The Scar

Laeti Kane

Lorsqu'il avait 5 ans, la soeur de Jeremiah a été enlevée. On ne l'a jamais retrouvée. Aujourd'hui il est détective privé et un tueur enlève des gamines ressemblant à Délia. Enfin une piste ?

 CHAPITRE 1

 

Allongé dans l'herbe trop haute du jardin, Jeremiah observait les insectes qui évoluaient dans cette mini jungle, totalement ignorants des problèmes qu'un humain de cinq ans aurait lorsque ses parents apprendraient qu'il avait été une fois de plus pris à voler à la supérette. C'était la quatrième fois en trois mois. Il volait tout et n'importe quoi, le gain n'avait aucune importance. Tout ce qu'il désirait était que ses parents restent ensemble. Peu lui importait d'être puni, au moins les voyait il discuter de son sort tous les deux, ensemble. C'était un début, non? Ils pensaient certainement qu'il ne remarquait rien mais un enfant sent ce genre de choses, encore plus lorsque papa rentre à pas d'heures et que maman ne le réveille même plus lorsqu'il s'endort sur le canapé. Delia, sa grande soeur, lui avait qu'ils allaient divorcer. Elle n'avait pas l'air triste à cette idée et pensait déjà au double de cadeaux qu'elle aurait. Jeremiah, lui, aurait bien troqué tous ces futurs présents pourvu que ses parents ne se séparent pas, qu'ils soient heureux tous ensemble, comme avant et pour toujours. Il n'avait pas conscience qu'il fallait de l'Amour pour cela et que ses bêtises, à défaut de les rapprocher, les éloignaient un peu plus chaque jour : chacun reprochait à l'autre le comportement du gamin. Mais on ignore tant de choses à cet âge ! Si au moins ils prenaient la peine de lui parler, de l'écouter plutôt que d'hurler. La vie d'insecte devait être tellement plus simple...

Il soupira tandis qu'une coccinelle noire vint se poser sur son bras. Oubliant un instant ses tracas, il compta les points orangés sur la bête - Delia lui avait dit que cela indiquait son âge. Un, deux, trois, quatre... cinq ! Comme lui. A bien y réfléchir il n'en avait jamais vu de plus âgées. La Nature avait elle bien fait les choses ? Epargnait-elle les petites bestioles de devenir adulte ? Des adultes tristes, maussades, qui ne savaient même plus comment être heureux... A défaut de pouvoir se transformer en insecte, il ne deviendrait jamais adulte ! Voilà c'était décidé ! Il serait comme Peter Pan. Juste quand il prononçait ce voeu par la pensée, la coccinelle s'envola. Son voeu allait se réaliser. Il le savait parce que c'était encore là une chose que Delia lui avait appris.                             
Dee - surnom datant de quand Jeremiah ne parvenait pas à dire Delia - avait un an et demi de plus que lui et elle savait des tas de choses. Ils pouvaient passer des heures dans sa chambre à discuter au milieu de ses poupées. Bientôt ils pourraient même le faire à l'école car il entrerait en première année de primaire à la rentrée, juste après l'été. Il savait déjà lire, écrire et compter grâce à sa soeur alors, à la dernière réunion parents-profs,  la maîtresse avait parlé même de lui faire sauter une classe. Ses parents avaient été fiers de lui ce jour là. Il en était autrement aujourd'hui.

Il soupira à nouveau et s'étira. Le soleil tapait fort et il commençait à avoir mal à la tête. Il aurait du penser à mettre sa casquette. Si la baby sitter voyait ça il se ferait sûrement engueuler. Heureusement elle était trop occupée à regarder un feuilleton débile sur une chaine câblée. Il se leva lentement et décida de rentrer pour se rafraîchir. Le mardi soir, sa mère les emmenait avec elle pour faire les courses, aujourd'hui le frigo était donc rempli de boissons dont il raffolait. Une fois devant le frigo il hésita et opta finalement pour une brique de jus de raisin. Après avoir décollé la paille et retiré le plastique qu'il laissa trainer sur le plan de travail de l'immense cuisine, il perça la brique et commença à boire. Tout en trainant des pieds, il se rendit au salon. Dans l'air flottait une odeur de pop corn qui lui chatouilla les narines. Il y en avait une qui ne se laissait pas aller. La babysitter lui jeta un bref coup d'oeil et reporta son attention sur la grande télé. Une des meilleures de l'époque, l'écran était presque aussi grand que le gamin niveau largeur. Quand il y regardait les dessins animés, il se croyait au cinéma, c'était la grande classe. La voix de l'adolescente le fit décrocher son regard de l'écran.

- Tu veux ton goûter ? lâcha-t-elle finalement, comme si sa présence l'insupportait.

- Non, répondit il en haussant les épaules. S'il avait envie il pouvait se servir, ce n'était plus un bébé. D'ailleurs il ne comprenait pas pourquoi il devait encore avoir une nounou : il était capable de s'occuper de lui même comme un grand. Surtout qu'elle ne veillait pas réellement sur lui. Il ne l'aimait pas et elle non plus, c'était une pimbêche de pompom girl en dernière année de lycée. Il l'avait entendu dire à papa qu'elle fêterait prochainement ses dix huit ans et qu'elle partait pour l'université prochainement. Vivement ! qu'il avait pensé lui.

Il tourna les talons pour retourner dans le jardin qui s'étendait à perte de vue, pour un enfant en tout cas. Plissant les yeux à cause du soleil, il scruta le paysage qui s'offrait à lui par delà les grilles et murets qui délimitaient la propriété familliale. C'était inlassablement le même : des champs d'un côté, des maisons de l'autre, le cimetierre en face de chez eux. Désolant ; vivement les vacances. Ils partiraient à la mer pour voir grand père puis ils s'envoleraient vers une destination encore inconnue : surprise comme chaque année. Il avait tellement hâte, souvent il en rêvait. Même s'il avait entendu dire que leur père ne les rejoindrait que plus tard, il nourrissait l'espoir, toujours, que ça les rapprocherait. Aspirant bruyamment son jus de fruits, il resta planté là, une idée germant dans son esprit : rejoindre Délia sur le chemin du retour. A cette heure elle était sortie du cours de danse et rentrait à la maison. Il savait bien qu'il n'avait pas le droit de quitter la maison seul mais la babysitter ne remarquerait rien. Il en était certain car une fois il avait eu le temps d'aller jusque chez Mika chercher un jeu video et revenir sans même qu'elle ne décolle ses grosses fesses du canapé. Alors pourquoi se priver ? Il serait revenu d'ici une demie heure avec sa soeur et l'autre n'y verrait que du feu. Il y a quelques mois ça n'aurait pas été possible car sa soeur aurait été raccompagnée en voiture par Madame Hawkins mais Delia et Emily Hawkins s'étaient fortement disputées, si bien que même la mère de sa copine ne voulait plus la voir. Elle avait traitée Délia d'effrontée; lui , ne savait pas ce que ça voulait dire mais ça n'avait pas plu à leur mère. En plus elle avait ajouté que c'était de la mauvaise graine comme s'il s'agissait d'une ortie. Jeremiah avait trouvé cette image idiote et puis, si sa soeur avait été une herbe ou un truc du genre, elle aurait été une rose. Elle était tellement belle avec ses longs cheveux bruns et ses yeux vairons. Un noisette et un vert, ce qui avait toujours fasciné le gamin. Comme les roses elle sentait toujours bon, et elle pouvait aussi bien être douce que les pétales que piquante comme les épines. Comme les belles fleurs qui ornaient la rocade devant la veranda et sur qui tout le monde s'extasiait, Delia était déjà admirée par ses camarades alors forcément il y avait des jalouses. Comme Emily qui lui avait reproché d'avoir obtenu le rôle principal dans le spectacle de fin d'année de leur club. Ce n'était pas sa faute si elle était meilleure qu'elle ! Les filles pouvaient être si bêtes par moments; pour ça que Jeremiah les trouvait inintéressantes. Sauf Delia biensûr.

Les mains dans les poches, il quitta le jardin en passant par le fond pour sauter le petit muret, dépassa les trois maisons voisines en moins de deux minutes puis il bifurqua sur la gauche pour emprunter un chemin de terre qui menait aux champs. Délia coupait toujours par là pour rentrer plus vite et pour rassurer les parents qui ne voulaient pas qu'elle soit sur la route. Il y avait des dingues qui roulaient trop vite dans leur petite ville. Comme ça pas de risques d'accident et ça lui évitait le grand tour qui faisait bien trois kilomètres. Pas rien quand même.

