Tempête pour un crâne

Valentin Buzaré

Sur les rives de l'immense mer intérieure d'Unaryon, Gyll, un jeune garçon, se lance dans une course-poursuite désespérée pour sauver sa famille disparue.


1.Un navire dans la brume



Les événements qui se déroulèrent à Faraldel en cette nuit particulière demeureront longtemps source de spéculations ; et ceci, bien après que le dernier des protagonistes de cette histoire ne soit lui-même parti sous d'autres cieux. Non que ce qui s'y produisit ait présenté quelque signe inhabituel à proprement parler : des massacres bien plus horribles et vicieux furent perpétrés sur Unaryon avant ou après cette tragique soirée. Mais comme lors de toute suite d'événements particulièrement remarquables, l'instant précis où la normalité bascule dans l'extraordinaire marque bien plus les esprits qu'un seul de ces événements pris au cas par cas.

L'on peut évidemment se demander ce qui se serait passé si les habitants de cette petite bourgade du sud de la Mer Intérieure avaient pu être prévenus du sort qui les attendait. Malheureusement, la réponse à cette question demeure invariablement tragique, car rien ni personne n'aurait pu être en mesure de changer le cours de l'histoire. Tout s'était déroulé trop vite, sans aucun signe avant-coureur. En vérité, ils étaient condamnés depuis longtemps. Depuis que Finnbar et Alyseoh Bolstrey avaient décidé de s'installer parmi eux, dix-sept ans auparavant.

Peu de gens à cette époque auraient pu imaginer que cet homme d'apparence si honnête et sa femme, alors enceinte jusqu'aux yeux, puissent provoquer une telle destruction des années plus tard. En vérité, les premiers intéressés eux-mêmes n'auraient jamais pu soupçonner un instant que les ombres de leur passé puissent les rattraper à cet endroit. Jamais ils n'auraient choisi de mettre en péril la vie d'autant d'innocents de la sorte.


La soirée avait débuté comme n'importe quelle autre, sans que personne n'ait pu déceler dans les augures de la nature un quelconque signe avant-coureur. Les oiseaux n'avaient pas suspendu leurs chants, la mer avait été calme, tandis que les deux soleils d'Unaryon se dissolvaient à l'horizon de la même manière que la veille.

Les Faraldiens avaient cédé à la torpeur d'une après-midi baignée par une douce brise de mer. Le souffle léger du vent faisait danser les drapeaux de l'entrée du port et les badauds s'arrêtaient sur la jetée pour profiter des ultimes lueurs du jour. Les quelques gardes en poste sur les débarcadères ne remarquèrent rien d'anormal lorsque les dernières barques s'empressèrent de regagner les quais.

Pourtant, lorsque l'on commença à enflammer les torches, une brume inquiétante se leva sur l'eau et s'insinua dans les ruelles et les allées de Faraldel, glaçant les os et recouvrant toute lumière. Les badauds se hâtèrent de rentrer chez eux, laissant aux préposés à l'allumage des lampadaires, le soin de lutter contre les ténèbres grandissantes.


Personne n'eut ainsi l'occasion d'apercevoir la forme sombre et menaçante d'un navire soudain sorti du néant se mouvoirvers eux. Sa coque, d'un bois noir et putride, chevauchait la brume et se rapprochait inexorablement de la côte. Pour autant, nul membre d'équipage, pas même une simple silhouette n'était visible sur son pont. Alors qu'il s'arrêtait à une courte distance de la rive, le mugissement d'une corne retentit à son bord, tel un funeste présage. Sans autre sommation, une volée de flèches enflammées fendit l'air en direction des bâtiments en bois sur les quais.

Un signal d'alarme fut aussitôtdéclenché, mais il fut si étouffé et discret que nul ne put l'entendre. La brume pâle avalait les sons en se tortillant dans les ruelles et le village était à présent plongé dans un silence glacial.

Saisi par une terreur muette, plus d'un garde en faction ce soir-là sentit son cœur se gorger d'effroi. Il leur était pourtant impossible de s'enfuir pour sauver leur vie désormais : il était trop tard, la main invisible du destin était déjà sur eux.

Les mystérieux assaillants débarquèrent enfin. Ils flottaient dans l'air comme la brume. Les traits de leurs visages immondes s'étaient contractés en un rictus répugnant, la seule expression dont ils semblaient être doués et leurs yeux noirs brillaient d'un éclat féroce. Leurs silhouettes verdâtres ne paraissaient pouvoir être percées par aucune arme, car les épées passaient à travers eux comme elles auraient traversé la surface de la mer. Les rares personnes qui tentèrent de leur résister furent massacrées avec plus d'acharnement que les autres. Nul ne savait d'où étaient apparus ces êtres maléfiques ni pourquoi leur rage s'abattait sur eux, mais personne n'eut le temps de le leur demander.

Dans un mouvement de panique, les promeneurs encore présents sur la digue et dans le port s'enfuirent en direction des collines, mais les démons, bien trop nombreux, déferlèrent sur eux en quelques instants. Le but de cette attaque n'était pas le pillage ou le butin que pourrait rapporter leur raid meurtrier, mais plutôt l'extermination pure et simple de tous les Faraldiens. En quelques minutes, la ville toute entière s'embrasa et rien ni personne ne sembla en mesure d'arrêter ce déchaînement de violence. Peu furent ceux qui parvinrent à échapper au sort funeste qui leur avait été réservé.

Alors, lorsqu'elle fut entièrement dévorée par les flammes et que leur méfait maléfique parut accompli, les pirates se dirigèrent vers l'ouest et la dernière maison encore intacte aux abords du village. La maison des Bolstrey. Ce sombre cortège était là pour eux ; le reste de la population n'ayant été finalement que de malheureux dommages collatéraux.


Finn, un homme à la carrure imposante et aux cheveux courts d'un blond qui tirait à présent vers le gris, avait observé de haut les événements. Il avait tout de suite compris que les démons étaient venus pour eux. Aussitôt, il se prit la tête à deux mains, terrassé par la culpabilité d'avoir causé tant de morts évitables.

Son épouse le rejoignit peu après sur le promontoire rocheux près de leur maison. Fière et élancée, les cheveux sombres et les traits fins, tout en elle exprimait la noblesse de caractère des femmes du Nord. Tous deux avaient beau être plus âgés qu'à l'époque où ils étaient arrivés sur ces rivages, ils avaient toujours en eux la même vigueur, la même volonté qui les avait animés tout au long de leurs vies.

« Que se passe-t-il ? » Demanda Alyseoh, prenant la main de son époux.

— Nous avons été retrouvés, Aly. J'ignore comment il a fait ni pourquoi. Nous n'avons pas pu commettre de faux pas, sans quoi il nous aurait retrouvés bien plus tôt… Je pensais qu'il avait abandonné notre traque depuis longtemps, mais c'était insensé de ma part. J'aurais dû savoir que jamais il ne lâcherait notre trace.

— Que va-t-il se passer maintenant ? demanda-t-elle alors d'une voix inquiète.

Il tenta de l'enserrer dans ses bras, afin de la rassurer, mais elle s'écarta de lui :

« Comment cela est-il possible ? Nous avions pourtant pris toutes nos précautions lors de notre départ ! Jamais il n'aurait dû nous retrouver ici… »

— J'ai bien peur que toutes les explications imaginables soient superflues à présent. Nous sommes condamnés… Nous avons causé notre propre perte, ainsi que celle de tous ces gens.

Finn fixa la brume qui serpentait le long de la colline.

« Ils seront là dans quelques instants, dit-il. Que Nautile nous protège ! Aly, tu dois t'en aller. Je pourrai peut-être les retenir assez longtemps pour que tu parviennes à fuir avec Gyll.

— Où est-il ? » demanda-t-elle, inquiète.

« Il n'est pas ici, je l'avais envoyé pêcher dans la baie d'à côté cet après-midi. J'espère qu'il n'est pas rentré au moment où ils sont arrivés. »

Alyseoh parut alors hésiter :

« Je risquerais de les attirer vers lui. Tout aura été fait en vain s'il ne survit pas, dit-elle. Notre rôle s'achève ce soir et je l'accepte, mais quelqu'un doit continuer notre combat… Tout ce temps gagné. Toutes ces années, perdus au milieu de nulle part… ce n'était rien de plus qu'un sursis. Finnbar, s'il faut que nous mourions pour qu'il vive, alors je suis prête à faire ce sacrifice. Tout ce que nous avons accompli ne peut être défait maintenant. »

Son mari la prit dans ses bras et la serra contre lui. Elle ne le repoussa pas cette fois.

« Je te connais assez bien pour savoir que rien de ce que je dirai ne te fera changer d'avis, aussi je ne gaspillerai pas mon souffle », dit-il en souriant une dernière fois à son épouse.

Elle observa son mari de ses yeux étincelants, puis Finn l'embrassa. Dans une ultime bravade inutile, tous deux se postèrent en travers du chemin, prêts à affronter la mort qui ne tarderait pas à percer la brume et la fumée.


Leur fils Gyll, n'aurait pourtant pas dû être une telle source d'inquiétude. Ainsi que Finn l'avait présagé, celui-ci se trouvait encore pour quelques instants dans la crique à l'est de Faraldel, attrapant ses derniers poissons de la journée.

Gyll Bolstrey était un jeune garçon de presque dix-sept ans déjà presque aussi grand que son père. Bien qu'il ne fût pas particulièrement costaud, sa vivacité d'esprit lui permettaitde compenser ce qu'il ne parvenait à réaliser par la force. Plutôt timide et solitaire, les personnes qui le connaissaient bien le décrivaient à raison comme un être calme et réservé.

