Les liens que j'ai bâti avec eux m'ont permis d'encaisser – au début du moins – cette déferlante de ressentiment, de violence physique et morale, à laquelle j'étais quotidiennement confrontée. Sinon, je ne pense pas que j'aurai pu tenir le coup. Je pense que les dégâts auraient été bien plus grands et désastreux qu'ils ne l'ont été. D'ailleurs, lorsque j'y songe, c'est à partir du jour où je me suis retrouvé seul face à ces harcèlements que les choses se sont véritablement et profondément dégradées. Je me suis définitivement replié sur moi-même, ayant continuellement l'impression d'être confronté à une société hostile où je n'avais pas ma place. Et, perdu, désorienté, j'ai été dès lors incapable d'exprimer ce qui m'animait autrement que par écrit.


Bref, c'est dans ce contexte assez chaotique – ou sur le point de le devenir – qu'un fait totalement inattendu s'est produit pour modifier le cours de ma destinée.

Puisque celui-ci s'est déroulé à l'aube de mes « Années noires », j'étudiais au collège ; certainement à la fin de ma cinquième ou au début de ma quatrième. J'étais déjà un grand lecteur. Aussi loin que remontent mes souvenirs d'ailleurs, les livres ont toujours appartenu à mon environnement immédiat. Je me remémore que je lisais les romans de la collection « Rouge et Or » que ma mère a lu lorsqu'elle était elle même préadolescente. J'en ai dévoré de la « Bibliothèque Verte » ou de la « Bibliothèque Rose ». Je me revois en train de parcourir avec avidité les ouvrages de la collection « Mythes et Légendes ». Déjà ! Ceux-ci ont été la première incursion de ma part dans ce domaine qui m'a très tôt fasciné. Ensuite, lors d'anniversaires ou de Noëls, voyant que ce sujet m'intéressait particulièrement, des membres de ma famille m'ont régulièrement offert d'autres titres plus fouillés et plus conséquents sur ce thème. Comme quoi, quand j'y songe, mes études ultérieures à la Bibliothèque Nationale sur les racines des Mythes et des Légendes du monde entier, remontent très loin dans mon passé. Car je devais avoir douze ou treize ans. Et mes études approfondies dans ce Temple du Savoir sur leurs liens avec l'émergence et la propagation de la Civilisation et de la Connaissance Humaine ne sont pas anodines.

J'ai encore en mémoire l'un des premiers récits d'aventure que j'ai lu à l'age de huit ou neuf ans. Il s'agissait des « Trois Mousquetaires ». Et encore avant, le me revois en train de feuilleter le magazine « J'aime lire » et les aventures de « Tom-Tom et Nana », le « Journal de Mickey », le « Journal de Tintin », le « Journal de Spirou » ou « Pif Gadget ». Pour ce dernier, ce sont les « aventures de Rahan » qui m'ont passionné ; à tel point qu'il y a quelques années, lorsque ces dernières ont été rééditées dans leur totalité en format de luxe sur 24 tomes, je les ai achetées ; et je les ai redévorées avec grand plaisir. Mais, comme je lisais déjà beaucoup, les publications de mon age que mes parents avaient à disposition sont peu à peu arrivés à épuisement. D'autres se seraient approvisionnés à la Bibliothèque Municipale – cela viendra plus tard et grâce à un nouveau coup de pouce du Destin ou du hasard.

Or, dans ma famille, nous aimons garder auprès de nous les objets auxquels nous tenons. Nous les accumulons donc, quelle que soit leur origine ou leur fonction ; et les livres – en ce qui me concerne mais pas seulement – plus que tout autre. Car, parfois, j'aime m'attarder devant les rayonnages de bibliothèque où ils sont entreposés. J'aime les caresser du bout de mes doigts, les tenir dans ma main, les feuilleter avec ferveur et tendresse. J'aime me souvenir de l'immense plaisir qu'ils m'ont procuré lorsque je les ai dévoré. J'aime me remémorer les heures formidables que j'ai passé en leur compagnie jusqu'au cœur de la nuit. Et, comme de vieux amis que je redécouvre après des années d'absence, il m'arrive d'en relire un certain nombre avec autant de d'exaltation que la première fois où je m'y suis plongé. J'avoue qu'hier comme aujourd'hui, je préférerai me séparer d'ustensiles de cuisine, de mobilier, de tableaux, pour pouvoir garder l'ensemble des livres que j'ai lu depuis ma plus tendre enfance. Ils me sont bien plus précieux que des bijoux d'or et d'argent, que des diamants, que des vêtements ou des voitures de luxe. Mais, bon, chacun a ses priorités.

  • C'est un beau récit de souvenirs malheureusement fort désagréables qui ont façonné votre personnalité. Alors si je peux apporter ne serait-ce qu'une touche d'humour en vous signalant que Pif Gadget est désormais de retour dans les kiosques. Ce qui ne peut que rendre votre nostalgie moins douloureuse.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • Merci de cette info, et bonne continuation de lecture, puisque j'éditerai de nouveaux textes, ou la suite de ceux en cours très prochainement...

      · Il y a presque 9 ans ·
      4

      Dominique Capo

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