Jeremiah arriva rapidement à l'embranchement qui séparait le champs de Monsieur Smith et celui de Monsieur Hoover. Il y avait d'ailleurs une barrière pour entrer dans celui ci et un mur de végétation séparait les deux étendues de terre, blé ou autre selon l'époque.  Chez les Hoover : de la terre battue, des fleurs des champs ci et là. C'était surtout un lieu pour les chasseurs ; Delia projetait d'aller sauver les pauvres lapinous qu'ils y lâcheraient pour s'adonner à un soit disant sport qu'elle aborait. Depuis qu'elle avait vu un reportage sur les abattoirs, Delia était devenue végétarienne. Jeremiah avait évidemment suivi son exemple mais les hamburgers lui avait trop manqué. Elle ne lui en avait pas voulu, heureusement, et il avait juré que ça ne l'empêcherait pas de l'aider, aussi qu'il ne mangerait de lapin. Actuellement chez les Smith c'était du blé à perte de vue, bien plus haut que Jeremiah. Il ne voyait même plus l'épouvantail au milieu de tout ça. Tant mieux parce qu'en toute honnêteté : cette chose le terrifait. Mais impossible de l'avouer, surtout que là,  c'était la bonne période pour y jouer à cache cache avec les copains et se faire quelques frayeurs au passage, comme toujours. Il longea donc sereinement la haie touffue sur le chemin où il croiserait sa soeur. Le soleil tapait toujours aussi fort mais ne le dérangeait plus car une brise légère lui faisait de l'air. Remarquant des fraises des bois parmi les ronces, il fit une pause pour en cueillir quelques unes, ignorant les conseils avisés de eélia pour une fois : "prends pas celles du bas, c'est là que les chiens pissent !" Tout ce qui l'importait à cet instant était de ne pas trop se griffer. Tiens, il devrait dire à la mère Hawkins qu'elle était ici la mauvaise herbe, pas chez lui ! Cette idée le fit rire tout seul. Il avala goulument une poignée de fraises et fit la grimace à cause de leur acidité. Tout compte fait il lâcha les autres et termina son jus avant de jeter la brique vide. Ce n'était pas propre mais il n'eut aucun sentiment de culpabilité : pas vu, pas pris !

D'ici cinq minutes, dix peut être il tomberait sur sa soeur. Il avait tellement hâte d'être avec elle. Certains mercredi il pensait même demander à faire de la danse pour ne plus s'ennuyer à la maison. A tous les coups son père refuserait en prétextant que c'était pour les filles, pfff. Il semblait n'avoir qu'une envie : l'inscrire au football l'an prochain, ce qui n'enchantait guère le petit qui n'avait nulle envie de courir après un ballon et se prendre des coups dans la mêlée. Sauf que son père avait été quaterback et qu'il y tenait. Alors voilà une chose qu'il accepterait si ça pouvait les empêcher de divorcer. Il devait bien y avoir une solution, non ? Malgré toutes ses pensées plus ou moins farfelues, le chemin lui semblait interminable et il avait envie de faire pipi. Jetant un oeil derrière lui, au cas où, il déboutonna son jean et... Il entendit la voix de Delia, son rire plus précisément. Que pouvait il y avoir de si drôle dans le champs que lui ne voyait pas ? A moins qu'elle ne l'ai vu lui ?

- Dee?

 Il n'eut pas de réponse mais entendit des voix un peu plus loin sur le chemin. Avec qui sa soeur rentrait elle ? Curieux, il oublia son envie pressante, tout comme sa braguette ouverte, et continua sa route en trottinant.

- Il faut faire comme ça, disait Delia. Et puis plus rien. Aucune réponse et pas plus d'explication de la part de Délia qui d'ordinaire adorait étaler sa science, comme disait leur père. Une angoisse instinctive envahit Jeremiah qui pressa le pas. Une phrase résonnait soudain dans sa tête : "ne parle pas aux inconnus sinon ils vont te manger". Quand sa mère lui disait il trouvait ça absolument ridicule mais tout à coup... L'épouvantail ? Il secoua la tête. Ce n'était pas possible. Delia devait être avec une copine... non ?

- Delia ??

Le chemin de terre ondulait légèrement, prenant comme un léger virage vers la droite. Une branche craqua et Jeremiah pu enfin voir ce qu'il se passait derrière le mur de végétation qui ressemblait maintenant à un petit bois. Deux vélos : celui de sa soeur couché sur le sol, l'autre tenant sur sa béquille, une pompe à côté et... Delia étendue par terre un mouchoir sur la bouche? Jeremiah fit un pas en avant, ignorant totalement le danger, lorsque quelque chose de dur et rèche vint le frapper en plein visage comme sorti de nulle part. Le gamin s'écroula dans les blés, le choc le projetant au moins un mètre en arrière. Une douleur fulgurante irradia son visage, le laissant complètement amorphe et suffocant comme si tout l'air quittait ses poumons. Il crut voir une ombre se pencher au dessus de lui mais du sang obscurcissait sa vue, à moins que ce ne soit ses paupières déjà enflées.

- Désolé...

Avait il bien entendu ? Ses oreilles bourdonnaient et il  avait l'impression que son nez, même ses joues avaient triplé de volume. Il voulait hurler, se relever, protéger Dee mais il restait cloué au sol, incapable de faire plus que relever la tête et là : tout devint noir. Il ne su même pas si ses yeux étaient encore ouverts lorsqu'il entendit les pas s'éloigner. Chaque bouffée d'air était un réel déchirement et la douleur eut raison de lui, il perdit connaissance pour de bon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 2

 

Encore un réveil difficile. 5h du mat', Jeremiah avait eu un autre cauchemar. Toujours le même en fait. Il se réveilla en nage et haletant. Après quelques secondes il prit conscience qu'il était de retour dans le monde réel, ou plus précisément dans le présent et que l'horreur était loin derrière lui. Cela dit il ne sentit pas mieux pour autant. Il s'extirpa lentement du lit, son boxer dévoilant la moitié de ses fesses musclées, et se gratta le bas du ventre. Une espèce de rituel matinal masculin. Il chercha quelque chose sur la table de nuit et un instant plus tard il y eut un crépitement suivie d'une flamme qui alluma la cigarette qu'il avait glissée entre ses lèvres. La première cancéreuse du jour avant même d'avoir vu la lumière. Enfin, il fit deux trois pas et ouvrit la porte de sa chambre. Ses yeux furent aussitôt agressés par la lumière du couloir, restée allumée toute la nuit. Il fallait avouer qu'il ne se souvenait même pas s'être couché, encore moins comment. C'était toujours pareil à l'approche de la date maudite. Il revivait sans cesse la disparition de sa soeur comme si c'était hier. Si seulement ses souvenirs étaient plus précis, si seulement il pouvait voir un visage plutôt qu'une ombre, s'il pouvait répéter ce qu'Il lui avait dit exactement ou identifier cette voix... Peut être qu'ils auraient pu mettre la main sur le fils de pute qui avait brisé sa vie vingt cinq ans plus tôt. Certains lui disaient encore que ça n'aurait rien changé mais lui, il était persuadé du contraire et ça le rendait fou. Et s'il s'était approché sans parler ? S'il ne s'était pas arrêté pour ces fichues fraises ? Et si, et si... Il se torturait toujours de la sorte comme si l'imaginer pourrait changer les évènements. C'était plus fort que lui et seul l'alcool calmait, noyait ses pensées auto destructrices.

Il lui fallut quelques secondes pour s'habituer à la lumière artificielle et trainer des pieds jusqu'à la salle de bain, emportant avec lui un soutien gorge qui trainait là mais sans y faire attention. Encore une journée qui allait ressembler à toutes les autres. Il espérait toujours qu'un évènement viendrait bousculer son quotidien mais cela faisait bien longtemps que rien de transcendant ne s'était produit. Une fois devant le lavabo, il tourna l'un des robinets et se passa de l'eau froide sur le visage. Lorsqu'il le releva il se fixa dans le miroir pendant de longues secondes. Le couloir éclairait à peine la salle de bain et il avait l'air tout droit sorti d'un film d'horreur. La cicatrice qui lui traversait le visage démarrait au milieu du front côté droit, courait sur l'arrête de son nez et se terminait sur le milieu de joue gauche. Elle était profonde. Son oeil droit était un peu moins ouvert que l'autre mais son regard n'en était pas moins perçant et vif. Les médecins avaient fait au mieux mais il aurait fallu plus de chirurgie pour la rendre moins imposante. Sauf que les Xanders  avaient été plus préoccupés par la disparition de Delia que par l'aspect de leur fils. Ensuite l'argent qui avait manqué, plus les relations familialles difficiles n'avaient pas arrangé les choses. Jeremiah ne pourrait donc jamais se débarasser de ses cauchemars, de ses souvenirs. Il portait les stigmates de sa douleur. Pour lui la blessure était physique mais également mentale, il pouvait la sentir jusque dans son âme.

