The Misfits / Les Désaxés
parallaxe
The misfits / Les désaxés
Screenplay by Arthur Miller Directed by John Huston
Des formes blanches stylisées apparaissent sur le fond noir du générique ; elles ressemblent à des pièces de puzzle disparates. Elles ont des contours aléatoires et fantaisistes. La typographie et le graphisme rappellent indéniablement le début des années soixante. L’aspect assez froid, abstrait et cérébrale du générique me surprend. Je ne m’attendais pas à ce style de générique mais le lien avec le titre est évident. A l’arrière de la boîte du DVD je lis : « Divorcée et désenchantée, Roslyn (Marilyn Monroe) se lie d’amitié avec un groupe de « désaxés » composé d’un cowboy vieillissant (Clark Gable), d’un mécanicien au cœur brisé (Eli Wallach) et d’un cavalier de rodéo usé par le temps (Montgomery Clift). A travers leur mode de vie, Roslyn éprouve ses premières sensations de liberté et de passion. Mais lorsque son idéalisme innocent se heurte à une réalité plus brutale, Roslyn doit prendre le risque de perdre leur amitié…et le seul vrai amour qu’elle ait connu. »
Ce sont surtout les photos de l’agence Magnum, qui ont étés faite pendant le tournage et que j’avais vues d’abord, qui m’ont donné l’envie de voir ce film. Contrairement aux images épiques que m’évoque la lecture du synopsis, ce sont encore des lettres qui, comme dans un prolongement du générique, m’introduisent dans le film. Je vois apparaître en plan rapproché le mot « RENO ». Je découvre, pendant que le plan de l’image s’élargit, que le mot « Reno » fait partie d’un autocollant «Jack’s RENO GARAGE ». Il est collé sur l’arrière de la cabine d’un pick-up GMC qui nous emmène vers une maison. La transition qu’impose John Huston est remarquable. La langue, les mots, l’écriture d’Arthur Miller se transforment en images sous nos yeux. Je me laisse guider et je rentre dans l’histoire.
Guido ancien pilote de guère, mécanicien et chauffeur du pick-up s’arrête derrière une voiture garée sur l’allée d’une maison dans la banlieue de Reno. La caméra le suit quand il tourne autour de la bagnole accidentée. Dans le chrome de la voiture je soupçonne la réflexion de l’éclairage du set. Ce n’est pas vraiment gênant mais comment le nier après avoir vu les photos prises sur la scène pendant le tournage des « Misfits »? Comment éliminer tout ce que j’ai vu, lu, tous les « making off’s » de tant de films qui nous montrent et dévoilent le mystère ? Je regarde mais d’une autre manière. Je n’ai plus le regard innocent de ceux qui ont découvert le film dans les années ’60.
Young man, do you have the time?
I got six clocks, and none of them work.
C’est la voix d’Isabelle Steers qui, un bras dans le plâtre et un réveil dans la main, s’adresse à Guido. En apprenant qu’il est déjà 9h20 elle prévient Roslyn, une amie qui loue une chambre chez elle, de se dépêcher pour le rendez-vous qu’avait fixé son avocat au tribunal. Je vois apparaître Roslyn brièvement derrière le voilage d’une fenêtre à l’étage quand elle répond à l’appel.
La voiture est à vendre. Elle a à peine 22 miles sur le compteur et selon Isabelle le problème, quand elle roule avec Roslyn, vient des hommes qui provoquent des accidents rien que pour faire la conversation. Isabelle se présente comme une femme expérimentée et hardie aux opinions et à la vision des hommes et du mariage originale. Quand Guido lui demande si elle s’est cassé le bras dans l’accident avec la voiture, elle lui répond…
No. My last roomer, the one before Mrs
Taber, we celebrated her divorce and...I misbehaved.
I'm so sick and tired of myself.
Dans sa chambre devant le miroir de sa coiffeuse, Roslyn susurrait un texte qu’elle essaye de mémoriser tout en se maquillant. Des gestes énervés et une expression inquiète sur le visage, elle est une femme troublée et soucieuse. Marylin Monroe est belle, fragile émouvante. Je ne comprends pas ce qu’elle chuchote. Ça ressemble à un mantra qu’elle répète en boucle.
