(temporaire) le ciel du voyageur
Beneset
Plus que quelques minutes, putain je stresse, j'te jure...
moi si je l'ai pas...
allez, ça va l'faire, c'était trop facile cette année
si je l'ai tout le monde l'a...
Ils veulent pas la fermer un peu, tous à jacasser. Tout ça pour un petit bout de papier. Le bac, une belle arnaque. On te dit que c'est le début de la vie et il n'y a qu'à voir Aurélie...
et toi, tu fais quoi une fois que tu l'as? Hein Noé? Youhou, ici...
lâches moi un peu, vous me saoulez tous...
et calmos mec, t'es stressé pour rien, tu vas l'avoir...
Mes poings aussi vont l'avoir s'il continue... Heureusement Manon nous sauve de la bagarre en disant que les résultats sont dévoilés. Et ils se jettent tous sur les panneaux, comme des vautours sur leur proie.
je l'ai! Avec mention!
Oui!!!
l'année prochaine t'y arriveras, t'inquiètes...
allez, juste huit points à rattraper, c'est dans la poche...
Je m'assieds sur le banc, seul, m'écartant. Ils me font rire tous, à croire que c'est une clé qui leur ouvrira les cieux. Dans ma poche ça vibre. Et voilà, ça commence... Félicitations mon grand/ content? / il est des nôtres / je savais que tu l'aurais / hip hip hourra! … Je le coupe et vais voir maintenant que tout le monde s'est dispersé. Je l'ai eu à 16, 74, mention TB, une bourse au mérite. Comme je m'y attendais ça ne me fit ni chaud ni froid. Une formalité comme une autre, un papier de plus. A quoi me servira-t-il?
En partant, je croise Mathilde. Elle non plus ne paraît pas fiévreuse. Un joint à la main elle me propose de l'accompagner et on s'installe sur la pelouse.
on pourrait croire qu'on est en couple...
ça me gêne pas particulièrement
c'est une demande?
Je sais pas
tu sais pas?
Non, je t'aime bien, t'es hyper mignon, t'as l'air bien foutu et t'en as autant dans le coeur que dans le crâne, bref le copain idéal mais... Mais j'ai pas envie de m'engager. On a nôtre bac mais moi je sais pas quoi en faire et j'ai envie d'être vraiment libre pour décider de mon avenir. Tu comprends?
Si je comprends, c'est la même chose pour moi...
dix huit ans que je vis sous tutelle, maintenant je veux me prendre en charge
idem pour moi, marre des routes toutes tracées. Si je les écoutais ça serait avocat
ouais, quand je les vois tous comme ça, j'ai la gerbe
ils y croient encore au pouvoir du bac...
Cette aprés midi a été vraiment géniale, sans horaire, sans planning, sans portable. Nous étions libres, entre nous. Et demain nous remettons ça, dans les gorges de la Vis, rien que tous les deux. Pour une fois que je trouve quelqu'un avec qui je suis exactement sur la même longueur d'onde. Des vacances avant mon stage chez maître Bardier. Et la voilà qui commence cette fameuse journée. Mathilde est à l'avance. Elle est vraiment magnifique dans sa petite jupe violette. Elle me prend par la main et, encouragé par ce signal je l'embrasse. Elle se laisse faire et répond à mon geste. Autour de nous tout disparaît, et même le chant des cigales s'efface un peu. Nos cœurs battent à l'unisson. J'ai trouvé l'âme sœur. Nous attrapons de peu le bus et pouffons de rire devant le chauffeur. Nous voilà partis. Et puis l'arrivée. Le trajet est trop court mais elle sait où descendre, dit-elle, pour arriver dans un petit coin de paradis. Après une demi heure de marche elle m'avoue ne pas reconnaître le chemin et l'eau ne se laisse pas voir. Depuis le début nous nous enfonçons dans la garrigue, caressés par les touffes de thym et les les ronces. La chaleur est infernale. Soudain, elle s'arrête, s'assied sur un pierrier et se met à pleurer . Je la serre dans mes bras, lui offrant comme réconfort mon coeur. Puis nous repartons. Mais à un carrefour nous sommes tous les deux pris d'un doute: quel chemin prendre? Bien sur nous affirmons chacun une proposition différente. D'un coup ce paysage si beau semble se resserrer, se refermer. Il devient étouffant. Le chant des cigales devient assourdissant. On doit sortir de là, maintenant. Alors on se lance à l'aventure, prenant le chemin du milieu, un sentier plus exactement. Bien nous en prend puisqu'il s'avère être le bon. Nous nous arrêtons dans la première crique que nous trouvons. Ici nous serons tranquilles.