Il coupa le robinet et se rendit à la cuisine. Des gouttes d'eau ruisselaient sur son menton mal rasé, il les chassa d'un revers de la main. Il lança alors un regard assassin à sa cafetière vide. Plus de café non plus dans le placard. Il avait totalement oublié d'en racheter. La journée promettait d'être réellement merdique, il serait encore plus sur les nerfs sans sa dose de caféine matinale. Pour palier un minimum à ce manque, il sortir une canette de coca du réfrigirateur. A la vue du vide dans ce dernier, il réalisa que le café n'était pas la seule denrée manquante chez lui. Il soupira d'agacement. Peut être devrait il songer à engager une aide à domicile, du genre qui fait ménage lessive et courses. En attendant il demanderait à son assistante de s'en charger. Enfin des courses, car il ne fallait pas pousser. Elle n'était pas supposée s'occuper de ce genre de choses déjà, mais avec un sourire... De toute façon ce n'était pas comme si le boulot se bousculait en ce moment. Toujours les mêmes histoires de mari ou de femme infidèles. C'était amusant d'ailleurs de voir comme l'un et l'autre n'utilisaient pas les mêmes termes. La majorité des femmes se disaient trompées, c'était leur coeur qui parlait, les hommes se disaient cocus, là c'était l'égo qui en prenait un coup. La différence venait donc de la fierté mal placée des hommes. Pas tous, bien entendu mais bon, comme pour tout : les exceptions étaient rares. Jeremiah n'en était pas une. Quand Laura avait couché avec un de ses collègues, et pas qu'une fois, c'était d'abord son égo qui en avait morflé. Ensuite seulement, la douleur infligée par la trahison s'était répandue dans tout son être telle une trainée de poudre. Elle avait tout ravagé : ce qu'il lui restait de coeur, la confiance qu'il accordait aux autres, le peu d'espoir qu'il lui restait d'avoir une vie "normale". Les souvenirs de leur cinq ans de couple étaient devenus presque aussi douloureux que ceux de Delia. Il avait entendu dire une fois que les plus beaux souvenirs étaient aussi ceux qui faisaient le plus souffrir. Ce n'était pas faux. Même si aujourd'hui il pouvait évoquer son ex sans avoir mal, elle avait - elle aussi - laisser des séquelles. Ok, chacun passait par là à ce qu'on dit mais franchement il avait eu son quota d'histoires malheureuses. Depuis il s'était fermé comme une huître, se contentant de baiser à droite à gauche. Ce qui, curieusement, semblait attirer la gente féminine. En parlant de ça, une voix manqua de lui faire tomber sa canette. Il se retourna pour découvrir une jolie blonde qui portait son tshirt, trois fois trop grand pour elle. Visiblement il n'était pas rentré seul cette nuit...

Quatre heures plus tard il était à son bureau à consulter ses mails en dégustant un immense café encore fumant, pris au coin de la rue. Ce serait le second du jour mais pas un mal. Il avait eu toutes les peines du monde à esquiver la blonde et lui avait refilé un faux numéro. Avec de la chance, elle ne saurait pas revenir jusque chez lui. Lâche ? Pas forcément, mais comment faire quand l'autre ne veut rien comprendre ? Pis merde, il n'avait pas de compte à rendre. Elle ne savait même pas son prénom alors elle s'en remettrait.

Il entendit la clé dans la porte d'entrée, puis les talons de Betty claquèrent sur le sol. Il la visualisa retirant son manteau, rangeant son sac hors de vue des visiteurs puis se dirigeant vers son bureau. Toc, toc, elle entra avec son habituel sourire. Pour son âge, Betty était une belle femme. Et surtout, elle était adorable, bien qu'elle n'hésitait pas à le remettre à sa place quand il allait trop loin. A dire vrai elle avait tendance à le materner. Sans doute parce qu'elle n'avait pas eu d'enfant et que lui n'avait plus personne. Ses parents s'étaient séparés quelques mois après la disparition de Dee, il avait à peine revu son père depuis et sa mère n'avait plus jamais été la même.

- Bonjour Jeremiah. Petit mine ! J'ai pensé à toi. Elle fit les pas qu'il manquait pour arriver à son bureau et déposa un sachet dessus. Des beignets vu le gras qui avait tâché le dessous.

- Merci ma belle. Toi ça a l'air d'aller. Gary t'a emmenée au resto comme promis ?

Elle eut un sourire malicieux qui le fit rire. Gary c'était son nouveau petit ami et il avait un emploi du temps surchargé à l'hôpital ce qui leur causait souvent des disputes, mais rien de méchant. C'était un brave type - Jeremiah avait enquêté sur lui pour en être sûr.

- Tiens, j'ai croisé le coursier en bas, ça vient de Thompson, je n'ai pas ouvert.

Jeremiah se redressa d'un coup pour prendre l'enveloppe. Thompson était un de ses rares amis et  bossait pour la police criminelle, section délits sexuels. Quand il le contactait ce n'était jamais pour rien et chaque fois le détective espérait que ce serait par rapport à Delia.

- Merci.

Fébrile il garda l'enveloppe un moment sans réagir.

- Ca va aller, mon grand ?

Il hocha vivement la tête.

- Oui oui, pas de problème.

Betty connaissait son histoire et quand il croisa son regard il vit qu'elle angoissait autant qu'elle était curieuse de savoir. Qu'arriverait il si la police avait une piste, enfin ? Et surtout qu'arriverait il si ça ne donnait rien ou que Jeremiah s'engouffrait sur un terrain dangereux ? Ils en avaient discuter maintes fois sans trouver de réponses, ou du moins, pas de correctes aux yeux de la cinquantenaire. Jeremiah lui sourit et changea de sujet.

- Dis moi, t'aurais du temps pour me faire quelques courses ?

Elle leva les yeux au ciel et repartit de l'autre côté.

- Toi alors ! J'irais après le courrier.

- T'es un amour !

Elle bougonna et il rit. Avant de se caler, sérieux dans son fauteuil. Au même instant son portable sonna : Thompson. Il décrocha aussitôt.

- T'as reçu mon pli ?

- Oui mais j'ai pas encore ouvert.

- Je te laisse voir alors, je passe à midi.

- Pourquoi tu me l'as pas ammené directement ?

- Je pouvais pas, j'ai même plus le dossier, je t'ai fait ça en douce. Je dois filer, à toute mec ! Fais rien sans moi.

Il raccrocha et Jeremiah déglutit. Cette fois c'était la bonne ? Une cigarette, vite. Ses mains tremblèrent malgré lui quand il l'alluma. Il jeta le paquet sur son bureau et pris une taffe comme pour se donner du courage. Ce n'était pas la première fois qu'une affaire ressemblait, de près ou de loin, à celle de sa soeur mais chaque fois il avait la certitude qu'il se rapprochait de la vérité, qu'il réussirait là où les détectives employés par sa mère avaient échoué, là où les flics avaient pataugé, là où tous avaient abandonné. Etait-ce pour ça qu'il avait choisi ce métier une fois remercié par la police ? Sans aucun doute. Jamais il n'aurait pu être informaticien, avocat, maçon etc. Il ne vivait que pour retrouver sa soeur, savoir ce qu'il lui était arrivé et foutre le coupable derrière les barreaux. Le dossier qu'il avait reçu le lui permettrait peut être. Il pris une deuxième bouffée de nicotine et recracha lentement la fumée. Il décacheta ensuite soigneusement l'enveloppe scellée et en sorti une pochette cartonnée. Il y avait un post it signé par Thompson pour lui rappeler de rester tranquille quand il aurait tout lu. Pour qu'il insiste à ce point c'est que cette fois ci il y avait plus que de maigres indices, plus qu'une banale concordance. Il posa le dossier à plat sur le bureau et ouvrit. La première page était le compte rendu de la police de Salem, dans le Wisconsin. La photo d'une gamine souriante, à qui il manquait une dent de lait était épinglé au coin droit. Jeremiah fut frappé par la ressemblance avec Delia. Brune, de longs cheveux, jolie, à peu près le même âge, et surtout : des yeux vairons. Sans s'en rendre compte il caressa la photo d'un air triste. Il se perdit dans ses pensées et de la cendre tomba sur son avant bras, le ramenant à la réalité. Concentre toi bordel ! Il retira sur sa clope puis l'abandonna dans le cendrier.

La gamine s'appelait Jennifer Garrett. Neuf ans. Petite pour son âge. Disparue le 14 Avril il y a deux ans – en 2012, retrouvée morte le 26 mai de l'année suivante dans un entrepôt abandonné, à plus de 200km de chez elle. Deux copines de classe l'ont vu monter dans une voiture gris foncé mais elles n'ont pas identifier le conducteur à cause la pluie. Elles ont pensé que Jennifer le connaissait. Les gosses et leur confiance... Comme Delia qui ne s'était pas méfiée de cette pourriture à vélo au milieu des champs. Où était elle passée pendant un an ? Jeremiah grinça des dents en imaginant ce qu'un pédophile pourrait faire endurer à sa proie pendant un laps de temps aussi long. Le rapport du légiste et les photo du corps lui apportèrent des réponses. La gosse avait été violée comme il s'en doutait, aucune trace cependant de sperme, ni de poils pubiens, aucune trace d'ADN nulle part en fait. Ce salop n'en était pas à son coup d'essai, rien d'étonnant. Mais là où ça devenait surprenant c'était l'état dans lequel on avait retrouvé le corps. Il avait été embaumé, et d'une belle manière si l'on puis dire. Le type qui avait fait ça s'y connaissait. Le légiste avait eu du mal à déterminer la date de la mort mais il donnait une tranche entre Juillet et Septembre 2012, soit quelques mois après son enlèvement. En plus des traces laissées par les aiguilles pour l'embaumement, il en avait remarqué une trace d'une petite piqûre à l'avant bras. Impossible de déceler après tant de temps ce qui avait été injecté vu l'absence de fluides corporels et, aussi d'organes, mais il avançait l'hypothèse d'un médicament qui aurait arrêté les battements du coeur. En gros le tueur avait euthanasié la gamine quand il n'en avait plus voulu. Ca se tenait. Mais en lisant la fin Jeremiah découvrit que les abus sexuels avaient continué post mortem. Il sentit son estomac se soulever. Heureusement qu'il n'avait pas touché aux beignets de Betty. Quelle espèce de tordu pouvait faire ça ? Etait ce sur lui que Delia était tombée ? Cette idée le mit dans une rage folle, il se releva d'un coup renversant la poubelle et fit les cent pas. Voilà le genre de comportement impulsif qui lui avait valu de ne pas rester dans la police. Le psy l'avait jugé trop impliqué. Sérieusement ?!

