Teenage Wasteland

manon

Micro-fiction: Chronique d'une teenager.

Le matin, qu'il soit pluvieux, ou ensoleillé, qu'il fasse froid, ou un peu plus chaud, il y a toujours ce rituel. Celui de la première clope qu'on se grille. On marmonne entre deux taffes « Rah j'ai trop pas envie d'aller en cours ». Généralement, on arrive à la bourre. En tout cas, moi, toujours. Ça cultive cette image pitoyable de l'ado jeune trash et rebelle. Au lycée, on a toujours besoin de s'affirmer. De donner une image claire de soi. Quelqu'un de bizarre, d'étrange, c'est vraiment pas pertinent. Il faut pouvoir être classée, pour qu'on se souvienne de ta tronche. Et quand on se souvient de ta tronche, t'es fière. Le lycée, ça t'apprend la vie dans une micro-communauté. Les classes sociales, les castes, les militants et les engagés, ceux qui marchent et ceux qui s'en foutent. Moi je marche et je m'en fout. Je sais que je pourrais mourir sans qu'un dixième du lycée ne s'en aperçoive. A ce stade de la journée, à ce stade de ma pensée, j'arrive à la fin de ma clope. Je fume des roulées, c'est cheap et ça a un côté revendicateur. Les blondes, ce sont des clopes de bourges. Aujourd'hui, comme tous les jours, je regarde mes cernes dans la porte coulissante automatique à l'entrée du lycée. Je suis insomniaque.

Je crois qu'on est le 7 octobre 2008. Je rentre dans le premier hall. L'aquarium comme on l'appelle. Je crois que je ne suis pas la seule à avoir rêvé de fumer là dedans. Puis la cour. Il fait froid, et je discerne une masse sombre. Tout le monde est dehors. J'entends crier d'euphorie une bande de pétasses à côté de moi. Assemblée générale. J'écoute parler les pseudo-militants. Quelle bande d'abrutis. J'ai encore envie d'une clope. Je ne les écoute plus. Mon attention est fixée ailleurs. Je réalise que notre matinée de cours saute. Okay. Je veux ressortir, et mon CPE me barre la route. Comme si j'allais passer 4h à les écouter parler. Je m'en branle de leurs revendications. Je suis inutile, y compris quand on parle de politique. Je mets mes écouteurs. « Big Calm », Morcheeba. Maintenant je ne vois que leur lèvres bouger. Comme si ils crachaient de l'air. De l'air éphémère, qui ne touche personne, qui ne bluffe personne. Ils ont l'air tellement banals.

Je me réchauffe les mains en les frottant. Finalement, je réussis à m'écarter de la foule et à entrer dans le hall. Devant le lycée, il n'y a plus personne. Je sors, m'assoies contre un mur, commence à rouler. Dans le froid, c'est dur. J'ai encore du mal à reprendre mes esprits depuis la soirée de Samedi. J'ai passé la soirée à m'enfiler des alcools forts purs. Peu importe le goût, du moment que ça monte vite. J'avais choppé de l'afghan, et on m'a payé un spliff de beuh. Je ne sais pas trop d'où elle venait. Mais c'était de la bonne. Le mélange alcool et fumette je le digère mal. J'ai fini la soirée accoudée au balcon à vomir mes tripes sur la terrasse du voisins du dessous. Encore une fois, je suis passée pour la larve de la soirée. Première sonnerie. J'émerge. Déjà une heure que je suis là. Mon esprit fonctionne au ralentit. Je rentre. Toujours du monde, mais la moitié de la cour s'est vidée. Julien, le terminal adulé par toutes les petites secondes, celui qui gère nos mouvements lycéens est en train de parler. Je baisse le son de mon iPod. Désir de casser socialement l'éducation. Je ne cherche même pas à comprendre. Julien, il joue au super héros. Par exemple, là, il est appuyé de manière nonchalante contre un mur, le micro à la main. Les gens ne l'écoutent pas pour ce qu'il dit, les gens l'écoutent parce que c'est Julien. Il était là samedi. Il a essayé de coucher avec moi, mais j'étais trop morte ne serait-ce que pour avoir l'idée de faire quoi que ce soit. Tout le monde dit qu'il est gentil. Julien est un con, mal dans sa peau, qui est en pleine crise d'adolescence. Julien il a juste sa belle gueule pour rattraper le reste.

Une main se pose sur mon épaule. Grégoire. Cheveux longs, blonds, la face qui bourgeonne. Il se prend pour un hippie, arbore un t-shirt de l'album Sgt. Peppers's Lonely Hearts Club Band. Grégoire il est plus con que Julien, et en plus il n'a pas son aisance. Il approche sa joue pour que je lui fasse la bise. Je le repousse en lâchant un «c'est pas le moment ». Il reste là. Moi je pars. Je m'en branle de lui, des autres. Il est dans ma classe en art plastique. Les art pla', on se prend pour des artistes, alors qu'on gribouille juste des petites crottes de couleurs. Plus c'est abstrait, plus la note est élevée. Ça fait artiste incompris. On aime ça. Je ressors du lycée une dernière fois, en regardant Julien jouir de sa puissance affective et émotionnelle, Grégoire, qui fait semblant d'être entouré, en se dirigeant vers un autre groupe de personnes. Et la bande de pétasse, mouiller leurs culottes en gloussant « Julien il est beau, Julien il est trop beau ». Je m'en branle. Je sors. Je marche. Il fait froid, je prends mon portable, tape péniblement un texto. « Tu fais quoi aujourd'hui? ». Au final je me ravise. Je voulais l'envoyer à Adrien. Adrien il squatte ma tête depuis un moment. Adrien c'est un peu mon idéal masculin. On se retrouve sur pas mal de points. Mais au final, il s'en fout de moi. Comme les autres. Je referme le slide. En glissant ma main dans ma poche, je sens un petit truc. Je le sors. De quoi me faire un stick. Je m'assoies sur un banc, commence à rouler. J'allume, j'avance. Je pense à Adrien. Je vois ses cheveux, sa bouche, son corps. J'essaye de l'imaginer nu, je n'y arrive pas. J'ai beaucoup de retenu avec lui, je suis précieuse quand j'y pense. Il faut que je traverse pour aller à l'arrêt de bus. Là un camion, arrive. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis jetée dessous. A ce moment là, dans ma tête, j'ai vu Julien, en train de pleurer, parce qu'au fond il est seul. J'ai vu Grégoire, se tailler les veines parce qu'il n'aime pas ce qu'il est. J'ai vu la bande de pétasses rigoler de moi. J'ai vu Adrien, en train de coucher avec une fille. Et puis je n'ai plus rien vu. Je crois qu'ils sont tous aussi malheureux que moi. Je crois qu'on est tous aussi vides, aussi insipides. Je crois que je suis morte. Ça ne m'a rien fait de plus que de vivre.

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