Stage en Australie

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M'émouvoir d'un stage, est-ce bien sage?

Sydney, Sentiments contradictoires

 

“Tout enfant, j'ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires: l'horreur de la vie et l'extase de la vie”

Depuis mon arrivé sur Sydney, je ne vis rien avec mesure. Chaque expérience me laisse un gout puissant. Je passe du chaud au froid, du blanc au noir, du dégout à la passion. Je suis assujetti  à des changements d'humeur incessants, exprimant mon désarroi avec la même force que mes espérances.

L'horreur de la ferme fait place aux exubérantes manifestations de joie liées à une proposition de stage.

Ma vision cynique me renvoie au milliard de dollars amassé par Zuckerberg à mon âge, et moi je sautille pour un stage.

Ma vision  réaliste  me dit que rien n'est facile, qu'il faut saisir sa chance peu importe les moyens.

Ma vision rêveuse me renvoie l'image d'un mec qui 6 mois plus tard, se sera fait si bien voir qu'il cumulera déjà responsabilité et dollars.

Je suis tiraillé comme toujours.

Ici, je pourrais chanter ma douleur et pleurer mon bonheur.

On me propose donc un stage dans un agence de relations publiques. Non rémunéré. Je bosses de 9 à 17h trois jours par semaines. Ca me laisse le temps de pouvoir bosser au restau pour gagner ma vie.

Stage – Restau : jamais je n'aurai penser vivre ainsi après deux ans d'expériences concluantes en entreprise. Mais remettre les mains dans le cambouis n'est pas pour me déplaire, tant qu'il y a de la vie.

Lundi – Mercredi - Vendredi c'est jours du seigneur. Je suis gracié par les Dieu à travailler a titre gracieux. Mais travailler en entreprise n'est pas pour me déplaire, tant qu'il y a de la vie.

En arrivant dans les locaux de l'agence, je suis ébahit, design épuré même dans les chiottes. Personnages hauts en couleurs et fort sympathiques, je ne peux me sentir qu'à mon aise. L'ensemble est un mélange de Hypster de Newton ou Bondi, une touche d'homo assumé, un zest de fashionista talon aiguille sur talon et de geek extraverti. Du jamais vu.

 Un gars plus jeune que moi me prend en charge. Il est beau goss, souriant, affable et dragueur. Les femmes ne regardent que lui. Il m'agace déjà.

Il me présente à l'ensemble des employés et je constate fort joyeusement que je vais pouvoir parler Anglais. Pas de français en vue. On m'offre un ordi caché sous un tas de paperasse. C'est un MacBook Air qu'on me passe comme une vulgaire feuille A4. Ici rien n'est trop beau.

Je me pose derrière l'immense bureau blanc laqué que je partage avec deux bêtes de travail. Accrochés à leurs téléphones quand j'arrive, yeux rivés sur leur ordi, multipliant blagues et propositions à leurs clients. Elles ne sortent de leurs bulles que pour me lâcher un sourire en me demandant si tout va bien. «  Sure, mais vous ne voulez pas un peu d'eau ? » je demande curieusement. Je m'en vais chercher la potion magique, revient. D'un signe de la main droite elles me remercient, prennent cul sec le verre de 50cl tout en prenant soin de le vider lorsque leur interlocuteur parle. Des bêtes, je suis choqué, admiratif et inquiet. Depuis combien de temps travaillent-elles ainsi ? Leurs sourires traduisent un plaisir quand leurs cernes évoquent le pire. 30 ans, un joie d'enfant et les yeux de Jeanne Calment. Une contradiction de plus mais peut-être se fatiguent-elles simplement à être heureuse?

Warren Buffet dit qu'il faut toujours prendre des gens en exemple, pour avancer, au mieux. Je les trouve admirables alors pourquoi pas s'en inspirer.

Ce stage sera celui du travail, de la persévérance, de la séduction.

J'enchaines les heures, collés à mon Mac, créant, modifiant, finalisant des fichiers sur les couvertures Medias. J'enchaine sur la recherche de prestataires pour des évènements de la boite, sur le tri des produits dans la stock room. Rien n‘est moins attrayant, tout est excitant. Fin de journée, je cours chez moi, me change et pars au restaurant. J'aime ça, ce mouvement perpétuel, ce tourbillon de vie, ces changements d'activité, cette évolution permanente que m'offre l'insécurité de l'emploi. Ces espoirs quotidiens d'une vie meilleure où chaque jour a son ouverture, chaque heure son opportunité.

Le stage se déroule dans de parfaites conditions mais je ne suis pas le seul stagiaire. Nous sommes 5 à tourner sur la semaine et aucun de ceux que j'ai rencontré ne se fait d'illusion sur leurs chances d'être embauché. Je continue malgré tout sur le ton du parfait stagiaire pour les nuls. Travail, intégrité et ponctualité. 2 mois s'écoulent et je demande à mon jeune maitre de stage s'il y a une chance de convertir.

«  Pas en ce moment, mais tu peux continuer encore 2 mois et avec de la chance… »

Depuis que j'ai débuté ce stage, je travaille 7/7j pour une rémunération minimaliste. Je dois pouvoir faire mieux.  J'ai créé un réseau sur Sydney, je connais des gens. J'ai créé un réseau sur Linkdin, je connais des contacts.

J'ai aimé faire ce stage, mais c'est l'heure de la consécration. Avec cette angoisse insidieuse : La peur de repartir de 0.

Je remercie donc tous les salariés – amis –bosseurs avec qui j'ai travaillé. Une bouteille de bourbon pour me dire au revoir et une petite lettre chaleureuse. Je suis touché. Bonne expérience, pas concluante. Mais pourquoi toujours conclure quand on s'entend juste bien ? Le souvenir n'en est pas moins bon.

Je retourne chez moi ce soir là, avec un temps de chien. Les gouttes éclatent sur le bus comme pour me signaler d'un danger à venir. Mes oreilles frémissent et mon cœur palpite. Que va t-il se passer par la suite ?

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