Son assistante apparut dans l'encadrure de la porte. Il la fixa un instant avant de lui assurer que ça allait. Evidemment elle n'en cru pas un mot mais elle le connaissait assez pour savoir que ça ne servait à rien de le contredire.

- Je m'apprêtais à faire les courses mais je peux y aller ce midi, au cas où...

- Non t'en fais pas, ça m'étonnerait qu'il y ai foule ce matin.

Elle hocha la tête et disparut. Une minute plus tard il entendit la porte d'entrée se refermer, et la clé tourner dans la serrure. Il repris place derrière son bureau et soupira un bon coup. Il y avait une seconde affaire. Cette fois c'était dans l'Illinois, pas loin de Chicago. Si c'était bien le même monstre, il se baladait pour ne pas se faire repérer. Jeremiah détestait quand ils étaient malins.

Clara Brolin, sept ans. Disparue le 3 Juin 2013, quelques temps après qu'il se soit débarassé de Jennifer donc. Jeremiah griffonna quelques mots sur son bloc notes. Elle a été retouvée seulement une semaine plus tard. Curieux. En quoi ça coincidait ? Brune, jolie, yeux vairons également. Le détective accéléra sa lecture jusqu'à trouver ce qui lui répondit : pas d'embaumement pour elle mais les vêtements qu'on lui avait enfilé attirèrent son attention. Il repris les photo de Jennifer : même vêtements. Il n'y avait pas fait attention sur le coup mais ils ressemblaient à ceux des poupées de porcelaine que Delia avait hérité de leur grand mère maternelle. Robe en velours, colerette, noeud dans les cheveux ; le maquillage aussi collait : cils maquillés pour les allonger, couleur rosée sur les joues... Il frissonna. Pervers jusqu'au bout. Mais pourquoi pas d'embaumement ? Qu'est ce qu'elle avait qui n'allait pas ? Ou qu'avait elle fait ou dit ? Il avait reçu une femme une fois, au commissariat, son agresseur n'avait pas été jusqu'au bout parce qu'elle avait décidé de se laisser faire pour qu'il ne la frappe pas. Clara n'avait elle pas joué le jeu ? Pourtant le rapport du légiste certifiait le viol. Jeremiah bloqua. Traces d'abus sexuels antérieurs à l'enlèvement. Il relut les premières notes des flics : vivait dans un mobil home, parents alcooliques. Jeremiah tapa du poing sur la table. Comme s'il suffisait pas d'avoir des putain de maniaques en liberté, les parents s'y mettaient. Ok il n'avait aucune preuve mais eux ou pas, ils ne s'étaient pas assez préoccupés de leur gamine pour voir qu'on abusait d'elle. Comment vouloir des enfants dans un monde pareil ? Rageux, il termina son café qui était maintenant froid. Dégueulasse mais ça secouait.

En résumé, il y avait de grandes chances que le gars soit le même pour ne pas dire que c'était sûr. Il n'avait pas apprécié son second jouet car il n'était pas neuf, et s'était débarassé du premier pour une raison que Jeremiah ignorait encore. Il faudrait qu'il parle au légiste. Pour l'instant il se demandait s'il était resté sage pendant un an ? S'il allait en chercher une autre ou si c'était déjà fait. Il y avait un troisième dossier, il n'avait pas remarqué de suite car il n'y avait qu'une feuille dedans, avec une photo. Aussi ressemblante que les autres. Malika Sedoun, huit ans, brune, yeux vairons, disparue ce 5 Mai ici, à DesMoines. Aucune nouvelle depuis. Sa soeur en avait la garde depuis la mort de leurs parents, Malika était sortie jeter les poubelles et n'était jamais revenue. Pauvre gosse, pauvre soeur. Il ne pouvait qu'imaginer dans quel état elle se trouvait.

Frénétiquement, Jeremiah nota ses idées en vrac, pour ne rien oublier. Une foule de questions et de choses à vérifier affluaient dans son esprit. Parfois il barrait une phrase ou rajoutait des notes. Il réfléchissait encore lorsqu'on frappa à la porte de son bureau, ce qui le fit sursauter. Il n'avait pas vu le temps passer, ni même entendu Betty revenir. Il leva la tête, surpris, et vit Thompson. Il était donc midi passées, déjà.

- Alors, t'en penses quoi ?

Jeremiah le fixa un moment sans répondre. Thompson, de son prénom Gary, était aussi blond que lui brun. Ils avaient le même âge, mais Gary faisait bien cinq ans de plus. Sans doute à cause de sa légère calvitie. Il était bien bâti, plus petit - dans les 1m75, une bouille de nounours qui vous donnait envie de discuter, pas comme Jeremiah. Il portait sur lui la sympathie et l'empathie dont il savait faire preuve. Deux opposés en somme.

- Comment t'as eu le dossier ?

Thompson grimaça. Il avait l'air nerveux.

- Le FBI a débarqué même pas 1 heure après que j'ai su pour la dernière. J'ai pu avoir le reste grace à Folkner, c'est lui qui est sur l'affaire... enfin si on veut. Tu sais comment ça se passe quand Ils arrivent.

Jeremiah hocha la tête. Le FBI et ses profilers, ses supers agents qui faisaient tout mieux que vous. Ils vous disent que vous bosserez ensemble mais tu parles, du vent tout ça ! Et une enquête comme celle là, ils ne la refileraient à la police que si ça tournait mal.

            - Il essaiera de me tenir au courant mais il est pas encore sûr qu'on le laisse dessus longtemps vu que c'est sur plusieurs états.

            - Tu m'étonnes..., lâcha-t-il machoires serrées. S'ils étaient là c'était justement parce que ça touchait trois états, peut être plus donc c'était devenu une enquête fédérale même s'ils ne l'avaient pas encore dit clairement.

            - Alors fais gaffe. Jeremiah le regarda, l'air surpris, presque convaincant. Fais pas celui qui a pas compris. Tu vas enquêter, je t'en empêcherais jamais mais prends des gants. Si les fédéraux te tombent dessus, tu pourras plus rien faire.

            - Je sais... t'en fais pas. Pour les interrogatoires je passerais après eux.

            - Et le reste ?

–      Ca dépendra s'ils sont bons ou pas ! Il lui fit un clin d'oeil qui fit soupirer Thompson. Je t'invite à manger ? J'ai des questions que tu pourras poser à Folkner, au cas où.

–      Ca me va. Même si je sens que je vais le regretter.

Jeremiah n'essaya pas de le dissuader du contraire. Il connaissait son tempérament, FBI ou pas il finirait par mettre les pieds dans le plat. Déjà à l'époque où ils bossaient ensemble, Thompson l'avait couvert maintes fois. Pour des broutilles si on l'écoutait, mais le genre de broutilles qui vous coûtaient une carrière. Preuve en était qu'il avait été remercié. Thompson était toujours de la partie parce que Jeremiah avait assumé et tout pris sur lui, mais s'en était fallu de peu. Un jour il espérait lui rendre la pareille.

CHAPITRE 3

 

Il avait été patient, très patient. L'envie de se lancer dans l'enquête sans perdre un instant le prenait aux tripes mais s'il devançait le FBI il serait grillé, il le savait. Et avec lui Thompson et Folkner. Si ça arrivait il pourrait dire adieu à ses recherches, à coups surs. Ces types là n'aimaient pas qu'on marche sur leurs plates bandes. Mais ils n'avançaient pas assez vite pour Jeremiah. Deux putain de jours qu'ils étaient là et ils avaient enfin interrogés ce qu'il appelait les témoins indirects : famille, légistes et compagnie. A son tour maintenant ! Il avait décidé de commencer par le premier légiste. Assis sur un fauteuil de la morgue de Salem - Wisconsin, il relisait ses notes sous la lueur des néons gris verts commune aux sous sols. Pourquoi fallait il toujours que les morgues soient cachées ? Etait-ce pour autant que la mort ne nous touchait pas ? Certainement pas. Les hommes et leurs tabous.

C'était dans cette ville qu'on avait retrouvé Jennifer Garrett, originaire de Dubuque – Iowa, à des centaines de kilomètres de là. La ville avait elle été choisie exprès pour son nom ou n'était ce qu'une coincidence ? Encore une question à éclaircir. Ce n'était pas le Salem des sorcières, qui se trouvait à des milliers de kilomètres de là, mais rien n'était à exclure pour trouver une piste.

Des pas lourds lui firent relever la tête : le légiste. Un homme plus proche de la soixantaine que la cinquantaine, marqué par ses nombreux printemps mais aussi par les horreurs qu'il devait voir régulièrement – accidentelles ou non. Jeremiah se leva et lui tendit la main, l'air le plus avenant possible.

