Sur les télésièges

Soben

Inspiration soudaine.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours aimé les télésièges. Petit, je me reposais entre deux descentes. Je lâchais prise, et je regardais en bas. J'aimais juger du style des petit personnages que je toisais de toute ma hauteur. C'était comme un jeu de playmobile qui se jouait tout seul, là, en bas. Il y avais les mauvais, raides comme des piquets, toujours en chasse neige. Les débutants, qui faisaient de grands virages. Les tarés, comme les appelaient maman, qui descendaient tout shuss les pistes noires. Les bons, qui faisaient la même chose, mais auxquels un je ne sais quoi donnait un certain style. Et les cools, les vrais, ceux qui parlent « puff », descendent à leur rythme, mais avec une classe qui en impose. Je m'efforçais avec acharnement de leur ressembler.

Aujourd'hui, c'est sur le siège que ça se passe. C'est comme « les Anges de la télé-réalité » qui se joue là, tout près. Les gens lâchent prise, sur le télésiège. Ils s'oublient. Ou plutôt, ils m'oublient. Et je me garde bien de leur rappeler ma présence. Les familles parlent comme autour d'une table. Les amoureux se racontent leurs cochonneries à voix basse, mais pas trop. Ceux qui ne s'aiment plus, et qui ne font pas semblant, se disputent comme ils l'auraient fait à volets clos. Les potes se parlent fort, se bousculent fort, s'aiment fort. Les copines pouffent. Les enfants se taisent et regardent là, en bas, et jugent le style des petits personnages qu'ils toisent de toute leur hauteur.

Sur les télésièges on croise des clowns ratés qui font leur show, racontent des blagues à tout va, tombent souvent à plat - mais oublient vite et recommence. On croise des marrants, qui font la même chose, mais qu'un je ne sais quoi rend plus fin. Il y a les accros, qui téléphonent à leur taff ou actualise compulsivement leur timeline facebook - mais oublient vite qu'il n'y a pas de réseau, là-haut. Il y a ceux qui se la jouent prof, et donnent des conseils à leurs gosse – ceux-la même que depuis le siège on jugera mauvais. Il y a ceux qui sont prof, et qui réajustent leur coupe, replacent sur leur nez la dernière contre-façon ray ban – quand ils ne draguent pas la jolie fille que le destin (plus ou moins forcé) à placé à côté d'eux. Il y a les stressés, les parisiens, qui ne peuvent s'empêcher de prévoir leur prochaine remonté, déplient leur plan, et ne savent pas se laisser porter. Les râleurs, qui se plaignent du froid quand il fait froid, de la chaleur quand il fait doux, du monde quand il y en a et de la neige quand tout va bien. Les cools, qui parlent « puff », analysent la qualité du hors-piste en dessous, annoncent à voix haute qu'il vont le faire, mais ne le font pas. Et il y a les rêveurs, qui admirent le paysage, ferment parfois les yeux, prêtent une oreille attentive a ce qui se passe autour d'eux, lèvent la barre de sécurité toujours trop tard, mais surtout sentent le vent qui leur fouette le visage et savent l'apprécier. Depuis peu, j'essaie d'en être un.

Alors je monte seul dès que je peux. Et je ne me contente pas d'entendre, j'écoute. Et je ne me contente pas de voir, j'observe. Je laisse le froid faire trembler tout mon corps et toute ces petites aiguilles qui se plantent dans ma peau me réveiller. Et les larmes que la brise fait couler dans mes yeux, et les nuages que le siège traverse pour reparaître du côté du soleil et non de l'ombre !

Oui, même si c'est étrange, j'aime bien les télésièges.

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