Tableau vivant
Audrey Phanor
La femme sorti du tableau. Mais à mesure qu'elle s'en extirpait sa beauté devenait commune, ses couleurs éclatantes se ternissaient au contact des rayons du soleil, ses formes extravagantes s'affaissaient.
- Voyez, dit-elle à Poussin, regardez! Qu'en pensez-vous?
Le peintre abasourdi par cette apparition resta un moment sans voix.
- Que voulez-vous que je vois? Demanda-t-il enfin.
- Moi! Vous qui êtes un classique parmi les classiques. Vous qui vous efforcez de peindre avec une précision maladive la réalité. Je suis devant vous à présent, parfait modèle de vos peintures. Mais la vision fantasque de mon créateur n'est-elle pas préférable?
- Comment? Mais il n'y avait rien d'une femme sur ce tableau. Où était la beauté? Il n'y avait que des formes inexistantes. Ne vous trouvez-vous pas mieux ainsi? Contra-t-il surpris que l'on puisse préférer ressembler à de si étranges formes.
- L'art, et vous ne semblez pas le comprendre, ne se résume pas à copier parfaitement cette réalité que vous chérissez tant et que l'on voit chaque jour. L'homme est-il trop ignare pour voir la beauté de la vie sans que vous nous imposiez cet art redondant? Non! Nous voulons atteindre, connaître l'esprit du créateur qu'est le peintre. Nous questionner sur mille et une couleurs, formes, associations improbables. Nous voulons voir transparaitre ces rêves fugaces qui nous échappent et qui ne semble avoir aucun sens.
Poussin était déstabilisé par cette apparition qui bouleversait l'ordre établit de sa peinture. Mais il repris tout de même en haussant quelque peu le ton:
- Mais à la fin vous n'êtes pas réelle que savez vous de l'art? J'ai étudié les Anciens qui sont des modèles suprêmes établis, ce qui doit primer dans l'œuvre c'est l'harmonie ce que vous n'étiez pas avant de sortir de cette toile.
- Vous avez étudiez certes, mais qui mieux que l'art lui-même peut juger de ce qu'il est? Étudiez les tant que vous le voulez mais pour mieux vous en écarter après. Où irait l'art s'il ne s'éloignait pas de ce qui a déjà été créé. Vous êtes un artiste alors créez ne copiez pas.
Mais le peintre n'en démordit pas, ses idées étaient trop ancrées en lui pour qu'il ne s'en détache. La femme comprit qu'il était vint de vouloir le faire changer. Lasse de son apparence si commune elle se dirigea vers la toile pour la réintégrer. Elle la toucha. Son doigt sous l'effleurement passa au cyan et l'espace d'un instant paru se briser. Elle appliqua sa paume qui s'enfonça dans la toile vierge. Apparut alors du jaune, du bleu nuit, du rouge sang, du magenta, du vert emeraude. Sa main se décomposa en triangle, en carré. Elle avança plus encore et s'intégra complètement. Alors que son visage finissait d'intégrer la toile un sourire comme on en avait jamais vu s'épanouit sur ses lèvres et elle ne fit plus qu'un avec le tableau.
Poussin s'en approcha tourna la tête devant, s'éloignant, se rapprochant.
-Non décidément il n'y a rien.