- Docteur Matthews ? Détective Xanders, enchanté.L'homme fixa sa cicatrice avant de lui tendre la main en retour.

- Enchanté. Vous savez j'ai déjà tout dit à vos collègues.

Le ton était limite sec, comme s'il était agacé qu'on l'interroge là dessus. D'ailleurs Jeremiah avait du insister furieusement pour le rencontrer mais il lui sourit, mais pas trop. Il prit un ton qui invitait à la compassion, autant que ses mots.

- On ne travaille pas ensemble, vous savez. J'enquête pour une famille, leur fille a été enlevée et ils ont peur qu'il lui soit arrivé la même chose vu leur ressemblance.

Le médecin lâcha un soupir et eut l'air désolé.

- Je comprends... erm... Venez. Il l'entraina vers un bureau dans le fond du couloir. A dire vrai, je ne sais pas quoi dire de plus que ce que j'ai noté dans mon rapport. Vous l'avez eu ? Jeremiah affirma d'un signe de tête. On n'a peut être pas l'habitude de ce genre de crime mais je fais ce métier depuis quarante ans, je n'ai rien oublié.

- Je vous crois, j'aimerais juste comprendre certains points qui m'échappent. Je n'ai pas vos compétences.

Un peu de flatterie au passage. L'homme grogna plus qu'il ne répondit et ils entrèrent dans un bureau exigu. Des tas de casiers métaliques recouvraient les murs, une seule petite fenêtre par laquelle on ne pouvait que voir les pieds des passants, pas de déco perso à part une photo de son mariage. Jeremiah eut le sentiment que sa femme n'était plus, instinct de flic disons. Il pris place sur la chaise face au bureau et attendit que son hôte du jour soit installé.

- Bon, je vous écoute.

- J'ai vu les photo du corps de la petite Garrett. J'ai déjà entendu parler d'embaumement, j'ai assisté à quelques enterrements mais jamais je n'ai vu un corps aussi bien conservé. Je pensais qu'au bout de quelques temps il dépérissait à moins d'être momifié. Et là, si j'ai bien compris, il était à l'air pendant des mois avant qu'on le trouve ...?

- Oui, je me suis fait la même réflexion sur le coup. Quand on traite les corps, on ne pratique qu'une simple thanatopraxie. Dans certains cas comme pour les grands brûlés le travail est plus important mais pas à ce point. La personne qui a fait ça a fait une thanatopraxie définitive.

Jeremiah fronça les sourcils, pas certain de comprendre.

- N'est ce pas toujours définitif ?

- En un sens oui. On ne peut revenir en arrière mais avec le temps les produits chimiques s'altèrent pour que l'on redevienne poussière voyez vous alors que là, pour imager, c'est fait pour durer. Je vais vous montrer.

Il fouilla dans un tiroir et en sorti un livre dont il n'eut pas le temps de voir le titre. Il tourna quelques pages et lui tendit le bouquin. Une photo d'une enfant, semblable à celles des petites filles. Jeremiah en eut des frissons.

- La momie de Rosalia Lombardo, embaumée en 1920 par un thanatopracteur italien. Un parfait exemple de thantopractie définitive. Elle est restée intacte.

Jeremiah resta figé sur la photo en entendant ces mots puis releva les yeux vers le médecin, incrédule.

- Comment...

- Les mêmes procédés mais des doses beaucoup plus importantes de fluides concentrés en formaldehyde. À faible dose, ces biocides préservent les tissus, à forte dose, ils les fixent en les durcissant.

Jeremiah griffonna quelques mots et se gratta la tempe. Son cerveau bouillonnait.

- Ca se trouve facilement le ... ces fluides ?

- Non, d'autant que c'est fort toxique. Certains en produisent artisanalement mais autant dire que c'est très dangereux. Vous savez, tout le processus d'embaumement est dangereux, on doit suivre des normes de sécurité très strictes si on ne veut pas finir avec de multiples cancers. Il faut des installations particulières, à commencer par une bonne ventilation. Il faut aussi...

Jeremiah écouta mais remarqua vite que le médecin était parti dans une éloge de son métier à hauts risques. Il nota quand même ce qui lui paraut important comme les produits chimiques utilisés, les compétences qu'un thanatopracteur doit avoir, ainsi que les grandes lignes des étapes pour embaumer un corps. Tout ça lui en dirait plus sur son homme.

Il n'apprit rien de plus concernant la fillette directement, ni même pourquoi le tueur s'en était débarasser – c'eut été trop beau - mais il avait le sentiment d'avoir avancé. En quittant la morgue, il remercia vivement le médecin qui lui souhaita bonne chance dans son enquête. Pour sur, de la chance, il en aurait besoin : ce salop était méticuleux, il ne se ferait pas avoir facilement. Mais il l'aurait, il en faisait la promesse.

C'était déjà la fin de l'après midi lorsqu'il reprit la route. Il était loin de chez lui, il s'arrêterait en cours de chemin, mais pas pour rentrer. Demain il se rendait dans l'Illinois, un autre état voisin, pour rencontrer le second légiste. La gamine n'avait pas été embaumée ou thanatopraxiée mais il pourrait peut être apprendre d'autres choses sur son tueur. Oui, son. Jeremiah avait la conviction que ce pourri était celui qui avait enlevé sa soeur et que d'une façon ou d'une autre il le mènerait à elle. Il n'espérait plus qu'elle soit vivante, seulement il voulait son corps. Pour faire le deuil, ou essayer du moins. Et par dessus tout, force était de l'avouer, il voulait que ce type paye.

Sur le chemin il téléphona à Betty pour savoir s'il y avait du nouveau et elle lui annonça qu'une mademoiselle Sedoun avait téléphoné. Elle n'avait pas laissé de message, juste qu'elle rappellerait. Jeremiah voyait très bien de qui il s'agissait mais il était surpris qu'elle l'ai contacté. Il avait l'intention de le faire parce qu'il savait pour sa soeur, mais elle... Avait elle fait des recherches ? Il y avait vingt cinq ans d'écart entre les deux affaires, serait elle remontée si loin ? Quelqu'un aurait parlé ? Il chassa ses idées, inutile de se prendre le chou pour rien. Il saurait bien assez vite et pour l'instant ça n'avait pas d'importance. Il devait rester concentré et réfléchir à ce qu'il avait appris aujourd'hui.

Il s'arrêta dans un motel sur la route. Il y avait un snack bar ce qui tombait à pic car la faim qu'il avait ignoré jusque là le tiraillait. Il décida d'y aller avant même d'avoir visiter la chambre. En même temps ce n'était pas comme s'il avait beaucoup de bagages, seulement un sac de sport avec un change et le strict minimum pour l'hygiène. Le principal était sur lui : blocnotes, téléphone et arme. Il s'assura justement de bien la dissimuler sous sa veste et choisit une place dans le fond pour satisfaire son associabilité. Une serveuse brune pas toute jeune mais de beaux restes lui proposa du café et pris sa commande : steack frites plus un oeuf au plat. Il ajouta un milkshake banane pour le dessert, sous ses recommandations. D'ordinaire le sucre ce n'était pas son truc mais il n'avait pu s'empêcher de dire oui, en souvenir de Delia. Penché sur sa tasse de café, il fixait le liquide noir et revoyait des images de sa famille sur la route des vacances. Sa soeur prenait toujours des milkshake bananes et boudait quand il n'y en avait pas. Il leur était même arrivé une fois de reprendre la route pour s'arrêter plus loin. Dans ces moments là elle sortait toujours l'excuse que c'était leur rituel de vacances et les parents ne cherchaient pas à argumenter. C'était le bon temps. L'année où elle avait disparu il n'y avait pas eu de vacances évidemment, pas de milkshake, et les années suivantes non plus. Tout le long de son repas solitaire, Jeremiah eut l'esprit ailleurs, perdu dans un passé plus que révolu. Ca devait lui donner un air mélancolique, du genre vampire ténébreux car il surprit plusieurs fois les serveuses glousser en le regardant, un peu comme ces jeunes filles en fleur dans les films à la mode. Pourquoi il pensait à ça ? Parce que Laura l'avait forcé à en regarder un avec elle, un vrai calvaire. Il espérait juste ne pas avoir l'air aussi constipé que le héros blafard.

Quand il demanda l'addition, la brune qui s'était occupée de sa table lui demanda sans complexe s'il avait besoin d'un peu de compagnie. Honnêtement il hésita. Si l'alcool lui faisait toujours du bien en cette période, les femmes aussi, mais il avait du travail. Il lui sourit et déclina la proposition implicite avec tact. A défaut de passer un moment avec elle, il lui laissa un bon pourboire et fila à sa chambre. Mobilier de base, propre, parfaite donc. Il ferma le verrou et tira les rideaux, se retirant du monde un peu plus encore. Enfin il consentit à se détendre un peu et prendre une bonne douche.

Quand il en sortit son téléphone sonnait. Il se précipita dessus, lachant la serviette qui cachait sa virilité. Thompson. Il décrocha à la dernière sonnerie, de justesse.

–      Trois fois que je t'appelle.

–      J'étais sous la douche.

–      T'aurais pu m'appeler avant...

–      Je rêve ou tu me fais une crise mon chou ?

