Textile Textuel

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Textile textuel

Je m’appelle Zéphyra Falzar, et j’ai un problème.

Le monde ne me convient pas. Il ne m’a jamais convenu. Il est trop petit pour ma grandeur d’âme. Je suis contrainte de faire des ourlets à ma générosité, des plis à ma naïveté, des retouches à mon désir d’amitié. Je travaille à l’ancienne, avec une vieille machine à coudre léguée par ma défunte grand-mère.

Ah ! Chaque jour qui se lève est une piqûre dans ma chair. Je travestis ma nature pour être à la mode du vulgaire : des hommes sauvagement costumés, des femmes férocement maquillées et des enfants outrageusement nippés. Soigner les silhouettes alors que les cœurs sont cassés par la douleur !

Dans cette vaste usine humaine de l’apparence industrielle, je me sens à l’étroit, étriquée de toute part. J’ai beau faire des efforts, imposer à mes principes des régimes draconiens, mais je ne trouve pas ma taille, quel que soit le prêt à porter. Les hommes aiment ma pelote, ils n’ont d’yeux que pour mes seins et mes fesses…qu’ils aimeraient bien ploter ! Et moi, j’aimerais juste qu’ils relèvent la tête, me regardent bien en face, et que par leurs sexes, ils cessent d’être piloter ! Les dames me jalousent, car j’ai une ligne qui les complexe. Je suis une aiguille qui pique à vif, à son insu, les envieuses vanités féminines. Je suis sans cesse en porte-à-faux. Chez les premiers, je provoque la pulsion bestiale, l’attirance charnelle ; chez les secondes, je déclenche la frustration, l’instinct migratoire. D’un côté j’attire, de l’autre je repousse. J’ai le sentiment d’être égarée dans un monde au langage exclusivement corporel et vestimentaire.

Je suis là, assise à la terrasse d’un café à observer le défilé des physionomies. Le patchwork est éloquent : des strings pour les poules et des jeans taille basse pour les coqs ! Montre-moi ton calbute que je te culbute ! C’est ça le truc ?!

Fiers de leur étoffe, les épidermes sont vêtus d’un textile artificiel, la démarche est synthétique et les âmes miteusement effilochées. Les garde-robes sont des garde-fous. À défaut d’être heureux, soyons bien habillés ! Bigre !

À quoi bon cela sert-il donc, de faire partie d’un tissu social et urbain, si nous sommes incapables de communiquer autrement que par des fringues et des apparences de circonstances ?

Si je cède à l’attrait du style, c’est par dépit. Sinon, je suis seule et je m’ennuie. Mais ma nature laineuse a vite fait d’en découdre avec la coquetterie collective. Question de fibre ! Question de chas !

Excédé par le « m’as-tu-vu... non je ne te vois pas... mais si regarde bien ! » général, j’ai décidé de prendre mon dé à coudre en main et passé une annonce dans un journal local « À La Mitaine » :

Mademoiselle Falzar, cherche à confectionner

des relations sincères et durables, à tisser des liens solides et authentiques, afin d’entretenir de vrais rapports. Mon but étant de créer une mercerie amicale et fraternelle, une communauté de fils et de pelotes, originale, à contre-courant de nos habits-tudes de vie. Si ma couture vous intéresse, laissez vos bobines au journal qui me les transmettra. Merci.

P.S : braguettes ouvertes, s’abstenir !

 

Une semaine plus tard, ma boîte vocale est saturée de nombreux messages pour le moins inattendus :

« Rhabillez-vous impudique ! Le strip-tease de vos états d’âme n’excite personne ! C’est la violence et le sexe qui dirigent le monde ! MERDE ! »

« La Vie ? Un souffle qui remplit le vide de nos vêtements. La Mort, elle, nous déshabille ! »

« Votre annonce m’a touché et je souhaite vivement vous rencontrer Melle Falzar… Je suis un écorché vif et mon cœur est sans cesse décousu par les mains de la mode ! Je vous admire Melle Falzar…vous avez du courage de vous exprimer ainsi…»

« Vous avez raison ! Habillons l’humanité du pull de l’Amour et du pantalon du Respect !... Allons-y ! Soyons fous ! »

« Eh Falzar !... Nous organisons la fête du SLIP tous les mois. Tenue indécente exigée ! Nous vous y invitons cordialement et sensuellement !  À poil ! À poil ! À poil ! …»

Je m’appelle Zéphyra Falzar et j’ai un problème. Je garde bon espoir malgré tout. On ne peut pas plaire à tout le monde, mais de là à plaire à personne ! Je suis prête à soutenir mes efforts, à remettre de l’eau dans mon thé s’il le faut. Je finirai bien par trouver babouche à mon pied !

Pour info, je chausse du quarante !

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