À des lieues de toute cette fureur, il se retrouvait toutefois en proie à un étrange phénomène : les poissons se jetaient littéralement dans le filet qu'il laissait traîner derrière sa petite barque. Il n'avait aucune idée de ce qui se passait et s'en moquait bien tant que ses prises continuaient à affluer.

Il mettait ce comportement singulier de la faune aquatique sur le compte de quelque prédateur marin plus ou moins proche de lui, ce même si la mer avait été d'un calme assez inhabituel ce soir.

Le jeune homme savait également que l'Edil Lemma — la Mer Intérieure en langue ancienne, pouvait receler bien des secrets. De fait, il n'excluait pas d'être le témoin privilégié d'un de ces phénomènes inexpliqués, ce même si la magie avait disparu depuis fort longtemps.

Tandis que sa barque croulait sous le poids de sa pêche, il mit le cap sur de Faraldel. La soirée avait été bonne et il estimait que son travail ici était terminé.

Lorsqu'il dépassa enfin la colline, il se retourna presque malgré lui, et vit un grand navire sombre, sans voiles, apparaître sans un bruit devant ses yeux. Des algues couvraient sa coque d'un bois noir, presque putréfié. L'immense vaisseau paraissait drapé d'une étrange brume marine qui l'accompagnait, se mouvant en un halo inquiétant à sa suite. Gyll le regarda s'avancer dans sa direction, comme s'il ne se souciait pas des obstacles placés sur sa route. Le bateau mystérieux manqua de le faire chavirer, puis disparut dans la nuit aussi soudainement qu'il était apparu.

Le jeune homme se retourna alors vers la côte et prit à ce moment-là toute la mesure de la tragédie. Il eut du mal à en croire ses yeux tant tout lui avait semblé si calme jusqu'à présent. Quelque chose en lui se brisa au moment où il atteignit le rivage. Il avait toujours cru en la relative sécurité de son village. Jamais il n'aurait songé qu'une chose pareille eût pu arriver : rien ne le justifiait. La ville n'avait jamais rien eu d'autre à offrir que sa tranquillité.

S'il avait quelquefois regretté que ses parents aient habité Faraldel, cette ville où le temps semblait s'être arrêté, il n'aurait jamais pensé un jour que le monde extérieur puisse s'y inviter de cette façon. L'imaginaire de Gyll avait été nourri par les histoires et les légendes que son père lui avait racontées. Lorsqu'il avait grandi, il n'avait pu s'empêcher de déplorer l'existence monotone et ordinaire qu'il menait, lui qui rêvait de combats héroïques, de trésors enfouis et de quêtes désespérées. Il fallait parfois faire attention à ce que l'on souhaitait, et Gyll était sur le point de s'en rendre compte.


Débarquant en hâte dans le crépitement agressif des flammes qui dévoraient les bâtiments, il se mit à courir en direction de sa maison sans se soucier d'autre chose.

Aussi loin que sa vue portât, les bâtisses s'étaient consumées et avaient été réduites en cendre : l'école, la maison communale, la taverne, les entrepôts sur les quais. Tous ces lieux d'ordinaire si vivants étaient désormais en proie à un silence glacial que seul le craquettement du feu interrompait. Sur la place du marché, les draperies des étals avaient été transpercées, déchirées avec un acharnement presque démoniaque.

Même la dernière attaque des pirates menés par le terrible capitaine Razel Allwin, un siècle auparavant, n'avait pas été aussi sanglante et destructrice. De plus, les pirates évitaient de saccager Faraldel lorsqu'ils décidaient de s'y rendre. C'était mauvais pour le commerce et leur réputation, disaient-ils à qui voulait l'entendre. Ils se contentaient donc d'un court transit à la taverne et d'un tour au marché afin de fourguer les quelques biens grappillés en mer avant de repartir aussi sec.

Mais cette fois… cette fois c'était différent : il y avait eu une volonté évidente d'anéantir, de massacrer la population tout en ne laissant rien derrière qui tienne encore debout.


Les bâtiments se consumaient lentement dans l'air tiède tandis que le brouillard se dissipait et que les ombres se tortillaient aux alentours en une danse macabre. De longues colonnes sombres de fumée s'élevaient au-dessus de la ville, rendant l'atmosphère suffocante.

Des corps jonchaient les rues que Gyll empruntait, et dans toutes les directions il ne voyait que mort et destruction. Il reconnaissait parfois des visages, des dépouilles étendues. Des gens qu'il avait fréquentés et appréciés, des amis, des voisins. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu'il gravissait le chemin menant jusqu'à chez lui en courant, espérant de manière égoïste que ses parents aient pu trouver un moyen d'échapper au massacre.

Au bout d'une longue et douloureuse traversée des ruelles, Gyll aperçut enfin sa maison. Les pillards qui avaient ravagé Faraldel ne s'étaient même pas pris la peine de l'incendier. Cela le surprit : pour quelles raisons n'avait-elle pas partagé le sort des autres bâtiments de la petite ville ; ses parents avaient-ils eu le temps de s'enfuir avant que la horde furieuse n'arrive à leur domicile ?

Lorsqu'il parvint enfin devant chez lui, il cria leurs noms dans le silence étouffant. En vain. Il avait envisagé le pire en accostant, mais de se retrouver confronté à la disparition d'êtres chers de manière aussi brutale lui arracha un sanglot. S'effondrant au sol, il maudit les responsables de toute cette violence et resta un long moment ainsi, à pleurer la perte de sa famille et de son village.


Se redressant ensuite avec quelque difficulté, Gyll aperçut dans la poussière du chemin l'éclat terne de deux armes oubliées là. Ces épées, il les avait déjà vues maintes fois, accrochées au mur du cabinet de son père. Il se baissa puis empoigna l'un des sabres avant de laglisser dans sa ceinture. Le fil de la lame, usé et entaillé à de multiples endroits, témoignait d'un lointain passé glorieux, car elle n'avait pas toujours été aussi triste d'aspect. Il restait quelques petites touches de couleur disparates dans la grisaille de l'acier ; non pas de la verroterie, mais bien de véritables pierres précieuses. Jamais personne n'aurait abandonné une telle arme sans y avoir été contraint. Se pouvait-il qu'ils aient pu prendre la fuite en laissant derrière eux tout ce qui aurait pu les gêner ?

Après tout, leurs corps ne se trouvaient nulle part. Les pillards ne s'étaient pas encombrés des carcasses mutilées des villageois. Ils les avaient laissées gésir à l'endroit même de leur mort, ce n'était pas pour emporter celles des Bolstrey.

Pour autant, jamais ses parents ne se seraient enfuis, moins encore en abandonnant leurs armes derrière eux s'ils s'étaient donné la peine de les décrocher. Elles auraient pu leur être utiles dans leur fuite.

« Non », se dit-il, refusant d'imaginer un seul instant le pire, « ils avaient dû être rattrapés vivants par les étranges assaillants. Mais dans quel but ? Pourquoi auraient-ils été épargnés ? »

Cela le rassura quelque peu : ils n'étaient probablement pas morts ; pas encore du moins. Mais une pensée en chassa une autre et il prit peu à peu conscience de l'ampleur de la catastrophe qui venait de se produire. Comme si l'image devant lui devenait de plus en plus nette à mesure qu'il s'éloignait du point qu'il avait fixé de manière si intense. L'horreur le saisit. Aucun des habitants de Faraldel n'avait mérité le sort qui leur avait été réservé. Pourquoi les dieux n'avaient-ils rien fait pour les épargner ?

Réalisant la chance qu'il avait eu de ne pas être présent lors de l'attaque, il ne put s'empêcher d'éprouver un immense sentiment de culpabilité. Pourquoi avait-il, lui, Gyll Bolstrey, échappé à la mort pendant que tant d'hommes bien plus braves et valeureux venaient eux de perdre la vie ? Peut-être les dieux avaient-ils un projet pour lui, ou peut-être son destin avait-il été déterminé à l'avance par le truchement d'un lancer de dés divin ?

C'est alors qu'il se demanda pour quelle raison son père l'avait envoyé pêcher loin de Faraldel ce soir en particulier. Avait-il été averti du risque d'une attaque imminente sur Faraldel ? Gyll refusa net de croire à cela. Si son père avait eu le moindre soupçon, il aurait prévenu le reste de la population et mis sa famille en sécurité avant d'envisager la suite des événements. Pour autant, l'autre hypothèse lui paraissait tout aussi improbable : il doutait que le dieu de la chance ait décidé d'influer sur son destin d'une manière ou d'une autre.


La religion avait toujours été une question prise très au sérieux sur une planète où les divinités n'étaient pas des entités fantasmées et abstraites, mais bien des êtres animés par les mêmes passions que celles des humains. Les dieux avaient jadis vagabondé à la surface d'Unaryon, nul ne l'ignorait. Ils avaient toutefois préféré déserter Unaryon à la fin du Premier Âge, lorsque la première Grande Guerre s'était achevée sans que l'on ne comprenne les raisons derrière cet exode. Seuls Nautile et Telluria, les dieux primordiaux avaient décidé de poursuivre leur errance dans le monde qu'ils avaient créé, afin de sauver ce qui pouvait encore l'être.


Gyll entreprit ensuite de fouiller sa maison en quête du moindre indice pouvant expliquer pourquoi elle avait été épargnée. Il eut pourtant beau chercher, il ne parvint pas à trouver le rapport entre ses parents et les pirates qui avaient ravagé la ville. Les papiers éparpillés sur le bureau de son père ne lui apprirent rien, hormis le fait que les brigands n'avaient pas pris la peine d'y pénétrer.