–      Hilarant ! Bon, alors ? T'as avancé avec le légiste ?

–      Vaguement. Disons que lorsque j'aurais fait le point sur ce qu'il m'a appris, je cernerais mieux notre gars.

–      Ah ouais ? Cool. Parce que les autres ont commencé un profil mais pour l'instant ils communiquent pas ces garces.

–      Ca t'étonne ?

–      Non. Demain tu vas toujours voir l'autre ?

–      Ouais. Je te tiendrais au courant.

–      T'as intérêt.

–      Au fait qui a parlé de moi à la soeur de Malika Sedoun ?

–      Comment ça ?

–      Elle a téléphoné à mon cabinet aujourd'hui.

–      Moi non, je ne l'ai pas rencontrée. Je demanderais à Folk.

–      Pas de souci.

–      Je dois te laisser j'suis attendu. Jeremiah sourit en comprenant le message.

–      Bonne soirée, playboy !

Il raccrocha et jeta le téléphone sur le lit. L'idée de retrouner voir la serveuse l'effleura mais il se ravisa. Il avait mieux à faire que de tirer son coup. Il enfila un caleçon et récupéra bloc notes plus stylo avant de s'affaler sur le lit. Il relit tout ce qu'il avait noté en espérant avoir une révélation, ou une idée faramineuse. Le sommeil le happa au bout d'une heure à peine.

Du blé à perte de vue. Un soleil étouffant. Pas un soupçon de vent, pas même un bruit hormis le son affolé de ses propres battements de coeur. Il court en traçant des sillons à travers les épis qui lui fouettent le visage. Le danger rôde, il peut le sentir, presque le voir. Sa soeur est là quelque part mais elle ne répond pas. Il tourne sur lui même, tombe, repart de plus belle. Un mouvement sur la droite, il fonce tête baissée. Une douleur fulgurante le traverse de la tête aux pieds, il sent ces derniers quitter le sol et le temps se suspend alors qu'il chute. Alors il le voit. Malgré sa vue gênée par l'afflux de sang qui enfle ses papupières, il en certain c'est lui. L'épouvantail. Il se penche sur lui et lui murmure des mots d'excuse. Il le touche de ses doigts de paille puis il s'éloigne. Force toi ! Regarde ! Tournant la tête il voit cet être immonde emporter sa soeur loin de lui. Il tend vainement la main. Un cri guttural voilà tout ce qui sort. Mais cette fois il ne s'évanouit pas. A force de volonté, il se relève et poursuit l'épouvantail. Les épis de blé laissent place à un terrain vague et personne. Juste un cabanon abîmé par le temps. Hors d'haleine, épuisé, il avance et pousse la porte entre ouverte. Elle est là. Soulagé il approche, c'est là qu'il remarque le maquillage lui donne un aspect étrange, il y a cette robe en velours aussi... Il tend la main pour la toucher, elle est froide et dure comme la pierre. Alors elle ouvre ses yeux vides de toute existence et il hurle.

Jeremiah ouvrit les yeux, il ne sut dire s'il avait réellement crié ou pas mais il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre pied. Un retour à la réalité difficile. Il observa la chambre comme s'il s'apprêtait à voir quelque chose surgir. Mais rien, bien entendu. Son souffle reprit un rythme normal et il se leva pour s'habiller. Il n'avait pas envie de rester ici une minute de plus, l'impression de suffoquer lui pendait encore au nez. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il avait plié bagage et se trouvait dehors, clope au bec. Café ! Il se dirigea vers le snack-bar, pas de jolies serveuses cette fois ci mais une vieille à moitié édentée. Il remarqua l'horloge au dessus de la caisse : 6h27 alors qu'il prenait place au comptoir.

- La nuit a été difficile on dirait, mon p'ti. Elle lui glissa une part de pecan pie. Cadeau de la maison, ça t'fera pas de mal.

Il la remercia, pas certain que son estomac le lui permettrait. Il s'enfila un premier café et tout compte fait, la tarte lui faisait envie. Il la dévora avec un second café avant de partir en demandant le meilleur itinéraire pour Chicago. Il n'allait pas jusque là bas mais la ville où on avait retrouvé la deuxième gamine était sur la même route.

17heures le même jour, il sortait de chez le légiste dans la banlieue de Napperville. Il n'avait obtenu que des confirmations : violée pendant sa période d'enlèvement donc par le tueur, mais aussi violée bien avant ça – la police enquêtait à ce propos, tant mieux - ,  elle avait été tuée avec des barbituriques – ce qui laissait supposer que Jennifer aussi ; aucune empreintes ou traces ADN : il avait tout nettoyé consciencieusement, puis il l'avait habillée et maquillée comme une poupée avant d'abandonner le corps. Les animaux y avaient à peine touché, certainement à cause des saloperies encore présentes dans son organisme. Vu qu'elle n'avait pas été traitée comme la précédente, Jeremiah voulu savoir s'il avait pu retrouver quelque chose dans son estomac mais impossible. Dommage, une fois il avait résolu une affaire grace à ce que la victime avait diné. Là ce ne serait pas si simple.

Sur sa faim, il décida d'aller voir l'endroit où on l'avait retrouvée. Après tout, le tueur n'avait pas du choisir ce lieu au hasard. Il n'avait pas l'air de faire quoique ce soit sans fichue raison. Ce n'était qu'une zone industrielle abandonnée, comme on pouvait en trouver partout dans le pays. La crise n'épargnait personne. L'enseigne était encore visible : ici on fabriquait des meubles. Le tueur avait il travailler ici ou n'était ce que coincidence ? Jeremiah fit le tour de l'immense bâtiment avant d'y entrer, sans souci. Il y avait l'air d'avoir quelques squatteurs mais pas plus que ça. Sans doute seulement des gamins en mal de sensations fortes, ou des fêtards, mais pas par des sdf. Ce qui, selon lui, expliquait pourquoi le type avait choisi ce lieu. Déposer le corps dans un endroit avec trop de passage eut été un risque d'être repéré. En même temps il fallait savoir que le bâtiment était là, et vide, car de la route on ne le voyait pas à cause des arbres qui la bordaient. Les réflexions de Jeremiah faisaient leur chemin et il pensait de plus en plus que si Il n'avait pas bossé ici, au moins connaissait il bien le coin. Là encore, ça ne pouvait pas être un hasard : on ne pouvait pas dire que c'était un bled touristique. Au mieux, vous vous arrêtiez pour une pause avant de reprendre la route. Il se stoppa devant l'établi poussiéreux où Clara avait été déposée. C'était le premier qu'on voyait en entrant, encore un signe qu'il ne cherchait pas à dissimuler ses crimes. Ce qui irritait encore plus le détective.

Il repartit sans en savoir plus. Quoique, la chance semblait être de son côté... Alors qu'il quittait la ville, il remarqua une pancarte : braderie annuelle le 8 juin. Il y avait des photo de meubles, banal pour une affiche du genre. Mais il y avait aussi une poupée ancienne, c'est elle qui attira l'attention de Jeremiah. Il gara sa voiture sur le bas côté et sortit son smartphone. Option calendrier, il fit défiler les mois en arrière jusqu'à juin de l'an passé : brocante annuelle, sûrement à la même date tous les ans donc, ce qui donnait le dimanche 9 juin 2013 et Carla avait été découverte le lendemain. Il eut soudain l'impression que son cerveau bouillonnait et chopa son calepin pour y ajouter ses nouvelles idées : le tueur était soit brocanteur soit chineur. Il penchait plus pour la première solution pour expliquer son côté itinérant mais autant ne rien laisser au hasard.

–      Putain !

Se pourrait il qu'il ai mis le doigt sur LE détail qui ferait toute la différence ? Ce serait plus facile de trouver un embaumeur brocanteur qu'un simple brocanteur non ? Pareil que pour un simple chineur. En même temps, il avait du mal à se dire que ça pourrait être aussi simple. Il tenta de joindre Thompson pour en parler mais tomba sur le répondeur. Rappelle moi, demanda-t-il simplement. Il se sentait tellement excité par ses découvertes qu'il n'eut pas envie de perdre de temps dans le coin. La braderie était passée depuis une bonne semaine, aucun corps n'avait été retrouvé. Soit il était venu mais la petite Malika était toujours dans ses petits papiers, soit il ne s'était pas inscrit cette année. En bref, inutile de rester ici. Pour avoir une liste des participants il lui suffirait de passer quelques coups de fils. S'Il n'était que chineur, là ce serait plus compliqué mais il trouverait comment faire.

Persuadé de ne pas se tromper, il reprit donc la route, lâchant à haute voix :

-J'espère que tu sens l'étau se resserrer, enfoiré...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 4

 

Le lendemain au bureau, il portait toujours les mêmes vêtements que la veille. Des cernes se dessinaient sous ses yeux bleus, son teint était brouillé, en gros il avait une sale mine et Betty ne se gêna pas pour lui faire remarquer avec un air désaprobateur.

–      Moi aussi, je t'aime.

–      Je ne plaisante pas Jeremiah, tu dois te reposer.

–      J'y penserais !

