Super-Papa

sshaia

Voici le prologue de l'histoire que j'écris actuellement. L'histoire d'un Super-Papa.

« Bonjour, papa », souffle-t-elle avec difficulté.


C'était la énième fois que je réécoutais le message qu'elle m'avait adressé quelques heures avant sa mort. Je m'accrochais inlassablement à sa voix tremblante qui flottait dans l'appartement vide et froid. Ce son me brisait le cœur, en des milliers de morceaux bien éparpillés. Je m'étais promis de ne pas flancher, mais c'était impossible, je n'étais pas aussi fort que je le croyais.

Sa respiration était saccadée et si rapide, elle était essoufflée, et j'avais conscience de l'effort qu'elle avait produit pour m'adresser ces dernières paroles. J'avais mal, l'écouter était un réel supplice, et pourtant, je demeurais incapable de faire taire le son de ma messagerie. Je ne pouvais me résoudre à oublier cette voix que jamais plus je ne réentendrais, c'est pourquoi, cela faisait désormais des heures que je faisais passer le message en boucle. Sans fin. Les yeux rivés dans le néant.


« Quand tu écouteras ce message, je ne serai probablement plus là », continua-t-elle avant de se mettre à tousser bruyamment, « mais, il fallait que je t'envoie ce message, alors j'en ai profité pendant que tu es parti prendre un café ».


Elle s'était tue pendant quelques secondes. Je me souviens, je me remémorais cette journée si triste que j'avais passée près d'elle, à l'hôpital. Je l'avais quitté pendant quelques minutes pour aller prendre un maudit café.  Qui, qui plus est, avait été affreusement amer.  Je m'en voulais terriblement, quel père digne de ce nom aurait abandonné son enfant pour un simple besoin de caféine ? Moi, je l'avais fait. J'aurai dû être près d'elle. J'aurai dû.


« J'espère que tu n'es pas trop triste, tu sais … », continua-t-elle.


En réalité, j'étais dévasté. J'étais bien averti de son état de santé, je savais qu'il ne lui restait que quelques petits mois, mais je n'avais jamais pu m'y résoudre, je ne pouvais pas la laisser partir. Elle n'avait pas eu le temps de vivre sa vie, elle n'avait jamais connu l'amour. Ni quoi que ce soit d'autre. Ce n'était qu'une enfant, et je refusais qu'on lui vole son avenir. Mais on lui avait arraché, bien malgré moi.


« Et que tu n'es pas effrayé. »


Elle était d'une maturité qui me laissait toujours sans voix. Je me demandais même, parfois, si elle n'était pas plus mature que moi. J'étais bel et bien terrifié à l'idée de poursuivre seul. Sans elle. Je ne pensais pas être capable de vivre avec son absence chaque jour. C'était inconcevable, elle avait été la seule et unique personne pour laquelle je me battais chaque jour, l'unique raison qui me poussait à sortir de mon lit chaque matin, et c'était grâce à elle que je n'avais pas fini au bout d'une corde. Quelle raison me restait-il à présent, quel intérêt avais-je de continuer ainsi ?  


« J'ai peur », marmonnait-elle. 


Mes yeux s'écarquillèrent. Comment avais-je pu la laisser partir sans la rassurer, sans lui dire que tout irait au mieux. Je venais de prendre conscience de l'égoïsme que j'avais entretenu vis-à-vis d'elle, j'aurai dû lui dire que tout se passerait bien, qu'elle ne devait pas s'inquiéter. Que nous nous rejoindrions, un jour. Que je serai là pour elle. Comme tout père l'aurait fait à ma place. Mais moi, je n'avais rien dit, et je n'avais pas été près d'elle pour la tranquilliser. Je n'avais pas su quoi lui dire, bien trop aveuglé par ma propre détresse, par mes propres peurs, je n'en avais même pas aperçu les siennes. Elle ne me l'avait jamais dit, et je ne lui en avais jamais donné l'occasion. Quel père avais-je été pour elle.

Je suis dévoré par la culpabilité, cette culpabilité me brûle, violemment. C'était mon rôle de l'apaiser, d'être à ses côtés. Et au lieu de ça, je suis allé boire un café. J'ai fumé. La laissant seule.


« J'ai peur de ce qu'il y a après tu sais … j-j'ai peur d'être sans toi. Est-ce que tu crois que tu me rejoindras un jour, hein ? »


Sa voix grelottait, elle pleurait. 

J'aurais aimé pleurer à mon tour, mais j'en étais incapable. Je ne méritais pas de me laisser aller. Soudainement, je me suis vu fracasser mon poing gauche dans la vitre du salon, m'arrachant un cri de douleur par la même occasion. Mais, cette douleur, je la méritais. Je la désirais plus que tout. J'étais bien trop submergé par la colère, par le dégoût de ma personne, j'aurai dû être à sa place. J'essayais de me convaincre que je n'avais rien pu faire de plus pour elle, mais ma lâcheté me dévorait, me rongeait de l'intérieur. A tel point que je sentais mes entrailles se déchirer. 


« Je voulais te dire que tu as été le meilleur père que j'aurais pu avoir, ne sois pas triste, je t'ai... Fin du nouveau message, si vous souhaitez rappeler votre correspondant, dites « appeler » ».

Signaler ce texte