Terre Australienne
sbeno
Je me souviens, petite, devant le gros poste de Télévision noir, dans le canapé en cuir dévasté, les Tsunamis des reportages.
Sydney, 17h23.
Le Japon vient d’être ravagé par un Tsunami géant. 8.7 sur l’échelle de Richter. Le pays tout entier s’est retrouvé sous l’eau boueuse et terne de la terre. La vague est passée et repassée inlassablement sur toutes les chaines TV de l’Australie, comme s’il avait fallu la voir sans cesse pour qu’elle devienne réelle. C’était pourtant bien de cela dont on parlait, de la vraie vie.
Depuis ma petite chambre a $30 la nuit, vue sur la mer, je pense à ces gens. Juste là, au bout de l’horizon, tout petits au milieu de l’Océan Pacifique ravageur. Traitre ! Tu prends par surprise. Aurais tu simplement pu prévenir, pour n’avoir à guérir; si seulement certaines vies avaient pu être épargnées. Pourras tu me prévenir, moi ? Pourras tu te présenter aux portes de l’Australie, t’annoncer, puis glisser vers les terres où je séjournais pourtant en paix. Dis le moi, lorsque tu décideras de t’élancer à près de 800 km/h, pour venir tout détruire sur ton passage. Dis le moi, je t’en prie. Nous parlons de ma vie. La tienne n’a aucune limite, elle n’est pas dictée par le temps. Moi, je ne vis que de secondes, toi tu vis de siècles, tu traverses les erres. Je ne veux pas de toi, je ne t’appartiens pas, j’appartiens à la terre. Battez vous, si vous le souhaitez, je ne défends qu’une cause : la mienne.
La vague n’était pas si grande de taille, c’était simplement la mer qui ne cessait de s’enfoncer dans les terres qui effrayait. Et ça n’en finissait pas de s’étendre. Elle s’incrustait dans les moindres recoins qu’elle trouvait. Aujourd’hui, elle avait décidé de séjourner en terre Japonaises. Et quand la mer décide, la terre se plie. Elle se déforme, pour lui faire place. Sans passeport, ni visa, elle entre et dicte ses lois, elle fait sienne tout ce qui se trouve sur son chemin. C est un duel qui se joue, à mains nues, plus naturel tu meurs ! Ce jour, la terre avait perdu son combat et rendue les armes. La mer avait remporté la victoire haut la main.
S’en fut suivi de la vague, d’atroces tremblements de terre. Comme si après le combat, toute seule elle s’était retrouvée à gémir de son triste sort. Comme si elle en avait eu honte. Comme si elle s’en voulait terriblement d’avoir causé la perte de quelques milliers de ses habitants, ses gens à elle. Elle tenait à eux pourtant. Elle les avait vu grandir, avait senti leurs pieds caresser sa couche supérieure. Elle les supportait tous les jours depuis des erres entières, elle s y était attachée, la terre, et au fil du temps elle les accueillait chacun d’eux, l’un après l’autre, en elle, comme une mère porteuse de l’humanité.
Alors bien sur, comme une vraie génitrice, elle s’en voulait de n’avoir pu se montrer à la hauteur, pour les sauver, tous ses enfants. Il lui en faudra du temps pour s’en remettre, pour construire à nouveau le sol fissuré, déchiré, écartelé.
Je prie ma terre Australienne de se montrer à la hauteur de cet Océan qui pourtant tous les jours vient frôler ses côtes. Depuis ma très étroite fenêtre je ne me lasse plus de la fixer. Il fait nuit, je n’y vois plus rien et pourtant je suis incapable de me défaire de cette place. J’ai posé un tabouret là. Le plus inconfortable et le plus instable que j’ai pu trouver. Les alertes ont été données sur toutes les côtes Pacifique. Je sais qu’elle me prendra par surprise, elle est si rapide. Je n’aurais certainement pas le temps de me réfugier dans les 90% de désert de ma chère Australie. Au mieux je courrais aussi vite que je peux, jusqu’à l’épuisement. Elle me rattrapera, je le sais déjà.