Il ignora le reste de ses remontrances pour sortir se chercher du café. Elle avait raison sur un point : il était fatigué. Sauf qu'il n'avait pas le temps de dormir, pas maintenant. Il avait trop de choses à faire aujourd'hui. Trop peur surtout que quelque chose lui échappe, que ce fumier lui même lui échappe, s'il prenait une pause. En arrivant ce matin, il aviat laissé un message à l'organisateur de la braderie de Napperville pour avoir la liste des vendeurs, puis il avait vérifié pour Salem et bingo : il y avait eu une brocante la veille de la disparition de Jennifer. En revanche rien à DesMoines. Cette découverte l'avait mis sur les nerfs. Faisait il fausse route ? Il y croyait tellement... C'était en partie pour ça qu'il ne pouvait se permettre de se reposer. Mais comment expliquer ça à Betty ? Il savait déjà ce qu'elle lui trouverait comme arguments pour le convaincre qu'il se trompait. Il n'avait pas envie de se prendre la tête avec elle.

Alors qu'il venait de récupérer son grand café noir au stand ambulant du coin de la rue, il tomba nez à nez avec une charmante brunette à la peau dorée. Un peu plus et ils se percutaient. Il ouvrit la bouche pour s'excuser quand leurs regards se croisèrent. Deux grands yeux vairons le fixaient. Il ne parla pas, muet et figé comme un abruti. Sur le coup il n'entendit même pas ce qu'elle demandait, il fallut qu'elle répète et que ça monte au cerveau.

–      Oui, c'est moi... Vous êtes mademoiselle Sedoun, je suppose ?

Les mêmes yeux que la soeur disparue, des traits soulignant ses origines magrhébines, et le fait qu'elle voulait le voir; il avait peu de chance de se tromper. Cela dit, le fait qu'il sache qui elle était parue la toucher plus que de raison et un bref sourire apparut sur son visage si triste. Elle aussi avait l'air d'une personne manquant de sommeil et torturée.

–      Je suis désolée de passer sans prévenir, je crois que j'avais peur que vous ne m'esquiviez. Il la regarda sans comprendre et elle rejeta une de ses mèches bouclées, gênée. Votre assistante m'a dit que vous n'étiez pas là et, erm, comme la police ne veut rien me dire, j'ai pensé que vous aussi...

–      Oh non, la rassura-t-il, je n'ai pas à me taire sur l'affaire en cours contrairement à eux. Et jamais je ne me permettrais de vous ignorer. Vous voulez un café ? Elle secoua négativement la tête. Allons à mon bureau, on sera mieux pour discuter.

–      Merci.

–      Dites moi juste comment vous êtes arrivée à moi ? Elle sembla nerveuse.

–      Un ami m'a parlé de vous. Il m'a dit que... que vous aviez perdu votre soeur et qu'elle ressemblait à Malika.

Il l'observa en prenant une gorgée de café. Un ami ? Elle devait connaître quelqu'un dans la police. Il ne criait pas son histoire sur tous les toits. Cependant, son esprit paranoïaque le força à demander qui, juste pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas du tueur tout simplement.

–      C'est mon ex, en fait. Il est flic... je ne voudrais pas qu'il ai des problèmes. Il voulait m'aider.

Jeremiah se força à lui faire un sourire pour la rassurer et l'invita à pénétrer dans l'immeuble. Quelques instants plus tard, ils passaient devant Betty qui se garda d'enguirlander son protégé et patron. Mais son regard en disant long, l'inquiétude aussi s'y lisait. Comme si elle appréhendait ce que pourrait donner le duo face à elle. Il était arrivé une fois que le détective se laisse aller avec une cliente qui recherchait son fils, ça avait été très court mais très mauvais aussi.

Ils discutèrent pendant près de deux heures. Jeremiah avait tout noté, même ce qui pouvait paraître insignifiant. La mémoire de Sabrina, la grande soeur, était encore bien vive concernant le jour de la disparition de sa soeur et ceux d'avant. Malgré son angoisse profonde, elle gardait la tête froide et ne voulait rien lâcher jusqu'à ce qu'on retrouve sa soeur. Il avait l'impression de s'entendre et de se voir, mais il espérait réellement qu'elle ne finisse pas comme lui. Désabusé, stressé, obsédé par une putain de journée. Au moins, même s'il ne parvenait à se les appliquer, il trouva les mots pour rassurer un minimum Sabrina : elle n'y était pour rien. Ce pourri avait choisi la petite et personne n'aurait pu le deviner.

–      Moi non, mais la police peut être. Je veux dire, c'est pas la première, pas vrai ? Pourquoi ils n'ont pas fait de conférence pour dire de faire attention à toutes les petites filles aux yeux vairons ?

–      Tu sais on n'est pas dans Esprits criminels, il faut malheureusement plus d'une disparition pour établir un profil et une victimologie. Là, il en est à trois sur donc ils vont sûrement le faire. Sauf s'ils estiment que ça mette Malika en danger.

–      Parce qu'elle l'est pas déjà ?

–      Si mais... on ne l'a pas retrouvée ça veut dire qu'elle est vivante.

Elle frissonna et son regard se perdit au delà de la fenêtre. Jeremiah pouvait devnier sans problème à quoi elle pensait, lui même l'avait fait des millions de fois. Dans un cas comme celui là, l'imagination devenait vite votre pire ennemi. Sans réfléchir, il tendit la main pour la poser sur son avant bras. Elle sursauta et eut un mouvement de recul.

–      Je suis désolée...

–      Y'a pas de souci. Ecoute, je vais recouper les info que tu m'as données avec celles que j'ai déjà. Rentre chez toi, tu ne peux rien faire de plus malheureusement. Ses épaules s'affaissèrent.

–      Je deviens folle chez moi... Comment... comment tu fais ? Ses yeux, marrons pour l'un, vert pour l'autre, exactement comme Delia, le mettaient au supplice. Pour un peu il se croyait face à sa soeur, qu'est-ce qu'il lui répondrait ? Il resta silencieux trop longtemps à son goût. La question l'avait chamboulé. Il soupira finalement.

–      Je ne suis pas un exemple. Evite de rester seule, en tout cas. 

Voilà tout ce qu'il avait trouvé à dire, pathétique. Mais comment dire à cette fille qu'il n'avait jamais pu tourner la page ? Qu'il vivait avec le fantôme de sa soeur et ne réussissait à rien ? Qu'il faisait semblant la plupart du temps ? Impossible. Heureusement elle n'insista pas et se contenta d'un sourire triste qui, mêlé à son regard compatissant, mis Jeremiah mal à l'aise. Même si ça n'en était pas, il avait toujours l'impression que les autres le prenaient en pitié et il ne supportait pas ça.

Elle se leva et le remercia de l'avoir écoutée. Puis elle sortit son porte feuille, il lui fit aussitôt signe de laisser tomber. Elle voulut protester mais il la stoppa net. Il était sur l'enquête, qu'il y ai sa soeur ou non alors hors de question qu'elle paye quoique ce soit. Il la raccompagna à la porte et promit de donner des nouvelles dès qu'il en aurait. Lorsqu'elle s'éloigna, il resta planté un moment à la regarder. Jusqu'à ce que son téléphone sonne. Son père. Tiens, ça faisait un bail qu'il n'avait pas eu de nouvelles. Est ce qu'il téléphonait car c'était bientôt l'anniversaire tragique ? Ca l'étonnerait. Son père avait toujours esquiver ce moment, déni total. Jeremiah fixa son portable mais ne répondit pas. Quand il se retourna, Betty ne cacha même pas qu'elle l'observait.

–      Je t'emmène déjeuner ? Lança-t-il avant qu'elle ne lui dise quoique ce soit.

–      Seulement si tu vas te reposer ensuite. Loupé ! Il eut un rire nerveux. Bien que ça le ferait chier de l'avouer, il se sentait bien las soudainement et il savait que ce serait pire après manger.

–      Ca marche ! Force était d'avouer qu'il n'aurait sûrement rien de plus aujourd'hui et ça faisait tellement plaisir à la seule personne qui veillait sur lui. Betty sourit largement.

–      Je finis un courrier et je suis prête !

Il lui fit un clin d'oeil et alla chercher ses affaires. Son portable indiquait un message sur le répondeur, il en profita pour écouter ce que lui voulait son géniteur. Pas un mot sur Delia, un rapide j'espère que ça va et le motif de l'appel : il allait déménager, il avait besoin de lui pour trier car il restait encore pas mal de vieilles affaires et peut être voudrait il récupérer ses maquettes et blablabla. Il raccrocha sans même écouter la fin. Peut être qu'il rappellerait, peut être pas... En tout cas, pas aujourd'hui.

Il avait en grande partie obéit à Betty et après leur déjeuner chez le chinois du coin, il était rentré chez lui avec une cartouche de cigarettes et une bouteille de rhum ambré. Installé sur son canapé, il avait ressorti sa copie du dossier et ses dernières notes. Tout en clopant et sirotant son alcool, il avait tout relu, regardé à nouveau les photos, tout ça comme s'il s'attendait à ce que quelque chose lui saute aux yeux. Mais rien d'extra. La seule chose qui tomba fut le sommeil, sans même qu'il s'en rende compte. Il se réveilla vers 4h30 du matin, en sursaut. Il venait de rêver de poupées de porcelaine qui le fixaient en murmurant et le noir complet de la pièce ne l'aida pas à se sentir bien. Il se leva d'un bond pour tirer les rideaux et ouvrir la fenêtres, les lumières des réverbères ainsi que le bruit des voitures au dehors calmèrent un peu son esprit. Une bonne douche termina de le ramener dans le monde réel. Il revint tout nu dans le salon et se servit un autre verre, qui le fit grimacer. Le rhum au réveil c'était pas une idée terrible, un café serait mieux. Heureusement que Betty avait accepté de lui faire quelques courses ! Elle avait même pensé à ce qu'il mange, elle était trop bonne.

