sur les eaux du Serpent
My Martin
Journal "Le Monde". Histoire & Civilisations. Été 2022
VIIIe au XIe siècle. Scandinavie. L'Âge des Vikings
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Le serpent de mer est le fils de Loki (dieu de la malice, de la discorde et des illusions) et de la géante de glace Angrboda (« celle qui apporte le chagrin »)
Le frère du loup Fenrir ("habitant des marais") et de Hel ("celle qui est cachée". La déesse du monde des morts)
Les prophéties sont funestes. Peu après sa naissance, le dieu Odin jette le serpent dans la mer qui encercle Midgard -"l'enceinte du milieu". Le monde visible des humains
Le reptile grandit ; il entoure le monde et se mord la queue. Jormungand -"collier du monde"
Le Ragnarök -la fin des temps
Pour combattre les dieux aux côtés des géants (les forces de la nature), Jormungand surgit des mers. Raz-de-marée
Jormungand affronte Thor. Le serpent pique le dieu ; Thor tue Jormungand
Neuf pas. Empoisonné par le venin du serpent, Thor succombe
L'ancien monde n'est plus ; le nouveau monde advient
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A partir du VIIIe siècle, les Scandinaves s'aventurent hors de leurs territoires
La population est en constante augmentation ; mais pas de surpeuplement
Première moitié du IXe siècle. Aux beaux jours, les Vikings partent en expédition. En hiver, ils s'en reviennent au pays
Dans un second temps, des hommes, voire des familles, partent s'établir au loin -en Angleterre, en Irlande. En quête de bonnes terres, les paysans poursuivent ailleurs leurs activités habituelles
Polygamie. Généralement le fils aîné, un seul héritier, reçoit le domaine patriarcal. Les frères sont privés de terres. Plutôt que de rester travailler à la ferme, ils prennent part aux expéditions guerrières
Les sanctions infligées pour les crimes inexpiables. Bannissement temporaire, proscription définitive. Par-delà les mers, les bannis partent refaire leur vie
L'appât du gain, l'amour de l'exploit guerrier. Les armes à la main, le Viking meurt au combat. Dans le Valhalla, il est accueilli par Odin et traité en roi
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Les riches propriétaires terriens -l'élite- entretiennent une clientèle guerrière. Ils créent, contrôlent des comptoirs commerciaux
Les marchands étrangers viennent en Scandinavie, donnent des informations
L'Occident. Ses richesses, la faiblesse de sa situation politique
Les routes maritimes des marchands, les sites qui les jalonnent -ports, villes, abbayes. Forteresses
L'Est. Pénétrer à l'intérieur du continent, pas d'entraves
Par la violence, Les chefs scandinaves vont s'emparer des richesses à la source. Ils lancent des expéditions, qu'ils mènent en personne
Au-dessus de l'élite locale, des roitelets contrôlent des régions plus ou moins vastes. Les dynasties rivales montent en puissance, tentent d'imposer leur suprématie à leurs voisins
Au cours du VIIIe siècle, l'expansion des Francs, les conquêtes de Charlemagne en Saxe païenne (787, conquête religieuse), menacent les royaumes danois
An 737. Danemark, le Danevirk. Barrer la péninsule du Jutland à sa base. Les rois font édifier un rempart de terre (30 km), renforcé de traverses de bois
Après la mort de Charlemagne (Aix-la-Chapelle, 28 janvier 814) son empire se fissure
An 834. Danemark. Les Danois attaquent le comptoir marchand de Dorestad (Pays-Bas, sur l'un des bras de l'embouchure du Rhin). Le long des côtes de la Frise, de la Flandre, les raids se succèdent
A partir du Schleswig (Jutland Sud), les côtes de la mer du Nord et de la Manche
Norvège. Plusieurs dynasties. Le nord résiste. Le sud, sous la coupe des Danois
An 860. Colonisation de l'Islande
Face à l'Atlantique Nord, cap à l'ouest, les archipels écossais et la mer d'Irlande. De là, rayonnement
Suède. Plusieurs rois. La mer Baltique, l'Est immense
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L'expansion viking est liée à des transformations sociales, économiques et politiques. Excellents marins, les Scandinaves disposent de navires rapides, maniables, robustes ; ils affrontent la haute mer, remontent les fleuves et rivières à faible tirant d'eau
Fin VIIIe et début IXe siècle. Effet de surprise, premiers succès. Les Vikings mettent à profit les faiblesses de leurs adversaires, leur désorganisation, leurs rivalités
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Peu de témoignages sur les moyens de naviguer des Vikings, leurs instruments pour se guider en mer
Les Vikings sont maîtres dans l'art du cabotage le long des côtes, dont ils se transmettent la connaissance par l'expérience
L'une des difficultés est la présence d'écueils à l'approche des côtes. Les Vikings utilisent sans doute une forme de sonde, une corde chargée d'un poids de plomb. Ou une longue perche, utile en eau peu profonde
Pour leurs raids ou expéditions, les Vikings naviguent en haute mer
Ils comptent les jours, s'aident de la position des étoiles
Lorsque le ciel est voilé, ils se fient à l'angle des vagues par rapport à l'axe du bateau. A la direction du vent. La girouette, fixée à la proue ou au sommet du mât
Plusieurs exemplaires sont conservés. Norvège, Oslo. Historik Museum. XIIe siècle. Girouette en bronze doré, au décor d'animaux fantastiques, appartenant à un bateau viking
Pas de preuve que les Vikings connaissent le compas solaire. XIe siècle. Groenland Sud, près du site d'un ancien monastère. Moitié d'un disque de bois de 7 cm de diamètre. Gravé de seize encoches et de deux courbes, percé en son centre d'un trou pour insérer une pointe (gnomon). Utilisation maritime ?