Les quelques heures qui suivent nous donnent raison: entre les baignades dans l'eau glacée et le bronzage nous ne voyons pas les heures tourner, ni le soleil décliner. Puis un groupe de babs arrivent, je les connais un peu. Ils nous proposent de nous joindre à eux. Mathilde s'y joint sans hésiter. Je la suis, un peu jaloux je l'avoue. Elle rit avec tous et les drague un peu. Moi, je n'ai pas le droit à un regard de sa part. Ils sortent à manger. Je reste dans mon coin, ne faisant pas particulièrement d'efforts pour m'intégrer. Et puis ils se mettent à parler de leur raison d'être ici : fêter le bac. Et voilà, nous y revoilà. Encore et toujours. A croire qu'il n'y a que cela. Je cherche du soutien du coté de Mathilde et elle me rejette d'un rire. La soirée continue. L'alcool et les joints se succèdent. Elle, devient de plus en plus futile, un peu gamine. Et puis tout déraille.
ton copain là, il fait la gueule, non?
Mon copain, lui?
Ah mais je croyais que...
Dans mes poches mes poings se rétractent d'eux même
non attends, un bourge comme lui - Je vais la frapper... - imagines toi qu'il a un stage de prévu chez un avocat cet été, comme ça le piston...
non, t'es pas sérieuse, chez qui?
Euh je sais plus
je vous entends depuis tout à l'heure : il s'appelle maître Bardier, et t'es une belle salope
pardon?
Rien, laisses tomber – mais qu'est-ce que j'ai dit? Toute la bande écoute, tendue...
Tandis que Lisa passe ses bras autour du cou de Mathilde Noé prend la décision de partir, il a senti que la situation tournait à l'orage. Alors qu'ils prennent tous leurs affaires et se préparent à monter en voiture elle les rattrape et leur crie de l'attendre
euh désolé, on a plus qu'une place, ça va pas être possible
mais...
vous inquiétez pas, je reste ici
Toutes les têtes se tournent vers moi, comme si j'avais dit une absurdité
tout seul?
Ouais ça l'fait, je vais pas me noyer, je suis un grand
mais tu... - elle fait la tête de celle qui va se noyer maintenant -
t'inquiètes j'ai dit, j'ai besoin de personne
Ils haussent les épaules et partent. En haut du chemin, avant de disparaître dans la nuit elle me lance un regard indéchiffrable. Que veut-elle me dire? Puis elle part. Je reste là, assis sur une souche d'érable, le regard sur le courant, aussi fuyant que lui. La lune est belle, la nuit aussi, étoilée. Un ciel comme ne les voit que le voyageur. C'est bien, il fait chaud. D'ailleurs... Oui, un bain de minuit. Depuis le temps que je l'attendais celui là. Mais à minuit, pas avant alors. En attendant je me lance dans la construction d'un cairn, un hommage à celui qui le trouvera. Puis je reviens vers le feu, presque mort. Je lui redonne à manger et m'assieds à ses cotés. Il rougeoie et ronronne de plaisir.
TUT TUT TUT TUT! Et merde! Mon réveil que j'avais programmé pour minuit... Encore endormi je me déshabille. Entièrement. Puis je me jette à l'eau. Ah! Glaciale. Je traverse et ressors grelottant. Il faut pourtant que je retraverse. Ne pas réfléchir, foncer. C'est comme une brûlure qui me serre la poitrine. J'ai l'impression que ma tête va exploser. Et puis l'arrivée. Voilà une vraie douche, digne de ce nom. On a certes l'impression de mourir quand ça arrive mais aprés on se sent grandi. Je rallume encore une fois la plus belle conquête de l'homme. Les flammes réapparaissent aprés un petit quart d'heure de lutte. Plutôt bon score quand on pense que je n'en avais jamais fait avant. D'ailleurs, qu'ai-je fait jusqu'ici? Pas grand chose à la réflexion. A part quelques sorties au cinéma ou au pôle de loisirs mon univers était restreint à la maison, la bibliothèque et les établissements scolaires que j'ai fait. Je m'allonge et essaie de dormir. Pas facile avec toutes ces étoiles. On se sent si petit, dans un monde si grand. Mais alors, si la ville nous empêche de voir cette grandeur, ne serait-elle pas une prison?