« Cela ne fait aucun doute », se dit-il, « si les pillards étaient venus chercher quelque chose à Faraldel, c'était eux ». Comment expliquer autrement la soudaine interruption de cette frénésie juste devant leur maison ? Ce point souleva alors deux nouvelles questions tout aussi importantes. Pourquoi eux, qu'avaient-ils de si spécial ? Finn, son père n'était rien de plus qu'un petit importateur d'alcool de Glendarie et sa mère se contentait de tenir leur foyer en ordre pendant son absence ; rien ne justifiait ce qui venait de se produire.

À présent qu'ils n'étaient plus là, qu'allait-il bien pouvoir faire ? Le jeune homme tenta de réfléchir calmement, sans succès. Il se retrouvait seul, sans attaches, sans plus aucune raison de rester ici. Il n'avait pas d'autre choix que de quitter Faraldel ; pas d'autres choix que de partir à la recherche de ses parents.

Comment allait-il pouvoir s'y prendre ? Se dirigerait-il vers Rimboro ou Terimas ; ou bien encore vers une des grandes métropoles de la Mer Intérieure dont il n'avait entrevu les noms que dans les vieilles cartes de son père ?

Ferait-il route vers le Nord, là où se trouvaient les plus vastes et majestueuses cités que l'homme ait jamais construites : Garthinas, la capitale de la Seigneurie, Belvédère, et Talinor. Allait-il se rendre Barkad à l'ouest, ou bien l'est, et Arashten ? Comment prendre la bonne décision alors qu'il n'était pas en mesure de penser clairement à cet instant ? Les questions continuaient à fuser dans sa tête.

Gyll passa rapidement dans sa propre chambre, empaqueta quelques habits de rechange ainsi que quelques affaires personnelles dans un baluchon ; des cartes maritimes principalement, mais aussi le couteau que son père lui avait offert lors de son dixième anniversaire de même qu'une boussole.

Il décida de partir le soir même : plus rien ici ne le retenait. Il fourra quelques vivres dans son sac puis sortit enfin, verrouillant la porte derrière lui. « Ridicule ! », fit-il dans un rictus, en se rendant compte que sa main tournait machinalement la clé dans la serrure. « Les seules choses de valeur de cette maison m'ont déjà été enlevées ce soir. Je pourrais tout aussi bien la laisser grande ouverte : plus rien n'a d'importance maintenant ».


La démarche lourde et le pas peu assuré, Gyll se dirigea à nouveau vers les ruines incendiées en contrebas.Le silence planait au-dessus de lui comme un charognard attendant l'agonie de sa proie, bourdonnant et agaçant. Il était difficile de croire que le lieu avait été si vivant quelques heures auparavant tandis qu'à présent, tout aux alentours marquait la mort et la destruction. Rien ici n'avait été épargné : ni les hommes, ni les bêtes, et les bâtiments moins encore.

Le feu s'était propagé avec la complicité du vent cruel et mordant. Et, dans la chaleur de la nuit, avait éventré les habitations, prenant au piège les pauvres âmes bloquées à l'intérieur. Dans les décombres, les quelques personnes qui avaient pu s'enfuir lors de l'attaque étaient revenues dans la ville et s'étaient mises en quête de leurs proches ou de leurs biens ensevelis sous les gravats.

Gyll n'avait pas prêté énormément d'attention au décor qu'il avait traversé en courant un peu plus tôt dans la soirée et découvrait à présent le théâtre des événements avec horreur. Tous ces lieux qu'il avait fréquentés, partis en fumée ; détruits en une fraction de seconde. Il se dirigea au centre de la ville d'un pas incertain, la fumée et les larmes lui brouillant la vue et ses pensées. Les arbres de la place principale avaient été arrachés un par un et la statue du régent-maire s'était effondrée, décapitée dans la fontaine. De ce lieu autrefois animé et plein de vie, ne demeurait plus que le vent du large qui s'amusait à faire claquer sans relâche les toiles des devantures en berne. Il se disputait seul contre les mouettes et le silence pour savoir qui régnerait à présent sur l'endroit.


Un petit groupe de survivants s'était rassemblé près de la taverne du port, ou du moins ce qu'il en restait. Devant l'horreur et la barbarie de la situation, il paraissait bien normal qu'ils cherchent à obtenir des réponses à leurs questions, même si aucune réponse cohérente ne pourrait jamais satisfaire leur besoin de justice.

Un homme de large stature se tenait au centre des débats et semblait posséder les explications à la majeure partie des interrogations des rescapés. Il ressemblait presque trait pour trait aux portraits que Gyll se faisait des capitaines des navires qui peuplaient les récits de marins que son père lui racontait lorsqu'il était plus jeune. Une barbe poivre et sel correctement entretenue lui mangeait la moitié de son visage buriné et rougi par les soleils d'Unaryon. Ses yeux bleus délavés brillaient d'un étrange éclat. Il n'était pas particulièrement imposant, mais possédait une fâcheuse tendance à l'embonpoint. Quant à ses habits, ils indiquaient que la fortune n'avait pas été clémente avec lui ces derniers temps. Sa redingote bleu marine était élimée aux coudes et son pantalon avait été rapiécé à plusieurs endroits. À ses côtés, un sabre étincelant pendait de son lourd ceinturon en cuir.

Quelque chose de mystérieux entourait l'arrivée de cet homme à Faraldel si tôt après cette attaque. Gyll n'aurait su dire pourquoi, mais une impérieuse nécessité le poussa à aller lui parler. Le besoin d'explications, sûrement ; à moins que ce ne fût l'espoir d'entendre quelques paroles rassurantes.


« Ouais », fit l'inconnu d'une voix rauque et profonde, répondant à la question d'un des habitants. « Pas de doute : ce sont bien eux. J'ai moi-même eu le malheur de les rencontrer il y a quelques années alors que je faisais route vers Sudine. Ils n'avaient épargné personne, j'ai…

— Je ne comprends pas, êtes-vous une espèce de fantôme dans ce cas ? » lui rétorqua l'un des hommes, et Gyll ne put savoir s'il demandait cela sérieusement ou s'il faisait exprès d'être idiot.

« Pas du tout cher ami ; si vous ne m'aviez interrompu, je vous aurais dit que j'ai réussi à me cacher dans un tonneau de harengs saurs, ce à quoi je dus la vie. Voilà bien là le seul conseil que je puis vous donner si vous rencontrez à nouveau ces démons : ayez toujours un tonneau de harengs saurs à portée de main !

Malgré son allure incongrue, il s'exprimait dans un parler correct, à la différence de tous les marins que Gyll avait pu voir transiter dans le village habituellement.

« Que s'est-il réellement passé ici ? » demanda le jeune homme. « Vous avez l'air d'en savoir beaucoup sur la question. Qui donc n'aviez-vous pas vu depuis plusieurs années ?

— Oh détrompe-toi mon gars, je ne sais pas grand-chose, loin de là », lui dit-il en souriant à travers sa barbe. « J'ignore encore ce qui a bien pu se passer ici, fiston, car pour tout te dire je viens d'arriver… »

Gyll parut déçu par la réponse, et l'inconnu s'en aperçut. Il reprit :

« En revanche, ce que je puis te dire, c'est que j'en connais les auteurs, car cette attaque porte leur marque, pas de doutes. Ils possèdent plusieurs noms le long des côtes de la Mer Intérieure, mais je ne les connais pas tous. D'où je viens, on les appelle les Mortifères… rapport au fait qu'ils n'amènent avec eux que la mort et la désolation..

— Mais pourquoi détruire Faraldel ? » poursuivit l'un des survivants. « Ils n'ont rien pris avec eux, rien emporté à bord… »

Gyll savait bien que cela n'était pas vrai, les Mortifères avaient eu une raison d'attaquer le village et contrairement à ce qu'affirmait l'homme, ils avaient bel et bien remporté quelque chose de Faraldel. Il avait pourtant beau agiter ses méninges dans tous les sens, il ne comprenait pas ce que ses parents avaient à voir avec la horde de démons.

« Nous ne sommes en guerre avec personne », se désola un autre survivant. « Pourquoi nous ? Pourquoi Faraldel ?

— Je ne puis répondre à vos questions », bredouilla le marin en hochant la tête. « Soyez heureux d'être encore en vie les gars, c'est moi qui vous le dis. Considérez cela comme un cadeau de la providence et rendez hommage à Nautile, Telluria ou n'importe lequel des dieux que vous autres vénérez par ici. Pleurez vos morts et fichez le camp, c'est la seule chose que vous puissiez faire à présent. »


Les gens s'éparpillèrent, hébétés, sous le choc de la disparition de leur monde tout entier, et déçus par les réponses évasives que le gros marin leur avait fournies.

Ce dernier reprit son chemin à son tour, furetant au milieu des décombres, se déplaçant au hasard des ruelles. Il semblait chercher à se souvenir d'une direction précise à emprunter. Gyll décida de rester près de lui afin d'en savoir un peu plus à son sujet. S'il avait débarqué à Faraldel aussi rapidement après l'attaque et s'il connaissait le nom des assaillants, c'est qu'il avait dû soupçonner leur présence dans la région.

Ce n'était pas dans ses habitudes d'insister ou de forcer la main de quiconque, mais plus rien n'était normal aujourd'hui. Il ne réfléchissait plus comme l'ancien Gyll, le jeune homme timide et réservé qu'il avait été avant ce soir. Il n'avait rien à perdre, et plus aucune apparence à conserver. Il faisait ce que la situation exigeait, rien de plus.

