Terres et Mers
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Terres et Mers
I
Terres et Mers, qui êtes vous ?
Rêves, matières ou contrées,
Qu’importe !
De mes sens, je ne fais que
Vous aimer.
De mes touchers, de mes regards,
De mes gorgées et bouchées,
Inhalations et écoutes,
Pensées.
Mers et Terres, sous le souffle du vent,
Sous la courbe du ciel,
Qu’importent vos couleurs,
Vous êtes belles.
Terres, craquées, lourdes et éparses
Qui m’accueillez en votre rein,
En vos souliers ;
Mers, déployées, sourdes et enlevées,
Que je n’ai franchies
Qu’à dix mille pieds ;
Terres qui portez,
Libres de vos duretés, de vos hauteurs ;
Mers qui effrayez,
Profondes et brusques
A vos grés ;
Terres, cabotées de flots,
Gorgées de Mers ;
Mers cintes de plaines,
Gorgées de Terres ;
Vous n’êtes qu’unes.
Terres et Mers, que vous soyez
Etendues à perte de ma vue
Ou tapies au creux de ma main,
Je suis las de ne pouvoir
Dans mes bras vous serrer.
II
Mers ! Ah, Mers…
Je ne peux poursuivre mes clameurs
Sans le révéler. Vos amertumes,
Sublimées par d’autres lignes,
Les ont suscitées.
Ces amertumes à peine lues,
Sublimées tant et si bien,
Que je ne saurai continuer
Sans la modestie qui convient.
Mais quoi ! Modestie n’empêche pas
De poser le prochain pas,
D’autant que celui-ci mène à
Vos écumes.
Mers ! Mers !
Mon vague à l’âme ne m’a pas donné
L’âme à vous voguer.
Mais à l’occasion, j’aime
Vous laissez, sur une coque,
Me circonscrire en votre sein.
Cet attrait,
Celui que j’ai pour vous,
Vient d’ailleurs.
Il vient des vues et des bains
Que vous offrez,
De vos haleurs,
Des vents que vous soulevez,
Et des mystères qui vous chavirent.
Mers océanes, lacustres et fluviales ;
Maritimes.
Tyrrhénienne, d’Irlande, de Corail ou d’Aral
Mers Caspienne ou de Chine méridionale ;
Mers, sous les marées,
Immenses et hautes,
Profondes et basses,
Toutes Puissantes,
Mers !
Venez ! Hurlez !
Et que vos roulis dévastent
Mes pensées.
Mers ! Ah, Mers…
III
Terres ! Terres !
Laissez-moi vous clamer
Mon amour effréné.
Terres, que personne n’a quittées,
Pas même les passagers
Des albatros ferrailleux,
Des esquifs voilés
Ou dont s’échappent trois fumées ;
A peine quelques cavaliers
Des Airs ou des Eaux.
Ceux-là ne sont plus des Hommes,
J’en suis encore un.
Terres, je ne fais que
Sur vos longueurs, m’abandonner.
Je vous contemple, vous foule ;
Vous espère.
Je vous espère,
Déjà triste de savoir
Que je ne pourrai
Toutes vous embrasser.
Terres !
Souillez mes habits,
Aveuglez mes regards,
Portez mes délires !
Terres, Terres…
Je suis heureux
De savoir qu’à jamais
Je suis amoureux.
IV
Ciel !
Que t’ai-je oublié…
V
En Nord,
Le ciel s’approche,
En silence.
Envole les oiseaux,
Suspend les nuages,
Porte le soleil.
Reste.
VI
Délires, délires !
Ou êtes-vous ?
Terrés sous les Terres,
Reclus au fond des Mers ?
Je vous cherche, vous fourvoie
Tant que vous ne pointez pas.
Je vous attends, vous espère
Et rêve aux étoiles et aux voiles,
Aux îles et aux deltas.
VII
D’un côté ou de l’autre,
Qu’importe puisque
Rien ne reste
Que le delta.
Envolées les voiles
Qu’il voilait,
Mortes les peines
Qu’il charriait sous
Le clair de la lune,
A l’ombre du roseau,
Et la lavande, son odeur.
Le delta, turquoise de ses reflets,
Sous le souffle si bas
De la croupe du ciel.
Le delta et l’île
Loin au-delà des voiles
Et des peines.
Récif esseulé
Né d’une nécessité
Jamais rassasiée.
L’île, au loin,
Qui n’existe pas.
Une île, presque.
Sous le ciel et ses envolées,
D’un côté.
VIII
O Loin, comme j’aimerais t’embrasser !
Toi, que jamais je ne pourrai
Effleurer.
Tes couleurs, ta superbe
Et les rêves que tu dessines,
Durant mes sommeils.
IX
Voilà.
Les évadés, cavaliers d’une vie,
D’une seule, la leur ;
Les évadés ne cessent de partir,
Et ne peuvent s’empêcher
D’envoyer des lettres.
Une bouteille à la Mer,
A la Terre,
Aux Mers et aux Terres.
Cette fois-ci,
La lettre sans la bouteille.
Une autre, peut-être,
La bouteille sans les mots.