Mais eux là bas, comment font ils ? Comment survivent t ils à l’eau salée et boueuse ? Aux gémissements de la terre, à la mer qui stagne comme pour les narguer ?
Roissy Charles de Gaule, Paris, 14h23.
Aux portes de débarquement du vol Tokyo-Paris, la foule se presse. Les amis, les parents, grands-parents, journalistes et psychologues s’entassent et s’agrippent aux rampes des douanes Française. Il y a un quelque chose de rare qui s’en dégage. De la tristesse, de l’espoir, de la peur, de la joie. Tout un tas d’émotions pourtant si communes. Dans un aéroport on réinvente les sentiments, on quitte pour découvrir, on fait le futur. Ce jour là tous avaient décidé de défaire le passé pour refaire le présent. Les rancœurs s’étaient estompées, les reproches d’antan avaient fuit l’aéroport de Paris.
Certains se passent la main dans les cheveux parce qu’il n’y a rien de mieux à faire, d’autres font les cents pas là où ils trouvent la place de les faire. Il y a aussi ceux qui ne réalisent pas et restent plantés dans le sol, les bras ballants les yeux grands ouverts. Des caméscopes, des appareils photos, il faut immortaliser le moment. Et pourtant quel triste moment.
Les pneus arrière du Boeing viennent tout juste de toucher les terres Française.
Il est 14h32.
Ils laissent derrière eux une fumée blanche et épaisse. Les ailerons sont remontés. Les réacteurs tournent désormais dans le sens inverse des aiguilles d une montre. Il reste à l’avion toute la piste pour décélérer, une éternité pour laisser derrière lui un pays dévasté. Dans l’avion, nous n’en sommes pas encore au soulagement. Des regards vides, le silence est d’or, personne n’ose y croire. Sur le chemin, les passagers du vol Air France ont eu le temps de se remémorer les cris d’aide, les visages décomposés. Personne ne s’est endormi. L’épuisement, il ne demeure plus que ça désormais.
L’avion sort enfin de la piste.
Le pilote rompt le silence : « Ici votre commandant de bord, nous venons d’atterrir à Paris Charles de Gaulle, il est 14h35, heure locale. Je tenais au nom de tout l’équipage et de la compagnie Air France à vous souhaiter un très bon retour à Paris et de très belles retrouvailles avec vos proches. »
Les passagers ont franchis les portes de débarquement au ralenti. Charles de Gaulle à retenu son souffle durant quelques secondes. Pendant un instant tout s’est arrêté. Les rescapés ont envoyé une pensée là-bas, pour laisser derrière eux les images. Essayer de fuir le rien qui domine. Quant au peu qu’il reste, en garder un sourire ému, une pensée lointaine, une prière chuchotée en soi, pour que ceux là, là bas, les habitants, les survivants, les sauveurs de vie, en soit récompensés, tout au moins de ces trois vies qu’ils auront réussi à sauver, ses trois rescapées Françaises…
Tout s’est soudainement accéléré.
Étreintes.
La terre Française a eu une pensée émue pour sa très lointaine sœur Japonaise.
La foule a commencé à se disperser… Chacun a cherché à retrouver son ticket de parking. Celui qu’on perd toujours. Où peut il bien être ?… J’étais sûr de l’avoir laissé dans la poche intérieure droite du sac pourtant !
Pendant ce temps les trois rescapées, foulaient le sol Français, dégustaient la terre rigide, il n’y aurait pu y avoir que ça, cela leur aurait suffi.
Et puis elles se sont retournées vers les portes d’embarquement du vol Paris-Tokyo. Dans un éclair de folie elles auraient pu reprendre l’avion, retourner les sauver les vies… Mais il y avait déjà le ticket de parking, déjà la vie qui reprenait le pas. Ce ne fut q’un rêve éclair.
Car les images télévisées Françaises, les reportages du monde entier, les commentaires des gens des rues Européennes, ne retransmettrons jamais la sensation d effroi juste avant le Tsunami, jamais la peur d’un gémissement de la terre, jamais le sentiment qu’à tout moment on peut nous sauver la vie…
Jamais, qu’un étranger puisse nous la sauver.
Puisses-tu vivre encore une éternité.