« Que venez-vous faire ici exactement, monsieur ? » lui demanda-t-il en lui emboîtant le pas. « Et qui êtes-vous ? »

Surpris dans ses pensées, le gros bonhomme se retourna, le visage contracté en un rictus. Il se radoucit toutefois lorsqu'il reconnut le jeune homme. « Il cache quelque chose, c'est certain », songea Gyll qui se fit un devoir de découvrir pourquoi le vieux marin se trouvait à Faraldel ce soir.

« Mon gars, tu as l'immense privilège d'avoir devant toi le fameux capitaine Yolanda », déclara l'inconnu en se rengorgeant. « Gentilhomme-explorateur, dont les exploits sont chantés de Kron jusqu'à Arashten ; dont les prouesses se comptent par milliers…

— Jamais entendu parler », avoua Gyll en toute honnêteté.

« Oui bon, ne reste pas dans le coin, gamin », répliqua sèchement le dénommé Yolanda, un peu vexé. « C'est pas un endroit pour toi.

— Mais où puis-je donc aller à présent ? Mes parents ont disparu ce soir et je n'ai pas d'autre famille.

— Ma foi, dans ce cas tu es libre de te rendre là où tu le désires ! N'importe quel endroit du monde sera plus accueillant qu'ici, pour sûr ! »

Le capitaine Yolanda se remit à marcher sans attendre Gyll, qui courait derrière lui pour rester à sa hauteur.

« Vous n'avez toujours pas répondu à ma question, monsieur », poursuivit-il, opiniâtre et bien décidé à ne pas laisser le marin vaquer à ses occupations. « Qu'est-ce qui vous amène ici aussi rapidement ? Chercheriez-vous donc à profiter de la situation et à grappiller ce que ces Mortifères n'ont pas emporté avec eux ?

— Tu crois vraiment que les misérables babioles cachées dans ces maisons en ruine m'intéressent ? » s'esclaffa Yolanda, s'arrêtant brusquement. « Non mon gars, je ne recherche aucun butin. Mais attends un peu ! Maintenant que tu es là à m'importuner et que tu refuses de t'en aller, je vais avoir besoin de ton aide.

— Mon… mon aide ? Mais pourquoi donc ? » demanda Gyll, étonné.

« J'ai besoin que tu me conduises quelque part. Vois-tu, je recherche quelque chose en effet. Une maison en particulier, et tu dois forcément savoir où elle se trouve, si tu viens du coin… »

Gyll connaissait le village comme sa poche. C'était un très petit village, ou une très grande poche. Il fut ravi de se voir offrir une occasion de rester à ses côtés.

« Très bien, je vous conduirai. Quelle maison cherchez-vous ? » demanda-t-il, curieux de découvrir quelle raison avait pu pousser le capitaine à débarquer ici.

« Celle de Finnbar et Alyseoh Bolstrey, répondit simplement le vieux marin, sais-tu où elle se trouve ?


Gyll s'arrêta un bref instant, stupéfait, une question déjà suspendue à ses lèvres. Il se ravisa pourtant, puis se remit à marcher à pas précipités derrière l'homme qui continuait à arpenter les rues désertes. Malgré la confusion et la tristesse qui brouillaient son jugement, Gyll ressentit en lui un sursaut d'espoir, comme s'il pressentait que les pénibles conclusions de ce drame allaient soudain lui être révélées.

Le fait que cet étranger soit à ce point intéressé par la maison de ses parents ne faisait qu'alimenter cet espoir ténu. Si ce Yolandaavait eu connaissance de l'intrigue qui les avait conduits à se faire enlever, cela faisait de luila seule personne au monde pouvant lui permettre de les retrouver.

« Attendez-moi, monsieur Yolanda ! Qu'est-ce que j'y gagne dans cette histoire, si je vous aide ? », lui demanda-t-il ensuite, haletant à côté de lui.

« Ma reconnaissance, et le sentiment d'avoir pu te rendre utile, répondit le bonhomme en haussant les épaules.

— Non, fit-il, catégorique. Si je vous conduis jusque chez les Bolstrey, vous devez me promettre que vous me prendrez avec vous… »

Le capitaine Yolanda se retourna alors vers lui en souriant :

« C'est beaucoup demander pour un simple service, tu ne crois pas ? fit-il. Pourquoi te prendrais-je avec moi et me chargerais-je ainsi d'un fardeau supplémentaire ?

— C'est mon tarif et je n'en changerai pas, répondit Gyll.

— Eh bien, c'est dommage, je suppose que je vais devoir me débrouiller seul dans ce cas… »

Le gros marin fit mine de tourner ses talons, mais Gyll n'avait pas attendu longtemps avant de le rattraper :

« Tant pis, c'est d'accord, fit-il, résigné. J'accepte de vous aider, mais expliquez-moi au moins ce que vous faites ici ! »

Ils se remirent tous deux en route. Peut-être arriverait-il tout de même à convaincre le capitaine de l'emmener un peu plus tard. Il ne savait pas exactement pourquoi il ne lui avait pas révélé son identité lorsque l'inconnu avait prononcé le nom de ses parents, pourtant il hésitait encore à le lui avouer. Que leur voulait-il, au juste ?


Faraldel n'était qu'un petit bourg, aussi parvinrent-ils à la porte ouest de Faraldel après quelques minutes de marche. Même si la ville n'avait rien eu à craindre de ce côté-ci, le régent-maire Breeleek avait décidé en 1329 de construire une muraille entourant Faraldel. Ce, dans le but de la protéger d'éventuelles attaques de bandits en provenance du sud, et de l'intérieur des terres. Bien sûr, elle n'avait servi à rien jusqu'à présent, sauf à endiguer l'expansion de la cité qui était restée la même qu'il y a un siècle. Seuls les bâtiments avaient changé ; de simples et frêles maisons de pêcheurs en bois ils avaient évolué en solides édifices de pierres blanches aux tuiles rouges, construites à la manière des villes côtières des Régions du Sud. L'architecture méridionale avait toujours su mettre en valeur l'aspect esthétique des habitations et Faraldel avait été un beau petit village ; une des perles de la baie d'Ardenis, même.

Les autres cités, assemblées depuis des temps immémoriaux par un traité, une alliance leur permettant d'étendre leur influence au reste du littoral méridional de la Mer Intérieure, étaient au nombre de quatre. Il y avait Gradalfur, une des places fortes du consortium des princes marchands sur la rive occidentale ; tandis qu'à quelques kilomètres en face d'elle se trouvait Terimas, la plus grande ville au sud du Tourbillon ; et bien sûr il y avait aussi Rimboro à l'intérieur de la baie, à l'ouest de Faraldel.

Ces quatre cités contrôlaient tous les échanges commerciaux avec le monde extérieur pour la partie centrale des Régions du Sud ; ce, même si l'on ne pouvait à proprement parler de royaume ou d'état. En effet, chacune de ces villes possédait son propre système de gouvernement. Pourtant leur influence et leur rayonnement s'étaient étendus bien au-delà, grâce à d'habiles manœuvres politiques et à leur alliance indéfectible au cours des siècles.

Le village ne s'était pas autant développé que ses voisines (même si ce terme n'était pas tout à fait adéquat puisque Gradalfur et Terimas étaient séparées de Faraldel par une dizaine de lieues) car les Faraldiens appréciaient bien plus le calme et la tranquillité que leurs voisins, et s'accommodaient tout à fait de la quiétude qui baignait la cité. Terimas, Gradalfur et leurs populations frôlant respectivement les cent mille et cinquante mille âmes, n'avaient jamais exercé une quelconque fascination sur les Faraldiens, trop satisfaits par la vie simple qu'ils menaient loin du tumulte du monde.

Au contraire : une certaine sorte de condescendance à l'égard des habitants de ces villes était apparue, et l'on tendait encore à les considérer comme des imbéciles trop pressés, aux existences désordonnées et vides de sens. Mais ce n'était pas mieux à Terimas où l'on prenait les Faraldiens pour des péquenauds incultes, lents et sans intérêt. Il était vrai qu'à côté de ces mégapoles, Faraldel faisait pâle figure avec ses deux mille habitants ; même Rimboro avait dépassé les dix mille âmes.


Gyll fit son possible pour suivre le capitaine Yolanda tout en refusant la vision épouvantable du carnage qui s'était joué dans les rues de Faraldel. Déjà trop d'images d'horreur s'étaient imprimées, indélébiles, inaltérables, dans son esprit ; il n'y avait pas lieu d'en faire entrer plus.

Lorsqu'ils parvinrent enfin au sommet de la butte surplombant la crique, Gyll et l'étrange bonhomme ne purent que constater à nouveau les blessures mortelles infligées au village durant l'assaut. L'homme se dirigea rapidement vers la seule bâtisse encore intacte.

« Par Nautile », murmura le bonhomme, décontenancé, « comment cela se fait-il ?

— Qu'avez-vous vu, monsieur Yolanda ?

— Comment se fait-il que cette maison ait été la seule épargnée de ce maudit village ?