Tout en petit déjeunant, il checka ses mails et répondeur. Pas encore de retour de quique ce soit. Quelle galère. Il envoya un message à Thompson pour savoir s'ils avaient fait des recherches sur les robes et de lui filer toutes les infos qu'il aurait dessus. Il était certain que c'était un filon à exploiter. Pour lui, soit l'autre enfoiré les achetait sur les brocantes toutes faites soit il les fabriquait et dans ce cas, il pouvait aussi en vendre. Oui, ça faisait encore trop de suppositions mais c'était toujours mieux qu'il y a quelques jours. Il fallait qu'il soit patient, même si ça le rendait fou. En attendant, il se cala bien devant son pc et fit lui même des recherches sur les robes, voir ce qu'il pourrait trouver. C'était un peu comme chercher une aiguille dans une meule de foin vu qu'on ne lui avait pas fourni les informations sur le tissu et le reste; enfin ça l'occuperait.

Comme souvent ce fut son téléphone qui le sortit de sa bulle. Thompson. Un large sourire se dessina sur ses lèvres quand il décrocha.

–      Ca va mon vieux ?

–      Oui... tu dors jamais, toi ? Jeremiah haussa les épaules d'un air amusé. Tu sais qu'on est samedi ?

–      Ah bon ? Pas de repos pour les braves.

–      M'en parle pas. Bon j'ai pas tout en tête alors je t'enverrais les info quand je serais passé au bureau. Je dois voir Folkner.

–      T'es un boss !

–      T'as avancé on dirait.

–      Je crois bien. Et le FBI ?

–      Je suppose, je les ai pas vus depuis deux jours. Mais bon, toi même tu sais qu'ils gardent tout pour eux.

–      Trop.

–      Je dois te laisser sinon je vais être à labourre. Tu... tu vas voir ta mère ce week end ? Le sourire de Jeremiah retomba.

–      Oui, je partirais ce soir ou demain, je sais pas encore.

–      Ok... bon courage si on se parle pas avant. Et t'inquiète je t'envoie ce qu'il faut.

–      Merci, mec !

Il raccrocha et resta un instant immobile, perdu dans ses pensées. Tous les ans il allait voir sa mère pour le maudit anniversaire. Elle était toujours dans leur ancienne ville même si elle n'avait plus la maison. Contrairement à son père, elle ne parvenait pas à décrocher et c'était par manque de moyens qu'elle se contentait d'attendre un miracle. Il se sentait proche de lui apporter ce miracle et la libérer. De les libérer...

            Comme promis, Thomson lui avait envoyé par mail tout ce qu'ils avaient sur les robes. Jeremiah n'avait pas encore eu le temps de mettre le nez dedans. Sa mère lui avait demandé s'il pouvait arriver dès ce soir, alors il avait pris la route vers 17h, avant de recevoir le mail. Il aurait tout le temps de lire ça dans la soirée. Il était rare que Madame Xanders – elle avait gardé son nom d'épouse – joue les couche tards.

            Lorsqu'il arriva à Marshall Town, il sentit une boule se former dans sa gorge et son estomac se nouer. C'était comme ça à chaque fois qu'il revenait au bercail. Des flash de souvenirs sans chronologie l'assaillaient et l'envie de faire demi tour l'assaillait. Mais il ne fléchissait pas. Revenir ici lui faisait aussi l'effet d'une drogue, chaque année il reprenait une dose pour affronter la prochaine. Et si celle ci était bien la dernière comme il l'espérait ? Ses doigts se crispèrent sur le volant, il le désirait si ardemment.

Il gara sa voiture en bas de l'immeuble où vivait sa mère. Fini la splendide demeure avec un jardin sans fin. Elle avait commencé à dépenser des folies en détective lorsque Monsieur Xanders et elle étaient encore mariés, puis il était parti avec une partie du patrimoine; elle avait pu quand même racheter sa part de la maison pour rester accrochée à ses souvenirs de Delia. Seulement, le chagrin et divers démons, lui avaient fait dilapider sa fortune à une vitesse folle. Le grand père de Jeremiah l'avait forcée à vendre pour éponger les dettes avant qu'elle ne puisse plus sortir la tête de l'eau, ou plus exactement il avait profité d'un de ses passages en maison de repos pour la mettre sous tutelle et vendre. Depuis elle vivait avec une pension qui lui était versée chaque mois et avait du abandonner l'idée de missionner pro et arnaqueurs pour retrouver sa fille. Depuis, tous ses espoirs étaient sur les épaules de son fils. Fils qu'elle devait guetter comme le messie, car elle ouvrit la porte avant même qu'il ai eut le temps de sonner. Elle l'attira à elle pour l'enlacer.

–      Oh mon grand, ça me fait tellement plaisir que tu sois là. Tu as fait bonne route ? Tu as une petite mine.

Il soupira puis lui sourit. Elle le relâcha comme à regret.

–      Moi aussi, je suis content de te voir, maman. Ca sent bon, dis donc. Tu as cuisiné ?

–      Comme toujours quand tu viens, voyons. Combien de temps vas tu rester ?

Elle avait demandé ça en voyant qu'il n'avait qu'un sac à dos bien léger. D'habitude il restait trois-quatre jours, mais là il avait prévu de repartir dès le lendemain soir. Tout en pénétrant dans le salon, il cherchait les mots pour la tenir au courant de son enquête mais sans donner trop de faux espoirs. C'était contradictoire avec ses convictions actuelles mais il s'agissait de sa mère. Si lui tombait de haut, il s'en remettrait mais pas elle. Il n'y avait qu'à voir ses traits tirés, ses yeux bleus vides de toute éteincelle à force de pleurer, même les anti dépresseurs ne parvenaient pas à rendre justice à sa beauté : elle avait vieillit prématurément et son visage portait les marques de sa douleur mentale. Il n'avait pas perdu que Dee cet après midi là... Il jeta son sac sur le canapé et se tourna vers sa mère.

–      Je suis sur une enquête qui a des similitudes avec Delia. Je devrais repartir demain.

Elle porta une main à son médaillon et étouffa un hoquet de surprise. Son regard se perdit dans il ne savait quel couloir de son esprit abîmé, finalement elle sourit tristement.

–      Je comprends. Je suis sûre que tu y arriveras. Est-ce que... non, ne me dis rien.

Sa mère avait toujours refusé que Delia puisse être morte. Elle ne lui demandait jamais de détails sur ses affaires même s'il la sentait avide de savoir. Une fois il lui avait décrit quand même et elle avait refusé en bloc que ça puisse être comme pour sa fille. Il se souvenait encore de la crise qu'elle avait tapé en hurlant que Delia était vivante et que personne ne cherchait au bon endroit. Dès lors il s'était gardé de lui faire part des détails, il parlait juste d'affaires. Et comme jusque là ça n'avait rien donné, elle avait ne démordait pas sur le fait qu'elle avait raison. Mais comme son fils, elle évitait d'en parler parce qu'il n'était pas aussi sûr qu'elle. Même si une part de lui voulait s'y accrocher, il ne pouvait pas croire que Delia était vivante, pas après tout ce temps... Ils s'observèrent quelques secondes avant qu'elle ne lui propose quelque chose à boire. Bonne idée. Il avait bien besoin d'un remontant.

            La soirée se passa comme toujours : tranquillement. Ils discutèrent des dernières nouvelles de la ville et des gens qu'ils connaissaient, un peu de son boulot, sa mère lui fit quelques remarques sur le fait qu'elle attendait d'être grand mère et il esquiva en lui demandant ce que donnait sa vie perso, là ce fut à elle d'éluder la question, alors ils en revinrent à des sujets plus neutres. Comme toujours à la fin, ils parlèrent de Delia et sa mère ressortit de vieilles photo. La nostalgie flottait dans l'air. Avec les années, les séances de larmes avaient disparu heureusement. L'absence et la déchirure qu'elle avait causé était toujours là, palpable, seulement ils parvenaient à évoquer la fillette sans tomber dans le drama. Quand il se retrouva seul dans le salon, après que sa mère soit partie se coucher, il resta un moment à fixer l'écran de télé éteint. Il se sentait vide soudainement, pire que la plupart du temps. Il ne se sentit même pas le courage d'allumer son pc portable pour voir ce que lui avait envoyé Thompson. Il se resservit un verre de whisky et s'allongea sur le canapé. Son esprit bourdonnait, il repensait à Dee, à cet horrible jour, à ces fillettes en robe de poupée, à la photo de cette enfant parfaitement embaumée. Le sommeil l'enveloppa sans qu'il s'en rende compte. Un sommeil sans rêve.

 

 

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