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Pour le cabotage (acheminement de marchandises sur une courte distance), un bateau léger et rapide
XIe siècle. Danemark. Skuldelev, fjord de Roskilde. Vestiges de 5 bateaux vikings
Longueur 14 mètres. Largeur 3 mètres 30. Tirant d'eau 90 cm. Voile 45 m2. 5 toletières, pour servir de point d'appui à l'aviron. 5 à 8 hommes d'équipage
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Le kaupskip. Bateau marchand
XIe siècle. Danemark. Skuldelev. Navire de charge, capable d'affronter la haute mer. Coque ventrue, plus large
Longueur 16 mètres. Largeur 4 mètres 80. Tirant d'eau 1 mètre. Voile 90 m2. 2 ou 4 avirons, pour 6 à 8 hommes d'équipage
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Le skip (navire), par opposition à la barque ou canot (sans gréement, non pontés). Un "vingt bancs". Un "trente bancs"
Le langskip (long bateau), navire de guerre, silhouette élancée
Début IXe siècle. Norvège, Vestfold. Région de Tonsberg. Tertre funéraire, fouilles archéologiques en 1904
Navire d'Oseberg. Bateau à voile. Longueur 22 mètres. Largeur 5 mètres. Mât 9 à 10 mètres. Voile 90 m2. 30 rameurs
Construit en bois de chêne vers 820. Navire relativement frêle, pour des trajets côtiers. Vers 834, est porté à terre pour servir de sépulture. Sa proue, sa poupe, ses flancs, sont ornés de superbes décors
Fin IXe siècle. Norvège Sud, Vestfold. Région de Sandefjord. Tertre funéraire, fouilles archéologiques en 1880
An 890. Bateau de Gokstad. Élégant, proue effilée. En eau peu profonde, le gouvernail peut être relevé, afin de ne subir aucun dommage. Le navire peut voguer sur les fleuves, en haute mer
Longueur 23 mètres 50. Largeur 5 mètres 20. Voile 120 m2. 32 rameurs
XIe siècle. Danemark. Skudelev
Longueur 17 mètres. Largeur 2 mètres 50. Tirant d'eau 60 cm. Voile 46 m2. 13 bancs. Équipage 30 hommes
Longueur 30 mètres. Largeur 3 mètres 80. Tirant d'eau 1 mètre. 30 bancs de nage. Équipage 65 à 70 hommes
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Le dreki ("dragon", pluriel drekar. A donné improprement "drakkar", en français), dont la tête de proue est à l'image d'un dragon
Saga islandaise. Knut le Grand, roi du Danemark, apprend qu'Olaf Tryggvason s'apprête à envahir le Jutland. Le roi possède un dreki de 60 bancs de nage
Sa flotte, aux têtes de proue lamées d'or
Son allié du moment, le jarl de Lade norvégien Hakon Sigurdsson possède un dreki de 40 bancs. Têtes de proue dorées
Les voiles des navires royaux sont rayées de bandes bleues, rouges et vertes
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Les têtes de proue ne sont pas exclusivement celles de dragons
La flotte du roi Knutr. Les poupes des navires, "les figures de métal ornées d'or et d'argent", notamment "un lion d'or, un dragon de bronze poli et un taureau furieux aux cornes dorées"
Le norvégien Porarinn Porkelsson fait voile vers l'Islande, pour s'y établir. "Une tête de taureau, à la proue" de son navire
Les figures de proue sont amovibles. Lois de l'Islande païenne. "Ôter la tête de proue avant d'arriver en vue d'un pays. Ne pas cingler vers la côte avec des gueules béantes ou des groins menaçants, au risque d'effrayer les esprits tutélaires"