— Je n'en sais rien, fit Gyll en hochant la tête. J'espérais que vous pourriez me le dire…

— Mon garçon ne laisse pas ce que je vais dire t'abuser, car ce qui s'est passé à Faraldel ce soir est une vraie tragédie. Sans aucune espèce de doute là-dessus, fit le capitaine Yolanda en ôtant son couvre-chef. Mais je suis bien plus attristé par la disparition des Bolstrey que par celle de n'importe qui d'autre. Cela dit, je ne comprends pas pourquoi les Mortifères n'ont pas pris la peine de dévaster leur maison comme ils l'ont fait avec le reste du village. »

Ses traits trahirent une certaine inquiétude et une profonde perplexité. Toutefois, il se tourna vers les traces innombrables dans la poussière de la piste et poursuivit :

« Pourtant, si l'on en croit les traces sur le sentier, les Mortifères sont bel et bien montés jusqu'ici. Auraient-ils fait demi-tour ? Peu probable. Mis en fuite ? C'est impossible… La seule explication reste qu'ils ont dû trouver ce qu'ils étaient venus chercher, qu'ils sont repartis en arrière sans se donner la peine de détruire la maison. Mais dans ce cas, ils auraient laissé les corps derrière eux… Les auraient-ils emmenés ? Dans quel but ? Les Mortifères ne sont pas connus pour leur clémence. Tout cela est décidément bien étrange, même après tout ce que j'ai pu voir dans ma vie.

— C'est aussi la conclusion à laquelle je suis arrivé. Ces Mortifères n'ont pas tué mes parents, ils les ont tout bonnement enlevés », dit Gyll, se rappelant au souvenir de l'homme qui semblait perdu en conjectures. « Mais la raison m'échappe… Je ne comprends pas pourquoi.

— Ma foi oui, c'est fort probable, répondit-il. Mais attends une minute ! Tes parents, dis-tu ? C'est bien ce que j'ai entendu ? Comment t'as dit que tu t'appelais déjà, fiston ?

— Je ne vous l'ai pas encore dit », dit Gyll en se mordant la lèvre. « Mon nom est Gyll, Gyll Bolstrey, monsieur Yolanda.

— Bolstrey, hein ? Formidable ! » s'exclama l'autre en se frottant les mains. « Mais tu aurais pu me le dire plus tôt, par Nautile ! Pardonne-moi d'avoir été si rude avec toi, je ne pouvais pas savoir…

— Peut-être me répondrez-vous plus correctement à présent : que veniez-vous faire à Faraldel ? Et d'où connaissiez-vous mes parents ? Avaient-ils quelque chose à voir avec ces Mortifères ? Comment auraient-ils pu s'attirer leurs foudres alors qu'ils ne se sont jamais aventurés hors de la ville ?

— Suis-moi mon gars », fit-il dans un geste énergique. « Je ne te promets pas de pouvoir répondre à toutes tes questions, mais je ferai de mon mieux en temps et en heure.

— Vous suivre ? Vous voulez dire que vous m'acceptez à bord ?

— À ton avis ? Allez suis-moi, il n'y a pas de temps à perdre. J'espère que la vie sur un navire ne te fait pas peur, sinon il va falloir t'y faire ! »


À ce moment précis, Gyll parut soulagé, mais guère extatique. En vérité, à l'heure actuelle il aurait suivi n'importe qui lui promettant de retrouver sa famille. Ils cheminèrent ainsi jusqu'au port ; le capitaine marchant rapidement et Gyll lui emboîtant le pas et le harcelant de questions pour lesquelles Yolanda n'eut que de courtes réponses.

Le petit port, à l'image du reste de la ville, avait été soigneusement ravagé. Les bateaux avaient tous été coulés ou incendiés lors de l'attaque et une bonne partie du quai était parti en fumée. Rares étaient les planches qui tenaient encore. Des pans entiers de mur avaient été arrachés aux bâtiments et s'écroulaient dans la mer çà et là. Ce qui restait des constructions de bois formait d'inquiétants squelettes au milieu des décombres noircis.

Bien que d'apparence assez vieux et usé par les éléments, le petit brick du capitaine Yolanda avait l'air d'avoir été fraîchement repeint. Le bastingage d'un bleu vif contrastait avec les grandes voiles ocres ornant les deux mâts, accentuant l'excentricité du propriétaire du navire. La proue représentait une sorte de femme à moitié dévêtue qui souriait, fort satisfaite d'exhiber sa poitrine généreuse à la vue de tous. Le métal dans laquelle la statue avait été sculptée était à présent tellement corrodé qu'elle paraissait entièrement rongée par une mystérieuse maladie, ce qui rajoutait à l'effet multicolore assez étrange de l'ensemble.

Malgré son allure tape-à-l'œil, le brick avait été construit pour la vitesse ; il était léger et il semblait être assez robuste pour supporter l'usage que les pirates faisaient de leurs embarcations, à savoir l'abordage et l'attaque de navires marchands beaucoup plus gros qu'eux et infiniment mieux armés.

« Bienvenue à bord de la Vierge Délurée, Gyll Bolstrey », lui dit-il d'un air solennel.

« C'est un bien grand bateau à manœuvrer pour un seul homme, fit Gyll, impressionné.

— C'est pas parce que tu vois personne en ce moment que je n'ai pas d'équipage », fit-il remarquer en riant. « Mes gars font le tour de la ville à la recherche de ce qui peut être sauvé et embarqué. Ne t'en fais pas, tu rencontreras la faune qui peuple ce navire bien assez tôt.

— Vous m'aviez pourtant dit que vous ne veniez pas piller les ruines, » dit Gyll d'une petite voix, ne voulant pas contrarier l'homme qui l'avait accueilli à son bord.

« Voyons mon gars, il faut savoir être pragmatique, toutes ces choses que les Mortifères ont laissées derrière eux peuvent encore nous servir ! Et ne va pas t'imaginer qu'on est les seuls à faire ça : tous les rescapés étaient à l'ouvrage bien avant qu'on n'arrive. »

Gyll resta silencieux, mais le capitaine l'invita à monter à bord d'un geste de la main. Prestement, il prit possession des lieux.

« Quoi qu'il en soit, j'espère que tu as pris tout ce dont tu avais besoin avant de lever le camp parce qu'on a plus de deux semaines de voyage jusqu'à notre prochaine destination.

— Et les Mortifères », demanda Gyll en frémissant, « les reverrons-nous bientôt ?

— Comment prévoir l'imprévisible ? Ils n'apparaissent que rarement, et n'avaient jamais frappé cette partie de l'Edil Lemma avant aujourd'hui. Personne n'est en mesure d'anticiper leurs agissements, sinon les événements de cette soirée n'auraient jamais eu lieu, tu me suis ? Si tu t'embarques avec moi, ce ne sera pas pour une partie de plaisir, autant que tu sois prévenu tout de suite. Mais au moins tu conserves un infime espoir de sauver tes parents et de venger la mémoire de tous ces gens. »

Gyll eut un rictus amer et regarda derrière lui :

« Ne promettez rien que vous ne pourrez tenir, monsieur Yolanda.

— Capitaine Yolanda », corrigea-t-il machinalement. « Ne t'en fais pas pour cela, je n'ai pas l'habitude de renier mes paroles. Mais j'allais oublier : j'ai quelques papiers à te faire signer, rien de bien méchant, mais ça officialisera ton embauche dans mon équipe. »


Le jeune homme n'eut pas le temps de répondre que déjà le bonhomme sortait une liasse de parchemins colorés d'une poche de l'intérieur de sa veste et les lui donnait. Gyll les parcourut silencieusement. L'un d'eux était un formulaire du C.R.A.B.E, le bureau de Contrôle et de Régulation des Activités Boucanières de l'Edil Lemma, tandis qu'un autre concernait sa prise en charge par la mutuelle des pirates. Un autre rouleau lui signifiait sa cotisation au syndicat des frères de la côte. Enfin, se trouvait là, une feuille graisseuse et jaunâtre dont le titre indiquait qu'il s'agissait de la « Chasse-Partie du fameux Capitaine Yolanda », le document réglementant la vie à bord dans ses moindres détails. Au bas de ce dernier document étaient tracés des gribouillis qui ressemblaient à des signatures.

« Celui-là, il te suffira de faire une croix au bas, et de jurer sur Nautile que tu en respecteras tous les commandements », lui dit le capitaine en tendant un bout de parchemin. « Et si tu pouvais me le rendre une fois que tu les auras mémorisés, parce que c'est le seul exemplaire que je possède.

— Alors vous êtes des pirates ? demanda Gyll.

— Si l'on veut, sourit Yolanda, en vérité nous nous voyons plus comme des gentilshommes-explorateurs. Et quelques fois, lorsque les gentilshommes-explorateurs ne trouvent plus de nourriture ou ne parviennent plus à honorer leurs dettes, il arrive qu'ils empruntent ce dont ils ont besoin aux autres navires. Pour tout te dire, nous sommes impliqués dans très peu d'actes de piraterie, très peu que l'on puisse prouver en tout cas. La raison qui m'a incité à adhérer à tout ça si tu veux vraiment tout savoir, c'est que la couverture sociale des pirates de Malacrusa est la meilleure du monde, et puis il y a Malacrusa… »

Le capitaine poussa un soupir de contentement : « Attends seulement de voir les merveilles de Malacrusa ! La plus belle ville de cette foutue planète… »


Gyll fut un peu surpris de constater que la piraterie semblait plus être une affaire de comptables, de contrôleurs et de régulation que de véritables aventuriers. Ainsi, l'existence de ces hommes libres et téméraires, ne pouvant miser que sur eux-mêmes et leur débrouillardise, n'aurait-elle été qu'un mythe ?

Effectivement, le lustre des pirates d'Unaryon avait quelque peu terni, et les légendes de bravoure et d'intrépidité à leur sujet commençaient légèrement à dater. Pour être honnête, les pirates actuels ressemblaient plus à des commerçants itinérants qu'aux antiques hors-la-loi qui avaient fondé leur empire, plusieurs siècles auparavant.