Isabelle Steers qui apparaît derrière Roslyn dans le miroir est une femme experte en matière de divorce. Elle n’hésite pas à mettre son expérience à la disposition d’autres femmes. La fameuse vague de « Women's liberation” des années ’60 doit encore avoir lieu mais elle s’invente déjà un post-féminisme avant la lettre en acceptant les différences entre hommes et femmes d’une manière pragmatique.
Will you go over my answers again?
Roslyn lui demande de l’aider à répéter une dernière fois les réponses qu’elle devra donner tout à l’heure devant le juge au tribunal. Accablée par les émotions elle s’en sort à peine.
Let's see. "Did your husband,
Mr Raymond Taber act toward you with cruelty?
Darlin'?
Well, yes.
Just say yes.
Yes.
Isabelle la corrige sèchement comme une professionnelle de ce genre d’affaires. Elle sait que la moindre hésitation pourrait être exploitée par la partie opposante. Elle continue à poser les questions et répète les « bonnes » réponses qui semblent perturber encore plus la pauvre Roslyn.
In what way did this cruelty
manifest itself?"
He persistently... How does that go again?
He persistently and cruelly ignored
my personal wishes and my rights
and resorted on several occasions
to physical violence against me."
He persistently...Oh, do I have to say that?
Ce que Roslyn ne supportait plus dans son mariage et ce qu’elle voulait vraiment dire, c’est qu’il n’était pas là…qu’elle pouvait le toucher mais qu’en réalité il n’était pas présent. Et selon Isabelle, il ne resterait pas beaucoup de mariages si cela devenait une raison de divorce. Entre temps Roslyn s’habille. Elle passe sa robe noire par-dessus sa tête et il me semble que, les bras levés et la robe enroulée à la hauteur de sa poitrine, Marilyn Monroe hésite une fraction de seconde avant de la descendre. Elle exécute tout le mouvement avec grâce et d’un naturel remarquable sauf durant cette fraction de seconde d’hésitation voulue. La lui a-t-on demandée ?
Avec un coup de klaxon, Guido attire l’attention. Il signale qu’il a mis une nouvelle batterie pour qu’elles puissent rouler en attendant son devis. Mais il n’est pas question pour Roslyn qu’elle conduise à nouveau cette voiture. Elle veut prendre un taxi. Guido saisit l’opportunité et propose de les déposer en ville, ce que Roslyn et Isabelle acceptent volontiers. Ce n’est sûrement pas pour faire plaisir à Isabelle que Guido veut rendre ce service. Plus tard devant la maison de justice il tente sa chance en s’adressant à Roslyn.
If you're not goin' back East right away,
I'd be glad to show you the county.
Beautiful country around here, you know.
Isabelle de son côté réussit en forçant la main de Guido à se faire inviter elle aussi. Elle le fait ouvertement et sans gêne ; elle lui lance que les hommes de Reno sont tous les mêmes.
Sur les marches de la maison de justice Roslyn est confronte à Raymond Taber, l’homme d’avec qui elle veut divorcer. Dans ces cheveux brillantinés, je vois un faible halo des lampes d’éclairage de la scène. Il demande à lui parler cinq minutes mais Roslyn refuse catégoriquement. Elle n’est pas rancunière, seulement déçue.
If I'm gonna be alone,
I wanna be by myself.
Roslyn le lui dit. Puis elle prend la main d’Isabelle et poursuit la montée des marches. En passant devant Raymond Taber, Isabelle le regarde. Je me demande comment interpréter ce que je vois dans son regard. Il émane d’elle de l’humanité. Peut-être est-ce de l’empathie que je reconnais dans l’expression sur son visage.
La scène est filmée d’un point de vue surélevé comme si on se trouvait quelques marches plus haut avec, dans notre dos, tout ce que représente la justice. Comme arrière fond de la scène il y a la rue, des lignes blanches, des voitures et des piétons, la dynamique d’une petite ville dans l’Amérique des sixties. Juste assez de mouvement, assez pour croire encore en une utopie où le progrès n’a que des avantages. Pas d’embouteillages ni soucis de pollution. Les voitures défilent dans un flot constant et souple. Elles ont des ailes, des détails chromés et dans la laque des carrosseries je remarque, par moments, les vagues réflexions des lumières artificielles qui illuminent le plateau.......