Tant qu'il y aura des étoiles pour briller

misamanson

Réalisée à l'occasion d'un concours dont le thème était "Espoir"

Nous attendions toujours avec impatience ces nuits d'automne sans nuages, quand les étoiles sont les plus brillantes. Nous escaladions la colline et nous allongions dans l'herbe fraiche, enroulées dans des plaids moelleux. Les cheveux éparts, le sourire aux lèvres, nous nous extasions devant l'infini qui nous faisait face. Marion disait souvent que les étoiles guidaient les âmes à leur repos. Elles étaient un chemin pour que toutes se retrouvent et qu'aucun esprit ne se perde et erre à la recherche des siens. Tant qu'elles brilleraient, il n'y avait aucune raison de craindre pour son salut. Une nuit, elle ajouta que les astres que nous aimions tant naissaient des âmes en paix, heureuses de voir leurs proches continuer à avancer. Je l'écoutais divaguer, tout en sachant qu'elle essayait de me rassurer.

Une semaine avant cette fameuse nuit, elle s'était réveillée complètement déshydratée dans des draps trempés de sueur. Elle avait rejeté toute l'eau qu'elle avait avalée. Une heure plus tard, elle avait été admise aux urgences.

J'appris son hospitalisation le lendemain et accourus à son chevet. Elle était alitée, minuscule sous les draps. Je ne pourrais jamais oublier la pâleur de sa peau. Je m'assis à ses côtés et pris ses mains brûlantes dans les miennes.

« -Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
-Si je savais...
-Tu as eu des examens ? Des résultats ? Les médecins, ils ne t'ont rien dit ?
-Rien encore. Ils ont pensé à une infection fulgurante encore inconnue. Un virus, ou une bactérie. Ils ne savent pas.
-Quand est-ce que tu sors ? »

Elle se tut et évita mon regard. Un lourd silence s'installa entre nous. Quoi dire, comment réagir quand votre meilleure amie vous annonce...ça ! Je restai interdite jusqu'à ce qu'une infirmière vienne annoncer la fin des visites et le besoin de repos de ma camarde. Choquée, énervée, révoltée par ce qui arrivait, je m'en allais sans un mot. Elle n'essaya pas de me retenir. Sur la route, les mêmes questions et pensées revenaient en boucle. Pourquoi elle ? C'était comme si mon, notre monde s'écroulait dans l'indifférence la plus totale. Voilà...Tout était fini, balayé par cette annonce, remis au placard. Tout ce que nous avions vécu ensemble, notre amitié, nos coups de gueule, nos confidences, tout allait disparaitre avec elle. J'avais beau essayer de penser à autre chose, je ne pouvais m'empêcher de ressasser ces malheureuses idées. De retour chez moi, je m'effondrai en larmes. J'allais perdre celle avec qui j'avais passé toute mon enfance, celle avec qui je pensais poursuivre mes études, celle qui aurait été ma demoiselle d'honneur à mon mariage... Nos projets, nos rêves, effacés !

            Combien de temps avais-je pleuré ? Toute la nuit, sans doute, si je devais croire le reflet ingrat que me renvoyait le miroir. Je croisai son regard puis secouai la tête.

« Tu es ridicule. Qu'est-ce que tu fais ici, à te lamenter, alors qu'elle t'attend à l'hôpital ? Elle a plus besoin de toi que jamais, alors bouge-toi ! »

Ce fut la boule au ventre que j'entrai pour la deuxième fois dans la chambre de Marion. Elle m'accueillit d'un sourire et tendit les bras vers moi. Un tube courait le long de son biceps pour venir se planter dans son coude. Mon cœur se pinça à cette vision mais je tentai de ne rien laisser transparaitre. Je la serrai contre moi et embrassai ses joues, comme d'habitude. Nous restâmes muettes un moment. Je n'osais pas la questionner sur les médecins et leurs diagnostics. Je ne voulais pas en parler quand bien même il le faudrait, tôt ou tard. Marion décida que le plus tôt serait le mieux.

« -Ils sont pessimistes, mais je pense que tu l'avais deviné. »

Je ne répondis que par un hochement de tête. Sa petite bouche en cœur se tordit sur le côté tandis qu'elle se mettait sur les genoux pour me surplomber et poser sa joue contre le sommet de ma tête.

« -Je ne veux pas que tu sois triste, quand ça arrivera. On ne peut pas l'éviter, alors ça ne sert à rien de se lamenter. J'aimerais que mon départ soit festif.
-Festif ? », rétorquais-je, les sourcils froncés, sans comprendre ce qu'elle voulait dire par là.
« -Oui, je veux que les gens se réjouissent que je rejoigne les étoiles. Nos étoiles. Tant qu'elles brilleront, nous n'aurons jamais à nous inquiéter. »

Elle me serra plus fort avant de s'allonger en souriant. Elle n'avait pas peur. Je l'admirais pour sa sérénité. J'aurais aimé rentrer chez moi galvanisée par son discours, trouver la force de continuer à sourire mais cette fois encore, je m'enfouis sous la couette, abattue.

            Jusqu'à cette nuit, j'allais tous les jours la voir. Elle était de plus en plus faible mais gardait son sourire et sa joie de vivre. Une seule fois je la vis mal. Elle m'expliqua qu'elle aurait aimé remonter sur la colline avant de partir. Je m'entretins avec les médecins qui, après moult arguments, acceptèrent de la laisser sortir. Pour la première fois depuis l'annonce de sa maladie, je redécouvris l'énergie d'avancer, de me battre pour quelque chose. Je retournai en courant dans la chambre de mon amie et, radieuse, lui fit part de la nouvelle.

«- Ce soir, on retourne sur la butte, rien que toutes les deux !
-Qu-quoi ? Comment ça ?
-J'ai demandé aux médecins, et ils sont d'accord. »

Un chapelet de larmes coula sur ses joues et termina sa descente sur les commissures étirées de ses lèvres. Pas un bonheur de façade comme elle affichait ses derniers jours, non. Un bonheur pur, véritable. L'image que je voulais garder d'elle, celle d'une jeune fille douce et émotive.

Nous quittâmes sa chambre en fin d'après-midi. Un bras passé autour de sa taille, je la soutenais et l'aidais à marcher. Elle avait refusé de monter dans un fauteuil roulant. Une fois au sommet, nous nous emmitouflâmes dans nos doudounes et nous nous perdîmes dans la contemplation du ciel.

« -Tu sais, les étoiles naissent quand un esprit sait que, en bas, ses amis continuent d'avancer. Il brille pour continuer à les encourager, et il observe avec bienveillance.
-Alors je me forcerai à continuer, pour que tu puisses étinceler nuit après nuit. »

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