Quand j'ouvre les yeux, réveillé par les gargouillements de mon propre ventre, les étoiles ont disparues, laissant place à un magnifique ciel bleu et un soleil tout aussi radieux. Une belle journée s'annonce encore entre les rochers. Pas question que je remonte tout de suite. Je vais leur envoyer un texto, qu'ils ne s'inquiètent pas, quand même. Hein, où est mon portable? Où a-t-il pu tomber? Je réalise que depuis notre aventure dans la garrigue je ne l'ai plus. Je vais me faire tuer... Raison de plus de rester, non? Et puis ce n'est pas le premier de mes soucis. D'abord, trouver à manger. A vue, rien. A part quelques baies. Et bien va pour les baies, ça fera l'affaire. Affreuses, amères. Boire maintenant pour soulager ce goût qui m'inonde la bouche. Mais l'eau des gorges est-elle potable? Oh, et puis, qu'est-ce qu'une diarrhée? Sinon je vais m'effondrer et sécher sur place. Et on ne retrouvera de moi qu'une momie. Elle est fraiche, avec un arrière goût terreux, bien différente de celle de chez moi. Pas simple ici de boire et manger. Surtout que j'ai toujours faim. Et si je partais en expédition? Ailleurs il y en aura peut être plus. Je me balade sous ce soleil déjà haut sans rien trouver à me mettre sous la dent. Rentrer. Cette solution m'apparaît comme étant la plus envisageable. Là bas il me suffit d'ouvrir le robinet, le frigo et tout va de soi. Mais pour une raison qui m'échappe je ne peux pas me résoudre à remonter le chemin. Allongé sous un figuier je me mets à rêver... Un figuier... En levant les yeux je crois halluciner: les branches ploient sous le poids des figues, mes fruits préférés. Celles là n'ont rien à voir avec celles que je connaissais jusqu'ici, ce sont des vraies. Je me rassasie et me rallonge pour une petite sieste.
Quand j'émerge de ma somnolence elles sont toujours là, à croire que je n'en ai jamais mangées. Une branche en fourche me rappelle une cabane construite quand j'étais gamin. Et si je la reconstruisais? Ça pourrait être une bonne idée, elle était simple. En plus ça m'occupera et et me protégera du soleil. Quand l'extérieur est fini j'aménage l'intérieur avec des tiges de jonc. Je mange tout au long de la construction. Suant toute l'eau de mon corps je me jette dans la rivière glacée. Quel bien ça fait ce bon bain. Remontant je suis arrêté par des piaillements. Alors que je m'approche un renard plonge dans les fourrés, laissant derrière lui le petit corps sans vie d'un rouge-gorge. A cette vue mes yeux se remplissent de larmes. J'emmène la pauvre bête et l'enterre près de mon arbre, maudissant l'autre. Quelle cruauté! Mes jambes me démangent; aller marcher les soulagera. Quel coin magnifique, pourtant si proche de chez moi. Je voudrais rester, ne jamais rentrer. Et mon stage qui commence demain... Il me faisait tellement plaisir, avant.
Bon allez, se motiver. J'arrive finalement à me remettre en route et, le coeur lourd je rentre à la civilisation. J'attrape mon bus de justesse. Fort de mon expérience je voudrais la partager, mais personne n'a d'oreille, de coeur à me prêter. Chacun est isolé. Quelle tristesse ici. Et puis non! Je ne l'ai pas choisi ce stage, on m'a fait croire qu'il fallait le faire. Mais tous ces gens, si fermés, ils feraient bien de prendre un peu le temps de voir les étoiles, de sortir. La forêt de béton nous tient prisonnier parce que nous ignorons les barreaux, nous ignorons qu'il existe autre chose. Et cette nuit, je viens d'apprendre cela. Je viens de comprendre aussi que je vis dans un monde de morts vivants, comme je l'étais. Et surtout, les étoiles m'ont prouvé une chose: rien, absolument rien n'est irréversible. Alors oui, j'ai envie de dire cette phrase: tant qu'il y a de la vie il y a de l'espoir...