« Il existe vraiment une mutuelle pour les pirates ? » Demanda Gyll, plus pragmatique que jamais. « J'imagine que les risques d'accident à bord doivent être omniprésents, n'est-ce pas ? On a vite fait de se faire couper une jambe ou un bras par accident pendant un abordage…

— Eh bien quoi ? Qu'y a-t-il de si surprenant là-dedans ? » s'exclama le capitaine, reprenant ses esprits. « Les jambes de bois et les crochets coûtent cher ces derniers temps. Ceci dit, il n'y a rien de tel pour gagner pas mal de respect et se faire une belle réputation pour sûr ! Je me demande si je ne devrais pas perdre un membre, j'y gagnerais peut-être en statut. »

Il lança un clin d'œil en direction de Gyll qui ne put détecter s'il était sérieux ou non. Il se massa inconsciemment l'avant-bras.

« Il y a beaucoup de risques d'être amputé dans le métier ? » s'inquiéta ce dernier.

« Pas mal oui, répondit-il avec nonchalance. Mais si ça peut te rassurer, j'ai encore tout ce qu'il faut là où il faut, et aucun de mes gars a jamais eu à se faire couper quoi que ce soit ! »

Le capitaine se détourna de Gyll et se posta derrière la roue et ne prononça plus aucune parole. Celui-ci observa les flammes jouer dans l'obscurité toute relative du village. La terre guérira, pensa-t-il alors qu'il regardait autour de lui une dernière fois. Les arbres repousseront et les vagues du temps laveront le rivage. Mais les hommes ? Seront-ils capables de faire abstraction de ce qui s'est passé ici ? Pourront-ils revenir repeupler ce lieu, les chants et les rires pourront-ils faire oublier la douleur, les larmes et les morts ? Gyll avait la gorge serrée à l'idée de quitter sa terre natale, mais un sourire fébrile se dessina sur ses lèvres lorsqu'il pensa à la chance qu'il avait eue de rencontrer ce Yolanda aussi vite.


Peu de temps après, un petit groupe d'individus s'approcha du navire. Il s'agissait à n'en pas douter de l'équipage du fantasque capitaine. Il y avait là l'homme le plus énorme que Gyll ait pu voir dans sa vie, une sorte de boule surmontée d'une plus petite boule, brillante et moustachue faisant office de tête ; un autre était accoutré d'un long manteau cramoisi et d'un large chapeau cramoisi dans lequel était plantée une plume, tandis qu'une fine barbiche pendait de son menton. Derrière eux dépassait d'au moins deux têtes une montagne de muscles au visage juvénile attifé d'une crinière dorée comme le soleil.

Comparés à ces trois-là, les deux autres étaient d'aspect plutôt normal. Il y avait un gamin de l'âge de Gyll aux cheveux couleur paille et le dernier, qui conversait avec le gros moustachu, était vêtu d'une marinière et d'un foulard rouge noué sur son crâne. Le capitaine avait eu raison lorsqu'il avait affirmé que son équipage avait été épargné par les amputations forcées. Aucun des marins n'avait eu à subir la moindre blessure apparente, hormis l'original au chapeau à plume qui arborait une balafre impressionnante lui barrant la moitié du visage.

Ce ne fut que lorsque le dernier parvint sur le pont que le capitaine Yolanda remarqua des formes sombres se découper à la lumière de la lune contre l'horizon ; les autres cités avaient dû voir s'élever les flammes au loin et avaient envoyé des secours, ou au moins des éclaireurs pour déterminer ce qui se passait au fond de la baie. Invectivant son équipage, il les exhorta à apprêter le bateau pour le départ. Il était hors de question qu'on les trouve au milieu de ce chaos, sans quoi ils seraient certainement pris pour les véritables coupables et condamnés par une justice aussi expéditive que définitive.

Les marins se ruèrent donc à leurs postes et ne mirent guère de temps à préparer les voiles ocre qui se déployèrent à grand bruit comme les ailes de grands oiseaux. Gyll observa avec étonnement la montagne de muscles remonter seule l'ancre qui dégoulinait d'algues et de limon. Lorsqu'il eut enfin fini, le bateau put s'élancer dans un craquement.

Ils sortirent du port à vitesse réduite, mais à peine les voiles s'étaient-elles étendues que déjà le navire bondissait, répondant à l'appel du large. Gyll était pressé de quitter cet endroit, mais eut tout de même un pincement au cœur lorsque les collines et les habitations s'éloignèrent derrière eux. Faraldel avait été sa maison, il ne l'oublierait jamais, mais il sentait au fond de lui-même qu'à présent qu'il partait, il ne reviendrait jamais. Nul ne savait vers quelles contrées inconnues les pousseraient à présent les vents de l'Edil Lemma.

Une fois leurs manœuvres achevées, les marins semblèrent enfin remarquer la présence du nouvel arrivant. Ils se tournèrent, étonnés, vers leur capitaine qui leur fit un geste de la main signifiant grossièrement : « Pas maintenant, du danger se profile à l'horizon, nous parlerons plus tard », ou bien « Fermez-la et bossez, tas de feignants ! ». Gyll ne put détecter la nuance.


« Tu peux prendre ce bout ? » lui demanda le plus jeune des marins en tendant un cordage.

— Bien sûr, lui répondit Gyll, que veux-tu que j'en fasse ensuite ?

— Noue-la à ce machin qui dépasse ici », dit-il en désignant un point sur la rambarde.

Gyll s'exécuta, ravi d'avoir pu se rendre utile tandis que l'autre pirate enroulait la corde sur elle-même.

« Ça a servi à quoi ? », fit-il en s'imaginant avoir contribué grandement à la bonne tenue du navire.

« Oh à rien, on a juste rangé ce rouleau, sinon le capitaine risque de se prend les pieds dedans quand il se promène sur le pont. Je m'appelle Talarn, et toi ?

— Gyll, Gyll Bolstrey. Ravi de faire ta connaissance, Talarn. »

Ce dernier attrapa la main tendue de Gyll et la serra avec vigueur.

« C'est une sacrée catastrophe qui s'est abattue sur ce village », fit-il remarquer ensuite, l'air peiné. « Tu étais présent lorsque cela s'est produit ? Que s'est-il passé ? Tu as été sacrément veinard d'y échapper en tout cas, dis donc… Pourquoi Yolanda t'a-t-il engagé à bord ?

— Tant de questions », dit Gyll en souriant. « Par où dois-je commencer ? Je n'étais pas à Faraldel, non. J'ai eu de la chance, je suppose, car j'aurais pu faire partie de ce massacre si je n'étais parti pêcher dans la crique juste à côté.

— Le capitaine et les gars disent que ce sont les Mortifères qui ont fait ça, tu as pu voir à quoi ils ressemblaient ? J'ai quand même du mal à croire qu'ils soient réapparus après tout ce temps…

— Je ne savais même pas que de telles créatures pouvaient exister sur Unaryon », confirma-t-il indirectement.

« Ça c'est incroyable ! fit Talarn d'un ton excité avant de se reprendre. Je veux dire… non, ce n'est pas ce que je veux dire, excuse-moi. Mais tout ça, c'est vraiment dingue ! Depuis que j'ai été engagé à bord, le capitaine et le reste de l'équipage parlent des Mortifères comme d'une simple mission à effectuer. Mais en vérité, nous n'avions jamais réussi à avoir une preuve de leur réalité jusqu'à ce soir…

— Ouais, c'est dingue, reprit Gyll, pensif.

— Qu'est-ce que tu vas faire à présent ? » demanda Talarn d'une voix aiguë. « J'imagine que tu as dû tout perdre dans l'histoire, ta famille, ta maison…

— Plus ou moins, soupira-t-il. Mes parents ne sont pas morts dans l'attaque, ils ont été enlevés. Le capitaine a promis de m'aider à les retrouver, c'est pour cela que je suis ici.

— Enlevés ? Mais pourquoi quoi faire ? Qu'est-ce qu'ils ont de si particulier ? Pourquoi Yolanda a-t-il promis une telle chose ? hésita Talarn. Ne le prends pas mal, mais je peine à croire qu'il ait décidé de t'aider par pur altruisme. Il t'a dit quelque chose à propos de cette attaque ?

— Tu poses toujours autant de questions, Talarn ? » lui demanda Gyll en souriant. « En vérité, je n'en sais pas plus que toi. Mais j'imagine que la captivité vaut mieux que la mort, même si je n'aimerais pas être à leur place en ce moment… »

Talarn acquiesça en rougissant.

« Et toi alors, poursuivit-il, depuis quand es-tu sous les ordres de ce Yolanda ? Est-ce un bon capitaine ? Le navire me paraît immense. Ce sera ma première vraie virée en pleine mer, j'espère ne pas être catastrophique…

— Ça va faire six mois », répondit-il fièrement. « J'ai été engagé à Cytrul, où j'habitais jusqu'alors. C'est un excellent navigateur en tout cas, il a d'ailleurs acquis une petite réputation dans le sud de l'Edil Lemma apparemment : nous avons toujours été bien reçus dans les villes où nous avons jeté l'ancre. Quant au navire, en revanche ne te fais pas d'illusions : c'est une vraie catastrophe. La seule chose qui fasse encore tenir les planches, c'est la peinture. Cette barque ridicule coulera à la moindre tempête, c'est moi qui te le dis.

— Et tes parents n'ont rien dit quand ils ont appris que tu étais devenu marin ?

— Mes parents, soupira-t-il. Pour être honnête, ils l'ignorent encore…

— Comment ça ?

