Success Story de l'oeuf devenu champion du Monde
Cécile Larripa
Il n'était qu'un petit œuf ordinaire, que rien ne prédestinait à une carrière particulière. Au mieux, il pouvait espérer la cocote au foie gras. Au pire, l'œuf dur dans un Daunat.
Pourtant, le destin en a décidé autrement. Parce que ce qu'il ne savait pas, cet œuf, c'est qu'il avait été pondu pendant la Foire au Jambon de Bayonne.
Dans cette région où on aime la bonne bouffe et le jeu, la Foire au Jambon de Bayonne met à l'honneur le produit phare de la ville en organisant dégustations et compétitions en tout genre. L'une d'elle, devenue incontournable pour les bons vivants : le concours de l'omelette au jambon.
Alors fébrile, au fond du panier, notre œuf, graine de champion, se prend à rêver.
Autour de lui, les cuisiniers s'activent et installent leur réchaud en plein air. Une trentaine d'équipes s'affrontent aujourd'hui et vont devoir se partager les œufs qui patientent. Ces trente équipes sont composées des « penas » locales : sortes d'associations en charge de promouvoir la culture et le bon vivre basque.
Pour notre œuf, tout se joue là. Son avènement dépendra de la pena qui le choisira. Parce que si l'unique consigne est claire : utiliser du jambon de Bayonne dans la recette, chaque participant affiche clairement un style et une ambition différente.
Nous avons les chefs venus pour gagner, armés jusqu'aux dents de diplômes et des derniers instruments. Les chefs venus pour jouer, l'oeil coquin et la technique impertinente. Et les chefs venus pour...rigoler: avec perruque et mégaphone pour tout assaisonnement.
Au fond de son panier, notre œuf se fait tout petit pour ne pas être choisi dès les premiers instants. Pendant plusieurs heures, il observe en effet ses camarades se faire piocher les uns après les autres pour finir en omelette test. Chaque pena fait des essais sur le public en attendant la visite du jury. Car n'allez pas croire qu'il n'est question que d'œuf et de jambon. Quid d'un peu plus de brebis à l'anis étoilé ou de ciboulette ambrée, s'il vous plaît.
Pendant ces quelques heures, le vin et la sueur se mêlent dans les équipes. On met du cœur à l'ouvrage et du piment à l'omelette.
Jusqu'à ce que voilà : un larsen dans les enceintes et l'accent chantant de l'animateur résonne sur le parvis des halles. Les discussions animées s'interrompent pour entendre l'annonce : c'est l'heure de la dernière omelette. Les cuisiniers en herbe s'affairent à la mise en place…et choisissent enfin les œufs.
Notre héros serait proche de la syncope, s'il le pouvait. Le panier se vide d'un, de deux, puis de trois œufs. Il se sent moche et malaimé à voir ses collègues être choisis avant lui.
Mais enfin, le panier se dérobe sous sa coquille et il sent la main ferme et virile du cuisinier amateur qui l'a sélectionné. Désormais, il porte fièrement les couleurs de l'équipe Mozkorrak.
Une pena de jeunes trentenaires parmi lesquels des jumeaux : Max et Antho. Les frères ont réfléchi leur recette pendant plusieurs semaines avec deux acolytes : Maud et Pierre. Et s'ils ont travaillé longtemps, c'est parce qu'ils partent de loin.
« L'année dernière on s'est planté, on a mis du saumon à la place du jambon … ». Hum. Notre petit œuf a eu chaud au croupion. Reste à leur souhaiter que la honte passée se transforme en victoire cette année. Les jumeaux s'attèlent à leur préparation : Omelette au jambon-piquillos, assaisonnée d'une vinaigrette au poivron. Ils ont pris du galon.
C'est donc là que notre petit œuf devient grand plat. Dans les mains quasi-expertes des cuisiniers, il libère toute sa saveur et sa couleur dorée pour servir un jambon qu'on aime et qu'on fête ce jour-là.
Quand enfin, l'heure de la dégustation arrive, les Mozkorrak sortent leur arme secrète : l'espuma de jambon de Bayonne. On se croirait dans Top Chef. Les autres concurrents transpirent. Le jury fait des « Oooh » et des « Kaxuuuu » insondables avant de goûter...
Notre œuf atteint ainsi son zénith dans la fourchette de Christian Montauzet, organisateur du concours et incontournable producteur de jambon de Bayonne.
Une fois la dégustation terminée, les équipes rangent leur cuisine mobile. Et croyez-moi ou pas, l'ambiance est pesante. Festive, certes, mais pesante quand même. Bien que le concours ne soit qu'amateur, on sent dans les rangs une tension à peine dissimulée. Le Basque est compétiteur. Et bon vivant. Alors la bouche pleine de jambon et le verre d'Irouléguy à la main, on attend les résultats sans se laisser abattre.
Comme vous l'avez probablement deviné avec le titre de cet article, après une annonce des résultats plus anxiogène que celles du Bachelor, la pena Mozkorrak a bel et bien remporté le concours. Ainsi qu'un sublime jambon Montauzet.
Sur le mur de leur local, dorénavant, ils ont un beau diplôme -puisque le jambon a déjà été mangé. Et ils le partagent avec notre petit œuf qui s'est battu comme un champion. Du Monde.