Tais toi, rentre chez toi

petite-voix-off

Tu le savais déjà, t’étais fait comme un rat ce jour-là. Tu n’as pas piqué de sprint, tu ne te sentais pas coupable d’être là. Contrôle d’identité jeune homme ! Désolé monsieur, je n’en ai pas.

Tu les as suivis sans te faire tout petit mais ils avaient le torse plus bombé que toi. Leur routine était ta fin du monde. T’avais une vie de fantôme et le talent de laisser croire que tu t’étais habitué à ça. Mais c’était la première fois qu’on te raflait, comme si de rien n’était. T’avais pas de voix, et eux, ils parlaient de toi comme si tu n’étais pas là. Pourtant, dans ton cortège, on ne voyait que toi, encore un peu fier plus bas que terre.

Tu t’es improvisé taulard et un début de désespoir te jetais au mitard. T’étais pas le seul à avoir pour nouveau voisin la devanture bondée d’une préfecture. L’attente était ta pire cellule et nouait ton estomac à double tour. Ils demandaient de quel pays t’étais sorti, tu leur répondais que t’avais quitté un continent, et tu serrais les dents. Un instinct de survie t’avait poussé ici, en catimini. Tu t’étais fait un tout petit trou dans l’obscurité sans réclamer de place. C’était une vie de part d’ombre. Ils mettaient une ardeur à te faire partir qui te rendait malade d’être.

Au parloir, un sourire douloureux te déchirait le visage. T’avais presque déjà chopé une gueule de détenu alors que tu croyais faire bonne figure. Ils se pressaient pour te voir, faisaient la queue pour venir lire la résignation dans tes yeux. Tu glissais par la porte entrouverte des coups d’œil nerveux, articuler sous surveillance te brisait les lèvres. Tu changeais alors de langue pour ne pas la perdre.

Deux insomnies plus tard, au bout du fil, t’avais des larmes qui te tranchaient la voix. Dans le camion, les menottes froides avait glacé l’espoir que tu n’avais plus mais dont tu te souvenais vaguement. T’avais rien à faire dans cet aéroport, tu ne trouverais pas bon port. Tu rentrais au pays comme tu étais venu mais une valise en moins, bredouille, des cauchemars plein la tête. Tu t’envolais avec du plomb dans l’aile vers le pays que tu ne pouvais chérir qu’ailleurs. Le retour au bled qu’on fête avait la grande gueule de la défaite.

La vie ne tenais qu’à un bout de papier, pas à ta volonté. Pan ! Expulsé ! T’étais la balle qui fusait lorsqu'on appuyait sur la gâchette.

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