— À vrai dire », répondit-il d'un air qui se voulait dégagé, « nous ne nous sommes pas quittés en bons termes, si tu me suis. Ils ne savent pas où je suis parti ni ce que je fais. J'imagine qu'ils doivent me chercher, mais cela m'est égal je ne retournerai pas à Cytrul de sitôt… Mais parlons d'autre chose, si tu veux bien ? »

De toute évidence, le sujet était sensible, aussi Gyll n'insista pas.

« Tu sais pourquoi le Capitaine Yolanda vous a amené ici ? demanda-t-il alors.

— Aucune idée », répondit Talarn, tout heureux de voir la conversation dévier. « Il ne nous dit pas grand-chose de plus que ce qui nous est nécessaire. Cela dit, c'est la première fois que le village où nous nous rendons est détruit de cette façon.

— J'aurais préféré que ça se passe ailleurs », avoua Gyll.

Talarn sourit, mais demeura silencieux. Il lui tapa amicalement dans le dos, le mieux qu'il puisse faire pour tenter de réconforter cet étranger qui venait de tout perdre dans des circonstances dramatiques.

Dans quelques instants, ils dépasseraient le phare du Roc aux Phalènes. Gyll soupira, il pensa à tous ces gens qu'il avait connus et qu'il ne reverrait plus jamais. Certes, il avait toujours su qu'il ne resterait pas à Faraldel toute sa vie et qu'il aurait dû leur faire ses adieux à un moment donné. Cependant, il s'était imaginé qu'ils auraient continué à poursuivre leurs petites existences insouciantes et insignifiantes, protégés du monde extérieur par une immuabilité perpétuelle.


Les autres membres d'équipage avaient fini de s'occuper des manœuvres et s'inquiétaient à présent de l'arrivée imminente des frégates de Terimas à leur hauteur. Le capitaine tenta de les rassurer en leur disant qu'il s'arrangerait pour croiser assez loin des navires et que jamais ils ne reconnaîtraient leur bateau, mais ses marins ne partageaient pas son enthousiasme, de toute évidence. Ils s'attendaient tous à se voir passer la corde au cou, sitôt qu'ils seraient parvenus assez près d'eux.

« Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en Yolanda », lui confia Talarn à voix basse, « mais il faut avouer qu'il est bien meilleur navigateur que planificateur. »

Heureusement, les malheurs que tous prédisaient à bord ne se produisirent pas. À vrai dire, Gyll ne comprenait pas pourquoi ils étaient si anxieux. Même s'il n'avait aucune notion de navigation, la baie d'Ardenis était suffisamment large pour permettre à plusieurs bateaux de voguer sans se croiser de trop près. Il lui sembla bien qu'on les hélât depuis les autres navires, mais Yolanda se contenta de poursuivre son chemin sans plus de considérations. La chape de plomb qui s'était abattue depuis leur départ en hâte parut soudain se relever lorsqu'ils dépassèrent la dernière silhouette sombre et allongée qui enjambait les vagues au loin.

Dans quelques heures ils franchiraient l'échancrure de la baie et s'abandonneraient enfin à l'immensité de l'Edil Lemma.

Pour l'instant, l'équipage se livrait à une critique plus ou moins féroce de leur capitaine qui les y encourageait en souriant :

« À cause de vous, on a encore failli se faire pincer », grinça l'un d'eux.

« Vito dit vrai, capitaine ! reprit un autre. On avait rien de mieux à faire à cette période de l'année ? C'est pas comme si on n'avait plus un rond et qu'on vivait sur nos réserves depuis des semaines !

— Du calme les gars », leur dit Yolanda d'une voix amusée, « vous n'avez donc pas vu l'état dans lequel le village était lorsque nous sommes arrivés ? Il ne vous est pas venu à l'esprit que cette destruction pourrait être causée dans n'importe quelle cité des côtes de l'Edil ? Pourquoi pensez-vous qu'on a navigué jusqu'à Faraldel ? Pour visiter ? Peuh, demandez à notre jeune ami ce qui s'y est produit si vous ne me croyez pas ! »

Tous se retournèrent vers Gyll qui en rougit.

« Je ne peux pas vous apprendre grand-chose de plus, hésita-t-il, je n'ai pas bien vu ce qui s'est passé lors de l'attaque, car je n'y étais pas. C'est d'ailleurs ce qui m'a sauvé, à vrai dire. Tout le monde est mort ; et mes parents… »

Sa voix se fit tremblante. Il tenta de reprendre, mais les mots refusaient de sortir. Il ne voulait pas paraître faible devant ses nouveaux équipiers, aussi poursuivit-il du mieux qu'il put.

« Ce dont je puis vous parler en revanche… c'est de l'étrange navire qui flottait dans la brume alors que je revenais vers le village. Et de son équipage parfaitement invisible. Je… je ne pense pas que ce qui s'est passé à Faraldel soit l'œuvre de pirates ordinaires, c'est tout ce que je puis vous dire.

— C'est bien ce qu'il me semblait : les Mortifères », tonna le gros moustachu d'une voix blanche. « Alors comme ça on les a finalement retrouvés, Yolanda… »

Le reste de l'équipage frémit à l'évocation de ce nom, car tous connaissaient cette légende de la Mer Intérieure ; légende qu'ils auraient sans nul doute souhaité ne jamais voir prendre vie.

« Oui, Gargur, et j'espère que chacun d'entre vous s'est bien imprégné de ce qui s'est passé dans ce village, dit simplement Yolanda d'un air détaché. Parce que je vous garantis que ce genre de vision risque de faire partie de votre quotidien à présent !

— Vous ne mentiez donc pas quand vous m'avez recruté », dit le plus jeune d'entre eux. « Vous comptez réellement leur donner la chasse !

— Pourquoi t'aurais-je menti, mon petit Talarn ? Écoutez, j'ai toujours joué franc-jeu avec vous. Je ne me suis jamais caché. Les Mortifères font partie de la mission que nous accomplissons, vrai ou pas ? »

Il y eut un grognement, mais tous acquiescèrent à contrecœur.

« Mais comment avez-vous fait pour les retrouver Yolanda ? » hésita le dénommé Gargur. « J'imagine que vous saviez qu'ils seraient là à ce moment précis, n'est-ce pas ?

— Je ne pouvais évidemment prévoir ni le lieu ni l'heure d'une telle rencontre, pourtant, vous plus que quiconque, auriez dû vous douter qu'elle risquait de se produire. Je ne suis pas homme à inventer ce genre de mystifications pour le plaisir… La vérité, c'est que je suis tout aussi surpris que vous par la destruction de ce village. J'avais pour but de trouver les parents de ce jeune homme afin de les prévenir qu'un danger imminent les guettait. Inutile de dire que j'ai lamentablement échoué. Si seulement j'avais pu me douter… nous aurions fait voile vers ici avec une tout autre diligence ! Je n'ai pas compris à temps qu'il existait un péril plus grand si nous laissions agir les Mortifères à leur guise.

— Soit », rétorqua l'un des marins, mais qu'est-ce que cela a à voir avec nous, « Yolanda ? Quel est ce péril dont vous parlez ?

— Oh, mais rassure-toi Vito, cela n'a rien à voir avec toi, ni même avec Gargur ou Zameel, et encore moins avec Talarn ! Cela ne vise personne en particulier, et pourtant cela nous concerne tous : les Mortifères refont surface, et cela ne signifie qu'une chose : une guerre se prépare sur les bords de l'Edil. Une guerre qui tait son nom pour le moment, mais qui nous projettera tous dans le chaos.

— Mais alors, où allons-nous aller à présent ? » demanda Talarn à son tour.

« Ouais cap'taine, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Je ne sais pas encore. Le plus simple est de retourner à Malacrusa en passant par Karos. Là-bas, je reparlerai à mon informateur et nous déciderons de ce qu'il convient de faire. Pour l'instant, je ne peux vous en révéler beaucoup plus. »


Les marins s'éloignèrent en ronchonnant, mécontents des explications apportées par leur capitaine. Gyll resta un moment à côté de lui pour en savoir davantage :

« Que vouliez-vous dire tout à l'heure lorsque vous avez dit que vous deviez protéger mes parents ? Quel rôle jouez-vous dans cette histoire, à la fin ? »

Yolanda soupira et son visage s'assombrit légèrement.

« Soit. Je pensais bien devoir répondre à tes questions tôt ou tard, autant que ce soit fait immédiatement : nous en serons débarrassés et tout ira pour le mieux. En vérité j'ai bien connu tes parents dans ce qui me semble aujourd'hui être une autre vie. À l'époque, ils ne s'appelaient pas encore Bolstrey et vivaient à Garthinas. À vrai dire, ils n'étaient même pas mariés. C'est moi qui les ai aidés à fuir les combats entre la Rébellion et la Seigneurie, je ne sais pas si tu en as entendu parler. Je les ai aidés à se cacher pendant toutes ces années.

— Se cacher », demanda Gyll qui ne comprenait toujours pas, « mais de quoi ?

— Ton père ne t'a rien dit ? s'étonna Yolanda. Oui, je suppose qu'il l'a fait pour te protéger. Il est vrai que tant que vous étiez planqués à Faraldel il n'y avait aucune raison de te mettre au courant du danger qui planait au-dessus de vos têtes. Cela dit, j'aurais préféré ne pas être celui qui te le révélât…

— Je ne savais même pas qu'ils avaient vécu autre part qu'à Faraldel, pour être honnête. Je ne pensais pas qu'ils aient pu avoir eu une autre vie ailleurs. Pourquoi m'ont-ils caché cela ? Je ne comprends pas. »

Yolanda marqua une longue pause, cherchant ses mots, les yeux dans le vague. Il reprit :

« Tes parents ont été obligés de quitter la Seigneurie lorsque la guerre a pris fin. Ils n'avaient guère d'autre alternative que la fuite au moment où Rothrik s'empara du trône après la mort du Seigneur. J'espère que tu es au courant de cette partie de l'histoire, sinon il me serait extrêmement difficile de te la résumer en quelques phrases… »

Remarquant alors l'expression de Gyll, il soupira puis poursuivit son récit :

« Eh bien, pour faire simple, Rothrik était l'un des chefs rebelles dont le but était de renverser le Seigneur Oren IV, le grand Seigneur du nord. Oren IV était un tyran qui privait ses sujets de leurs libertés les plus essentielles et acquises depuis fort longtemps. Personne n'osait lui résister, jusqu'au jour où des hommes forts et charismatiques décidèrent enfin de se lever contre son oppression. Ils constituèrent un petit réseau clandestin destiné à saper l'autorité du Seigneur. Bien évidemment, leurs actions et leurs actes de sabotages n'eurent pas bonne presse au début, mais au fil du temps ils parvinrent à réunir autour d'eux une véritable armée souterraine. Lorsqu'ils sentirent que les vents du destin soufflaient en leur faveur, la Seigneurie fut plongée dans une guerre civile censée libérer le peuple.

« Des villes, et des régions entières se soulevèrent ensuite contre l'autorité du tyran qui décida d'assiéger la grande cité de Belvédère, le foyer de cette Rébellion. Le Seigneur imposa à ses propres citoyens un blocus drastique qui ne prit fin qu'avec sa mort. Je vais t'épargner les détails sinon nous y passerions la nuit, mais quand le Seigneur finit par être tué, tout s'arrêta et l'on crut la partie gagnée. Mais alors que tout le monde s'attendait à ce que la paix revienne dans les contrées du nord, l'abject Rothrik en profita pour révéler sa traîtrise aux yeux de ses anciens alliés. À l'aide de puissants sortilèges, il s'empara du pouvoir et pourchassa ensuite sans relâche tous ceux qui osèrent s'opposer à lui…

— Attendez une minute, fit Gyll, je croyais que la magie avait disparu de la surface de la planète. Comment a-t-il fait pour utiliser des sortilèges ?

— Nul ne le sait », dit Yolanda d'un ton triste. « Personne n'aurait pu prédire un tel revirement de situation. Nous ne pouvions pas nous douter à l'époque que nous nous étions débarrassés d'un tyran pour le remplacer par un personnage plus maléfique encore. Il semblait si loyal jusqu'alors, si dévoué envers la cause que nous servions tous…

— Mais je ne comprends pas ce que mes parents ont à voir avec lui, pourquoi les a-t-il forcés à fuir ?

— Tes parents faisaient partie de la Rébellion, mon gars, ils en étaient même des figures extrêmement importantes… À vrai dire, sans eux il n'y aurait certainement pas eu de victoire. Enfin bref, ils se sont immédiatement opposés à Rothrik dès sa prise de pouvoir. C'est pour cela qu'ils ont fini par fuir Garthinas : ils se savaient en danger et ta mère était alors enceinte de toi. Je pense qu'ils seraient restés pour combattre s'ils n'avaient préféré te garder à l'écart de tout cela…

— Dans ce cas, que viennent faire les Mortifères dans tout cela ? » demanda Gyll fiévreusement.

« Je n'en ai aucune idée pour être honnête, fit le capitaine en hochant la tête. Mais la disparition de personnes aussi illustres que tes parents ne présage rien de bon. À ma connaissance, il n'existe aucune raison pour que les Mortifères s'intéressent à eux, mais avec Rothrik tout est possible ! Il nous faut les retrouver et tout faire pour comprendre ce mystère, c'est primordial. »

Gyll se détourna du capitaine, abasourdi par ces révélations. Comment ses parents avaient-ils pu lui cacher tout cela pendant toutes ces années ? En allant se poster près de la proue, là où le navire fendait l'écume, il découvrit que le sentiment qu'il ressentait était plus proche de la colère que de la tristesse. Pourquoi ne l'avaient-ils pas mis au courant ? Pour le protéger ? Il estimait être assez grand à présent pour connaître la vérité. « Où cela les a-t-il menés », se dit-il, « sinon directement d'un péril à un autre ? »

Le jugeaient-ils si indigne de confiance, si immature qu'il ne comprendrait pas la teneur du danger qui avait plané sur eux toutes ces années ?

Il songea à ces dernières heures et à cette angoisse, à cette peur indicible de se retrouver face à l'inconnu, à l'effrayante perte de tous ses repères et se mit à réfléchir à sa situation actuelle. Avant que ces démons ne jaillissent et ne l'arrachent bien malgré eux à son petit confort, il n'aurait jamais pensé que le Flux, cette magie volatile, puisse un jour faire partie intégrante de sa vie. Comme tous les habitants d'Unaryon, il savait évidemment qu'il disparaissait de la planète tous les trois cents ans pour ressurgir peu à peu entre deux rituels. Il ignorait si le prochain était imminent, mais la présence des Mortifères à Faraldel ce soir était à n'en pas douter l'un des signes de cette subtile réapparition.


La lune, haute dans le ciel nocturne, projetait sa lumière mercurielle à la surface de l'eau. Tout cela parut si irréel pour Gyll de se retrouver sur ce navire qu'il se serait presque cru dans un rêve, dans un très mauvais rêve. La masse sombre de la côte s'éloignait derrière eux. Bientôt elle disparaîtrait totalement et il serait livré à l'immensité de la Mer Intérieure ; majestueuse, grandiose, colérique aussi, parfois. Perdu dans ses pensées, perdu au milieu de la baie, il fut rejoint par Talarn :

« Que voulait le capitaine ? demanda-t-il.

— Pas grand-chose, il voulait juste s'assurer que je faisais le bon choix en m'engageant avec lui. Une mise en garde amicale à propos des dangers de la vie à bord », mentit Gyll qui ne souhaita rien révéler du secret qui le tourmentait à un inconnu qui possédait également quelque non-dit bien enfoui.

« Oh, alors il a dû te raconter la même chose qu'à moi, j'imagine », fit Talarn en riant. « Le couplet sur les maladies, les naufrages et autres joyeusetés, il me l'a servi aussi ! Mais toutes les horreurs qu'il m'a promises restent préférables à la vie à Cytrul, quand bien même je n'ai encore jamais eu l'honneur d'en apercevoir la moindre.

— Si le capitaine a bel et bien décidé de rattraper les Mortifères, tu risques d'en voir sous peu, répondit-il.

— C'est vrai, oui. J'ignore quel est son but, mais il risque fort de nous faire tuer.

— Il n'y a qu'ainsi que nous pourrons apprendre le sort réservé à mes parents.

— Mais toi, tu sais pourquoi les Mortifères en avaient après eux ? » demanda Talarn, avec candeur. « Tu dois bien avoir une idée, pas vrai ?

La moue que fit Gyll lui indiqua clairement qu'il n'en savait rien, ou plutôt qu'il n'en dirait rien. Haussant les épaules, il vint lui aussi s'accouder au bastingage. Plusieurs minutes s'écoulèrent dans le silence relatif de la baie. La baie d'Ardenis se rétrécissait au fil des minutes et Gyll put apercevoir les premières lueurs de Terimas, à l'est. La plus grande ville du sud de l'Edil Lemma était en vue, et plus loin, l'immensité de l'Edil Lemma s'étalait devant eux dans les ténèbres environnantes.

Terimas symbolisait dans son inconscient la liberté, l'exotisme, l'aventure ; tout ce que Faraldel ne représentait pas en somme. C'était la dernière frontière, garante d'une paix relative face à l'inconnu ; au-delà se trouvait à perte de vue, l'étendue des possibilités que ce monde offrait aux hommes.

Gyll s'y était rendu avec son père, une fois, lorsqu'il était encore jeune. Il se souvint du port à la taille incomparable avec celui de Faraldel et sa forêt de mâts tremblotants sur l'eau, des hauts bâtiments de craie, serrés les uns contre les autres en un dédale immaculé ; du marché aux étals colorés, empli d'une agitation que même la chaleur sèche ou la promiscuité humide ne pouvait tempérer. Il se souvint des odeurs et des bruits qui l'avaient enveloppé dès le moment où ils avaient posé le pied à terre, pressants et enivrants, remplis de mystère et de promesses d'exotisme. Il espéra que le sort l'amènerait vers des villes aussi accueillantes maintenant qu'il quittait la baie et se livrait à la merci des courants et des vents de la Mer Intérieure.

Gyll ne put s'empêcher de se sentir le cœur plus léger que quelques heures auparavant, lorsqu'il avait cru perdre tout ce à quoi il tenait. Ses parents n'étaient pas encore morts ; il avait encore une chance de pouvoir les retrouver et se devait de la saisir. Il allait devoir faire preuve de patience et d'abnégation et surtout, apprendre au contact de ces marins dont il ne savait rien.

Apprendre à vivre en mer et à combattre, apprendre à devenir quelqu'un qu'il n'était pas et ne serait peut-être jamais. Il sentait qu'un feu s'était allumé dans son esprit, un feu qui brûlait sans répit le reste de ses préoccupations comme des fétus de paille. Plus rien ne comptait. Gyll savait à présent que sa destinée s'accomplirait sur la Mer Intérieure et qu'il devrait se laisser guider par ce capitaine à qui il devait faire confiance.

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